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2 PROBLÉMATIQUE, MÉTHODOLOGIE ET ANALYSE DU CORPUS

2.1 Orientation générale

2.1.2 Un exotisme postcolonial

Associé au colonialisme et à un pittoresque de pacotille, l’exotisme semble ainsi s’être disqualifié tout au long du XXe siècle, au fur et à mesure que progressaient les idées

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d’anticolonialisme et de relativisme culturel. Déjà dans les premières années du siècle, Victor Segalen s’interrogeait sur l’utilisation de ce mot « compromis et gonflé, abusé, prêt d’éclater, de crever, de se vider de tout », livrant au passage une longue énumération des « clichés » qui décrédibilisent désormais le terme :

je ne l’ignore et ne le cache point : ce livre décevra le plus grand nombre. Malgré son titre un peu compromis déjà, il y sera peu question de tropiques et de palmes, de cocotiers, aréquiers, goyaviers, fruits et fleurs inconnus ; de singes à face humaine et de nègres à façons de singes ; on n’éprouvera point de « grandes houles » ni d’odeurs ni d’épices ; si ce n’est comme épices même, ou très exactement, hors-d’œuvre, préparant grossièrement aux services plus substantiels. On y mènera peu de croisières dans les îles les plus reculées du monde. Il y coulera quelques larmes de couleur, mais en quantité facilement tarie. On ne compte point déplorer des « incompréhensions » mais au contraire les louer à l’extrême […]. Car c’est bien tout cela que renferme aujourd’hui le mot dont il départ : Exotisme. Mot compromis et gonflé, abusé, prêt d’éclater, de crever, de se vider de tout. J’aurais été habile en évitant un mot si dangereux, si équivoque. En forger un autre ? […]. J’ai préféré tenter l’aventure, et garder ce qui m’a paru bon, foncièrement, malgré ses galvaudages ; mais j’ai tenté, en l’épouillant d’abord, et le plus rudement possible, de lui rendre, avec sa valeur ancienne, toute la primauté de sa saveur140.

Beaucoup plus récemment, Jésus Aguila adopte le même parti et tente lui aussi « l’aventure » en appliquant le terme d’exotisme à des créations de la seconde moitié du XXe siècle, non sans avoir pris soin au préalable de distinguer ce nouvel exotisme de celui du XIXe siècle. Il réfute ainsi l’association systématique de l’exotisme à un conservatisme musical suranné :

passons sur l’exotisme musical au sens étroit du terme. Directement hérité du XIXe siècle et du début du XXe siècle, il ne retient des cultures musicales étrangères que les aspects les plus anecdotiques et superficiels […]. Disqualifié sous sa forme étroite, l’exotisme n’a [cependant] pas pour autant disparu durant la seconde moitié du XXe siècle. Il s’est perpétué sous des formes qui n’ont pas toujours été synonymes de régression ou de conservatisme esthétique, bien au contraire. Entre 1950 et 1970, le dépaysement exotique recelait encore de nombreuses possibilités de stimuler et de ressourcer des compositeurs qui traversaient des périodes d’épuisement psychique, de doute, ou qui furent envahis par une sensation d’usure ou d’inadéquation du langage musical occidental. Cette forme d’exotisme musical a perpétué la tradition des longs

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voyages d’artistes au XIXe siècle, qui cherchaient à fuir les réalités du monde occidental en s’isolant dans des pays lointains et idéalisés […]141.

N’est-il donc pas temps, en procédant à une redéfinition du terme et en l’élaguant de ses scories coloniales, de lever le tabou de l’exotisme ?

2.1.2.1 Postcolonial : jalons

Réalité protéiforme s’il en est, le courant postcolonial se présente comme un domaine hétérogène difficile à définir de façon précise tant il embrasse d’opinions diverses, voire opposées ;

c’est une nébuleuse plus qu’une école, et un registre de pensée critique et de questionnement plus qu’une doctrine constituée, qui se dérobe à toute définition simple en termes de contenu […]142.

L’orthographe même du mot fait débat : faut-il l’écrire avec ou sans trait d’union ?

