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Un habitat de qualité, constituant essentiel de la qualité de vie

C. Un enrichissement de la réflexion architecturale et urbanistique par les sciences humaines et sociales

1. Un habitat de qualité, constituant essentiel de la qualité de vie

Dans un travail consacré à l’habitat, l’agence d’urbanisme de l’agglomération lyonnaise précise que « Les sciences sociales apportent, selon la posture disciplinaire retenue, plusieurs approches de 'l’habiter'. » Au-delà de l’aspect matériel et économique du « produit logement » et outre l’analyse écologique de l’habitat, « l’habiter » focalise la réflexion sur l’organisation des modes de vie sous tous leurs aspects, à travers les approches philosophiques, socio-anthropologiques et psychosociales  »45. Cette manière d’appréhender les questions de logement et d’habitat selon les auteur.e.s, est constitutive d’une « démarche qualitative », laquelle « ouvre la voie d’une réflexion encore plus approfondie ».

Michel Cantal-Dupart, architecte-urbaniste, lors de son audition en section, a défini le champ de l’habitat comme étant celui « des gens dans leur ville ». Il commence par le logement, s’étend au voisinage - l’appartement d’à côté, ou du dessous, ou la maison voisine - ou bien à l’absence de voisinage immédiat. Mais l’habitat, a précisé l’auditionné, c’est aussi « le pied de mon immeuble, ma rue et ma relation à tous les équipements, tous les services ». Si l’emploi n’en fait pas partie, le chemin qui y conduit en serait le prolongement, « ce temps » étant inclus

44 Les politiques du logement en France, cité.

45 Agence d’urbanisme pour le développement de l’agglomération lyonnaise ; Habitat et modes de vie - un état des savoirs théoriques et des pistes de réflexion appliquées ; tome 1, décembre 2012.

AVISDÉCLARATIONS/SCRUTINRAPPORTANNEXES dans ce que l’auditionné a appelé « le temps de l’habitat »46. Cette description de l’habitat

rejoint celle d’un philosophe, Thierry Paquot qui écrit que « L’habitat, dans le sens commun »,

« comprend l’habitation et tous les itinéraires du quotidien urbain ». « Celui-ci (l’habitat) déborde.

Je réside bien dans ce trois-pièces de cet immeuble, mais mon habitat véritable embrasse plus large, il intègre la cage d’escalier et l’ascenseur, le hall d’entrée, le local à bicyclettes, les abords immédiats de l’immeuble, le cheminement qui mène à la rue, les rues voisines qui desservent la station de RER, l’école, la boulangerie, le jardin public… Mon habitat est extensible47.  » Au-delà du toit, du foyer, l’habitat apparaît donc comme cet espace socialement organisé dont la qualité permet à l’être humain de s’épanouir sur les plans individuel et familial en interrelation avec la vie collective.

Lors de son audition par la section, Guy Tapie, sociologue et professeur à l’école d’architecture et du paysage de Bordeaux, a rappelé en ce sens « l’importance des questions d’habitat dans nos sociétés » et souligné « qu’il s’agit d’un élément primordial de la vie individuelle et collective… le «chez-soi», le domicile, le lieu de vie, comporte une dimension identitaire majeure et incorpore des repères collectifs, des codes partagés. On se reconnaît, on se pose, on se forge une identité individuelle et de groupe. On peut également être exclu au travers de l’habitat »48.

L’auditionné a indiqué que très schématiquement, la sociologie avait considéré jusqu’à la fin des années 1970 l’espace habité comme une projection de l’identité de classe, ouvrière ou bourgeoise, relevant sur cette base des processus d’exclusion ou de domination qui lui paraissaient être à l’œuvre dans l’habitat. Les sociologues ont ensuite effectué un recentrage de leurs réflexions sur les choix opérés par les individus en fonction de leurs expériences, de leurs désirs, de leur appartenance catégorielle (âge, sexe…), de leur statut (locataire ou propriétaire) et de leurs trajectoires résidentielles en tenant compte des parcours de vie de chacun.e.

Les sociologues n’en relèguent pas pour autant au second plan les questions sociales, et en particulier celle des inégalités sociales, mais leurs approches sont plus diversifiées afin de mieux appréhender toute la richesse des besoins et des usages au travers de ce que l’auditionné a appelé la « qualité de vie ». Bien entendu, les travaux sur l’exclusion, les ghettos, le mal-logement conservent toute leur actualité et leur importance, mais les trajectoires résidentielles sont devenues de plus en plus complexes et les aspirations en matière d’habitat également - ce qui ne peut que susciter l’intérêt des sciences sociales et humaines.

C’est dans le champ de ces dernières et plus précisément de la géographie que la question des inégalités entre les femmes et les hommes dans la ville semble avoir été le mieux approfondie. En géographie, le développement des études de genre, autrement nommées « les géographies du genre », constitue une véritable innovation. Cette dimension de l’approche de genre est devenue essentielle pour analyser la qualité de vie dans l’habitat, en particulier dans les espaces urbains.

