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Les modèles emboîtés comme nouvelle approche de l’immunité

2.4 Perspectives

2.4.5 Les modèles emboîtés comme nouvelle approche de l’immunité

Depuis Burnett, le but principal de l’immunologie a été d’expliquer comment le système im-munitaire fait la distinction entre soi et non-soi (Tauber et Podolsky 1994). Plus récemment, Bell et al. (1978) ont suggéré que le système immunitaire pouvait être appréhendé comme un écosys-tème miniature, avec de la prédation, de la coopération des ressources, etc. Cependant, dans cette approche, la survie de l’hôte est considérée comme acquise ; le fait que l’interaction puisse s’inter-rompre du fait de la mort de l’hôte est ignoré.Pradeu et Carosella(2006) ont récemment suggéré un critère alternatif à l’immunogénicité : ils proposent une vision du système immunitaire basée sur la continuité et non sur la classique dichotomie soi / non-soi (c’est-à-dire, tout ou rien). Autrement dit, ils suggèrent que les réactions immunitaires pourraient être déclenchées quand une certaine quantité d’entités rompt la continuité des interactions établies. Cette vision aide à comprendre com-ment des composantes du « soi » peuvent être ciblées par le système immunitaire (s’ils rompent la continuité, comme par exemple les cellules tumorales) et comment au contraire des éléments du « non-soi »peuvent être tolérés (ce qui est le cas par exemple pour les bactéries commensales ou pour le fœtus dans l’utérus de sa mère).

Cette théorie trouve des soutiens dans les modèles emboîtés (Gilchrist et Sasaki 2002,Ganusov et al.2002,André et al. 2003,Alizon et Van Baalen 2005,Gilchrist et Coombs 2006). Ces modèles théoriques lient explicitement l’approche intra-hôte à l’approche épidémiologique. En considérant l’épidémiologie, ils prennent donc en compte, quoique de manière primaire, l’environnement de l’hôte constitué par les autres hôtes.

Cette approche globale a déjà des implications, par exemple en ce qui concerne l’évolution de la virulence. Les traitements anti-parasite (vaccins, traitements antibiotiques) peuvent être considérés comme faisant partie d’un système immunitaire étendu (avec ou sans coût d’entretien pour l’hôte). Avec cette approche, les études théoriques montrent que les traitements anti-parasites, en plus de

2.4 PERSPECTIVES 49 sélectionner des phénomènes de résistance, pourraient même sélectionner des niveaux plus élevés de virulence (Gandon et al. 2001b,2003,Alizon et Van Baalen 2005,André et Gandon 2006, Ga-nusov et Antia 2006). Ceci avait déjà été perçu il y a bien longtemps car en grec ancien pharmakon [farm´akon] signifiait « traitement » mais aussi « poison ».

Chapitre 3

Émergence d’un compromis évolutif entre

transmission et virulence

1

3.1 Études de l’évolution de la virulence

Nous l’avons dit en introduction,Anderson et May (1979) ont été les premiers à remettre en cause la « sagesse traditionnelle », qui postule que les parasites évoluent vers une avirulence com-plète. En supposant qu’un parasite ne peut pas élever son taux de transmission sans diminuer la durée de l’infection (via la mort de l’hôte ou via sa guérison), ils montrent qu’un parasite a intérêt à adopter un niveau intermédiaire de virulence. Cette approche basée sur un compromis évolutif (« trade-off » en anglais), qui a récemment été remise en cause (Levin et Bull 1994, Ebert et Bull 2003), sous-tend la plupart des développements de la théorie de l’évolution de la virulence.

Anderson et May (1982) proposent que la sélection naturelle favorise les parasites ayant le « taux de reproduction de base » (R0) le plus élevé. Cette mesure reflète le nombre de nouvelles infections causées par un hôte infecté dans une population d’hôtes susceptibles. Le R0 peut être interprété comme une mesure de la valeur sélective du parasite.

Dans les cas les plus simples, le taux de reproduction de base d’un parasite est proportionnel à son infectivité (ou taux de transmission) et à la durée d’une infection typique. Si on représente le taux de transmission du parasite par β , la mortalité naturelle de l’hôte par µ, le taux de guérison de l’hôte par ν, la mortalité induite par le parasite par α et la densité des hôtes susceptibles par S, on obtient l’expression « classique » du succès reproducteur d’un parasite (Anderson et May 1982) :

R0 = β

µ + α + ν S (3.1)

L’équation3.1indique que le taux de reproduction de base augmente quand α diminue. Cette conclusion semble aller dans le sens la sagesse traditionnelle, mais comme le soulignentAnderson et May, il est impossible pour les parasites de maximiser leur transmission (β ) indéfiniment sans engendrer un coût. Le plus souvent, on suppose qu’il est impossible d’augmenter β sans augmen-ter α ce qui signifie que le parasite ne peut pas être transmis sans nuire au moins un peu à son hôte (Anderson et May 1982, Ewald 1983).Anderson et May(1982) ont montré qu’avec une telle hypothèse de compromis, les parasites évoluent vers une virulence optimale non nulle.

3.2 PRÉSENTATION DU MODÈLE 51

Levin et Bull(1994) et Ebert et Bull(2003) ont remis en cause la validité biologique de cette hypothèse de compromis évolutif. Selon eux, il y a très peu de preuves expérimentales ou théo-riques de l’existence d’une relation entre transmission et virulence. Pourtant, même s’ils sont rares, des résultats empiriques corroborent la théorie du compromis évolutif et ce pour différents types d’interactions hôtes-parasites : Day et al. (1993) pour Plasmodium falciparum (l’agent du palu-disme) chez l’homme,Ebert(1994) pour une microsporidie (un protozoaire) chez Daphnia magna (un Crustacé), Mackinnon et Read(1999a) pour Plasmodium chabaudi chez la souris,Messenger et al. (1999) pour le bactériophage f1 chez Escherichia coli etJensen et al.(2006) pour Pasteuria ramosa(une bactérie castratrice) chez Daphnia magna. De nombreux théoriciens ont aussi exploré comment de tels compromis peuvent émerger à partir des interactions entre les pathogènes et le système immunitaire de l’hôte en fonction de l’écologie de la transmission à leur hôte (Anderson et May 1982,Sasaki et Iwasa 1991,Antia et al. 1994,Ganusov et al. 2002, Gilchrist et Sasaki 2002,

Ganusov et Antia 2003,André et al. 2003).

Afin de relever le défi lancé parEbert et Bull(2003), nous étendons les approches précédentes pour étudier dans quelles conditions un compromis évolutif émerge dans un système hôte-parasite où l’hôte est capable de monter une réponse immunitaire qui contient (mais n’élimine pas) le pa-rasite et s’il émerge, quelle est la concavité de la fonction de compromis. Nous étudions ensuite l’influence des paramètres sur cette convexité et sur la virulence évolutivement stable (VES) qui en découle. Enfin, nous verrons comment la VES peut être manipulée. Nous discuterons nos résultats à la lumière des conséquences des vaccins imparfaits prédites parGandon et al.(2001b) sur la base d’un modèle qui n’incluait pas explicitement les dynamiques intra-hôte.