[la question du trait d’union est] une question importante […]. La distinction réside dans le fait de penser le postcolonial comme ce qui vient après la colonisation (sans trait d’union) ou bien de penser le postcolonial comme tout ce qui procède du fait colonial, sans distinction de temporalité (avec trait d’union)143.

En France, un consensus semble toutefois se dessiner en faveur de l’orthographe sans trait d’union (que nous adoptons ici), justementpour ne pas réduire le préfixe post à sa dimension temporelle :

Loin de souligner une étape de type chronologique (le processus anticipant et débordant la stricte ère de la décolonisation), l’orthographe avec trait d’union adoptée par les chercheurs vise à produire une forme de geste ostentatoire de disjonction, marquant à la fois l’espace d’affirmation d’une différence et la béance impossible à combler de l’inadéquation entre la langue d’écriture et l’expérience de cette différence. […] L’usage actuel en France tend [cependant] à renoncer [à ce trait d’union] dans la composition lexicale lorsqu’elle a cette

141 Jésus Aguila, « Musique savante occidentale et cultures extra-européennes, 1950-1980 », op.cit., p 1166-1167

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Jacques Pouchepadass, « Le projet critique des postcolonial studies entre hier et demain », La situation postcoloniale, Paris, Presses de Sciences Po (P.F.N.S.P.), «Références», 2007, 456 pages, URL : www.cairn.info/la-situation-postcoloniale--9782724610406-page-173.htm

143Akhil Gupta, « Une théorie sans limite », in Marie-Claude Smouts, La situation postcoloniale, Presses de Sciences Po (P.F.N.S.P.) « Références », 2007, p. 218-222

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valeur - précisément pour ne pas risquer d’assigner le préfixe « post » au rôle de marqueur chronologique [c’est nous qui soulignons].144

S’il est difficile de définir la pensée postcoloniale, on peut toutefois relever, chez les différents auteurs qui s’en réclament, des convergences d’intérêt propres à la circonscrire. Le « postcolonial » apparaît ainsi préoccupé en premier lieu par les ex-colonies et par l’impact de l’épisode colonial sur leur présent :

Le qualificatif « postcolonial » renvoie moins […] au constat empirique que les empires coloniaux appartiennent au passé qu’à un projet de dépassement par la critique de ce qui survit aujourd’hui encore de ce passé dans les manières de voir et les discours qui les expriment145.

Cette continuité entre le présent et le passé colonial est également mise en exergue par l’un des ouvrages fondateurs concernant la littérature postcoloniale :

Nous emploierons […] le terme « postcolonial » pour recouvrir toute culture affectée par le processus impérial depuis le moment de la colonisation jusqu’à nos jours. Car il y a une continuité de préoccupations qui court tout au long du processus historique initié par l’agression impériale européenne […]. En ce sens, ce livre s’intéresse au monde tel qu’il existe avant et après la période de la domination des empires coloniaux européens et à ce que cela induit dans la littérature contemporaine146.

Cet impact du passé colonial s’exprime à travers la production culturelle des ex-colonisés et dans le cadre d’une domination hégémonique dont la pensée postcoloniale postule qu’elle n’a pas disparu avec les processus de décolonisation. Il ne s’agit plus là d’une domination économique et politique mais d’un processus plus insidieux reposant sur l’idée que le « progrès » passe obligatoirement par le modèle culturel européen, tout ce qui ne s’y conforme pas étant automatiquement pensé comme « synonyme d’arriération, d’anomalie, de ratage, voire de danger »147

. Il est alors difficile, voire impossible, pour les peuples colonisés d’accéder à une « représentation de soi valorisée et constructive » en raison du « dénigrement culturel, oppression

144 Martine Mathieu-Job, Préface à l’édition française, in Bill Ashcroft, Gareth Griffiths et Helen Tiffin,

L’empire vous répond. Théorie et pratiques des littératures postcoloniales, Presses Universitaires de

Bordeaux, Pessac, 2012 pour la traduction française, format Kindle emplacement 58

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Jacques Pouchepadass, op. cit.