46 Audition devant la section de l’environnement de Michel Cantal-Dupart, du 12 octobre 2016.

47 Thierry Paquot ; Habitat, habitation, habiter, Ce que parler veut dire ; Informations sociales Logement, habitat cadre de vie n° 123, mai 2005.

Rapport

Dans un même lieu, hommes et femmes se sentent-ils.elles « chez eux.elles » à égalité et avec la même aisance ou familiarité, en retirent-il.elle.s le même profit social, dans les mêmes dimensions de l’espace et à toute heure ? Les travaux sur le genre apportent globalement une même réponse : l’espace public, l’habitat, sont pensés pour les hommes par des hommes, et sont donc souvent ignoré.e.s les pratiques, usages et besoins des femmes. Des chercheurs et chercheuses, bien qu’encore peu nombreux.euses, s’intéressent à cette articulation entre géographie et genre au même titre qu’à la géographie sociale qui est bien antérieure. Le phénomène s’étend aujourd’hui aux professionnel.le.s de l’urbanisme, de l’architecture et de l’aménagement49, aux collectivités territoriales de plus en plus attentives à la nécessité de favoriser l’égalité et de penser un espace adapté aux hommes comme aux femmes. À titre d’exemple, la ville de Paris a publié en octobre 2016 un guide méthodologique pour une ville égalitaire50.

L’approche de genre, qui rend visible le sentiment d’insécurité récurrent qu’éprouvent les femmes dans les espaces publics amène également à penser l’insécurité que peuvent ressentir femmes et hommes, jeunes et personnes âgées, à certaines heures et certains endroits dans de nombreux quartiers, sentiment qui peut parfois conduire les hommes à adopter les stratégies d’évitement et de contournement qui sont habituellement propres aux femmes. Ceci pose l’enjeu de «  présence territoriale  » notamment des pouvoirs et services publics et de leur rôle, ainsi que celui de la mixité.

En matière de qualité de l’habitat et surtout de sa composante primordiale, le logement, Guy Tapie a rappelé qu’elle était devenue pour une part une « routine inconsciente ». Il a évoqué à ce propos, l’accès à des services qu’il a qualifiés « d’invisibles » pour le plus grand nombre d’habitant.e.s dans la société française, comme l’eau, le gaz, l’électricité, le téléphone, l’évacuation des eaux usées et désormais les réseaux de communication… On rappellera que selon le recensement de l’INSEE de 1954, à Paris, 55 % des appartements n’avaient pas de WC, 82 % de salle d’eau, 83 % de téléphone51. Sur l’ensemble de la France, 28,9 % des logements disposaient d’une baignoire ou d’une douche en 1962, 93,5 % en 1990 ; pour les WC intérieurs les chiffres étaient respectivement de 40,5 % et de 93,5 %, ce qui montre l’importance de l’effort d’amélioration accompli en moins de trente ans.

Cependant, un espace ou un logement, même de qualité, n’est pas habité de ce seul fait, du seul fait d’une présence  : « il l’est dans la mesure où s’effectue un certain processus d’appropriation »52.

Guy Tapie a longuement développé ce thème, l’appropriation se déclinant selon lui

« sur trois registres » : « le premier renvoie à l’image de l’architecture et du lieu de vie », celle que perçoit le, la futur.e résident.e du bâtiment dans son environnement, à l’occasion du premier contact avec son habitat. Le second « renvoie aux relations de voisinage, à la cohabitation,

49 Sylvette Denèfle (éd.) ; Utopies féministes et expérimentations urbaines ; Rennes, PUR 2008.

50 Guide adressé aux acteurs et actrices chargé.e.s de l’aménagement, la planification, l’organisation, l’animation et la régulation de l’espace public. Il a pour vocation de les accompagner dans la mise en œuvre de choix urbains qui répondent à l’impératif d’égalité, en généralisant les nouvelles initiatives destinées à favoriser la mixité de l’espace public et à rendre les villes plus adaptées à tous les usages (voir api-site.Paris.fr).

51 Christian Queffélec, rapport déjà cité.

52 Agence d’urbanisme de l’agglomération lyonnaise ; Habitat et modes de vie ; déjà cité.

AVISDÉCLARATIONS/SCRUTINRAPPORTANNEXES à la sociabilité », le renforcement du « chez-soi » n’abolissant pas le besoin de « sociabilité

résidentielle ». « Actuellement, les types d’habitat qui prônent la participation tout comme les résidences intergénérationnelles font de cette solidarité une base essentielle des projets pour contrer l’entre-soi des résidences sécurisées ». Le troisième renvoie « à la vie intérieure dans le logement » et à ses évolutions. L’appropriation se transforme comme la famille elle-même se transforme, « les adolescents ont leurs espaces comme les parents ». Le projet familial revêt moins d’importance qu’il y a quarante ans, chacun « revendique un espace de vie propre » conçu comme nécessaire au développement de sa propre identité.

L’appropriation, « produit de l’ajustement des pratiques entre ces trois  dimensions  », devient potentiellement un instrument d’appréciation de la qualité.

2. Une perception différente des enjeux environnementaux