146 Bill Ashcroft, Gareth Griffiths et Helen Tiffin, op.cit., format Kindle emplacement 131

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consciente et inconsciente de la personnalité indigène et de sa culture par un modèle racial et culturel prétendument supérieur »148

. Kocoumbo, l’étudiant Noir du roman éponyme de Aké Loba, a parfaitement intégré aussi bien cette infériorisation que la propagande colonialiste qui l’accompagne :

Les Européens sont moins égoïstes qu’on ne le croit. Ces hommes-là ont travaillé ; aujourd’hui, moi, Kocoumbo, qui ne connaît rien d’eux, j’en profite. Je suis bien au chaud dans un petit train sous la terre […]. Oui, c’est beau, c’est merveilleux, c’est magnifique, c’est un travail magique ! L’Européen travaille, c’est incontestable ! Il travaille pour tout le monde, pour l’homme d’aujourd’hui comme pour l’homme de l’avenir.149

Cet aspect du colonialisme est d’autant plus pernicieux qu’il ne disparaît donc pas avec l’indépendance et que ce sont souvent les ex-colonisés qui réclament cette marche vers le progrès, les États-nations nés des indépendances s’engageant en général « en faveur de politiques de modernisation interne d’inspiration occidentale »150

.

Ce colonialisme ne colonise pas seulement les corps mais aussi les entendements. […] L’Occident est maintenant partout, en Occident et ailleurs, dans les structures et dans les esprits […]. Le colonialisme habite avant tout dans la conscience des gens, et c’est là en dernière analyse qu’il doit être abattu151.

Combinant ces différents aspects, Koffi Anyinefa opte pour une définition très générale du postcolonialisme comme

pratique d’écriture et de lecture dévoilant et condamnant les structures de domination et de subordination des discours culturels s’originant dans l’histoire du colonialisme européen.152

« Pratique d’écriture » car c’est d’abord dans la littérature que sont apparues, au détour des années 60, les premières émergences d’une pensée postcoloniale. Étaient alors considérées comme postcoloniales les productions d’auteurs issus des anciennes

148 Bill Ashcroft, Gareth Griffiths et Helen Tiffin, op.cit., format Kindle emplacement 271

149 Aké Loba, Kocoumbo, l’étudiant Noir, Flammarion, Paris, 1960, p 90, cité in Koffi Anyinefa, « Le métro parisien, figure de l’exotisme postcolonial », in French Forum vol. 28, n°2, 2003p 77-98

150Jacques Pouchepadass, op.cit.

151 Ashis Nandy, L’ennemi intime. Perte de soi et retour à soi sous le colonialisme, Paris, Fayard, 2007, cité in Jacques Pouchepadass, op. cit.

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colonies - et en premier lieu des pays de l’ancien Empire britannique - et développant les thèmes de « quête de l'identité, redécouverte d'une histoire propre, déconstruction des modèles culturels hérités du colonialisme »153

. Ce n’est qu’une vingtaine d’années plus tard que naîtra le courant des postcolonial studies, lecture critique dont Edward Saïd pose la première pierre en 1978 avec Orientalism. Ce courant initie une réflexion générale s’intéressant d’abord à la littérature puis transcendant peu à peu les domaines d’études pour devenir une posture réflexive, grille de lecture applicable à n’importe quel champ disciplinaire :

le domaine des études postcoloniales ne se réduit plus comme il y a quinze ans aux écrits d’une poignée de romanciers et de théoriciens vedettes, et le projet intellectuel qu’elles incarnent s’est immensément vulgarifié et diversifié […]. On commence à appliquer des analyses de type postcolonial à toutes les sociétés passées ou présentes ayant subi une forme de conquête ou de domination étrangère, y compris l’Antiquité et les époques médiévales, et des aires jusqu’ici hors champ comme l’Asie orientale […]. On peut en conclure soit que les postcolonial studies sont en voie d’effacement par dilution, soit au contraire qu’elles ont réussi. Il est clair en effet que tous les nouveaux domaines d’études qui, à l’instar des postcolonial studies, se pressent depuis vingt ou trente ans dans la brèche ouverte par les cultural studies […] n’ont pas nécessairement comme destination première de s’y enkyster sous forme de disciplines constituées ou de départements d’université mais plutôt de prendre pied dans les domaines scientifiques institutionnalisés, de les décentrer et de les désenclaver en les investissant de l’intérieur. Le projet critique des postcolonial studies est en ce sens réussi : si elles perdent de leur spécificité, c’est pour une part parce-que les sciences sociales (anglophones) dans leur ensemble se « postcolonialisent » 154.

Au-delà de ces aspects, la pensée postcoloniale se caractérise par une visée sur le futur, une espérance quant aux relations interculturelles à venir. Revenant sur la signification du préfixe post, Marie-Claude Smouts ouvre ainsi le champ du postcolonial sur cette espérance en une humanité nouvelle :

Le mot « postcolonial » traduit cette situation d’enchevêtrement des temps et des territoires. Le « post » ne renvoie pas à une notion de séquence avec un « avant » et un « après ». Il englobe toutes les phases de la colonisation : le temps des empires, le temps des indépendances, la période qui a suivi ces indépendances, le temps d’aujourd’hui. Il exprime également un « au-delà » qui est une résistance, une visée et une espérance : résistance aux représentations

153Jean-Pierre Durix, Jean-Louis Joubert, « Postcoloniales littératures », Encyclopædia Universalis [en ligne], consulté le 30 septembre 2015. URL : http://www.universalis.fr/encyclopedie/litteratures-postcoloniales/

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étouffantes de l’Autre comme semblable mais inférieur ; visée de repenser les expériences historiques fondées sur la domination pour les reformuler en une histoire partagée ; espérance d’une reconnaissance réciproque redonnant à chacun son histoire, sa culture et sa dignité155.

De la même façon, Achille Mbembe rappelle que « la pensée postcoloniale insiste sur l’humanité-à-venir, celle qui doit naître une fois que les figures coloniales de l’inhumain et de la différence raciale auront été abolies » 156

. Quant à Edward Saïd, il n’est pas en reste lorsqu’il appelle de ses vœux la disparition pure et simple de la distinction Orient / Occident :

[j’espère] avoir contribué ici à une meilleure compréhension de la manière dont la domination culturelle a opéré. Si cela peut encourager un nouveau rapport avec l’Orient, en fait éliminer complètement « l’Orient » et « l’Occident », nous aurons fait quelques pas dans le processus de ce que Raymond Williams appelle le « désapprentissage » de « l’esprit de domination ».157

2.1.2.2 Jean-Claude Eloy postcolonial ?

Il s’agit à présent de mettre en parallèle les prises de position de Jean-Claude Eloy avec la pensée postcoloniale, de nombreux éléments de convergence semblant exister entre les deux. On trouve une première forte concordance dans l’idée que la domination occidentale, loin d’avoir pris fin avec les décolonisations, continue à exister de façon insidieuse dans le domaine culturel. Ainsi que nous l’avons vu, le compositeur déplore en effet à plusieurs reprises non seulement l’influence généralisée des musiques occidentales, mais également le fait que ces musiques soient plébiscitées par les sociétés non occidentales comme marque de « progrès ». Il rejoint ainsi les penseurs postcoloniaux pour lesquels il est impératif que les ex-colonies se défassent de l’idée que seule la culture européenne est synonyme d’émancipation. Ces constatations se prolongent tout naturellement chez Eloy par une recherche « d’authenticité » que l’on peut assimiler à la quête identitaire des écrivains postcoloniaux : tandis que ces derniers cherchent à retrouver et à réhabiliter une identité infériorisée par l’épisode colonial, Eloy s’insurge, nous l’avons vu, contre les « occidentalismes » dont se rendent « coupables » certains musiciens non occidentaux. Là encore, il s’agit de condamner

155 Marie-Claude Smouts, « Introduction / Le postcolonial pour quoi faire ? », in Marie-Claude Smouts, op.cit. p. 25-66.

156 Achille Mbembe et al., « Qu'est-ce que la pensée postcoloniale ? », Esprit 2006/12 (Décembre), p. 117-133.

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l’influence occidentale en regrettant que les musiciens de culture extra-européenne ne cherchent pas à renouer avec leurs propres traditions. Ce retour à une situation culturelle « pré-occidentale » est également la solution prônée par certains penseurs postcoloniaux pour lesquels la colonisation peut être considérée comme « un trait historique éphémère que l’on peut laisser derrière soi » 158

.

Au-delà de ce rejet de l’hégémonie européenne et de cette préoccupation pour la préservation des identités, c’est dans l’idée d’une « humanité à venir » que l’on trouve un autre point de ressemblance entre la pensée de Jean-Claude Eloy et le courant postcolonial. Cette humanité nouvelle, basée sur l’égale dignité des cultures et abondamment présente chez les penseurs postcoloniaux, prend chez Eloy, ainsi que nous l’avons vu, la forme d’une utopie musicale dans laquelle les compositeurs pourraient librement se référer à n’importe laquelle des traditions musicales du monde. Jean-Claude Eloy est-il alors un compositeur postcolonial ?

L’on pourrait certes arguer que le qualificatif de postcolonial est surtout consenti à des créateurs issus des anciennes colonies. Il n’est d’ailleurs pas inutile de rappeler l’ambiguïté de l’attribution de ce « label », certains se voyant « relégués » malgré eux aux rayons de la littérature postcoloniale du seul fait de leur origine et de cette interrogation menée sur les « identités plurielles »159

issues du fait colonial. Mais nous avons vu que la réflexion d’Eloy porte sur les mêmes phénomènes culturels : il semblerait alors totalement infondé de refuser au compositeur le qualificatif de

postcolonial du simple fait de son origine métropolitaine. Quant à l’argument selon

lequel la réflexion d’Eloy porte majoritairement sur le Japon, pays qui n’a jamais véritablement été constitué en colonie, il suffit, pour le balayer, de rappeler que la pensée postcoloniale repose sur le constat de la démarcation entre Orient et Occident et qu’elle s’ouvre, entre autres, à l’étude de tous les rapports de domination qui en découlent. Comme nous l’avons déjà souligné, Jacques Pouchepadass rappelle par ailleurs que

[L’on] commence à appliquer des analyses de type postcolonial à toutes les sociétés passées ou présentes ayant subi une forme de conquête ou de

158 Bill Ashcroft, Gareth Griffiths et Helen Tiffin, op.cit., format Kindle emplacement 666

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domination étrangère, y compris l’Antiquité et les époques médiévales, et des aires jusqu’ici hors champ comme l’Asie orientale160.

2.1.2.3 Traquer les continuité exotiques161

Il peut sembler incongru de chercher à rapprocher les termes d’exotisme et de

postcolonial tant les idéologies qu’ils recouvrent sont divergentes. En effet, si

l’exotisme et la pensée postcoloniale partagent la même préoccupation pour l’altérité non occidentale, ils l’expriment dans deux cadres de pensée radicalement opposés. Ainsi que nous l’avons vu, le postcolonial se nourrit en effet du relativisme culturel né de la réflexion anticoloniale tandis que l’exotisme, s’il n’exclut pas une certaine fascination pour l’Autre, souscrit toutefois largement à l’idée d’une hiérarchie des cultures. Ce rapprochement difficile entre les deux termes est également constaté per Kofi Anyinefa :

comment penser l’exotisme et le postcolonial en même temps ? En d’autres mots, est-il possible de lier ces deux concepts à première vue si diamétralement opposés ? En effet, pris dans son sens général (du moins celui que lui attribuent couramment les études littéraires et culturelles contemporaines) de représentation (surtout dépréciative) que s’est faite l’Europe des peuples non-européens, l’exotisme ferait difficilement lit avec la notion, elle aussi généralement acceptée, de postcolonialisme. […] Dans ce sens […] l’exotisme serait « colonialiste » et le postcolonialisme, dans son attitude critique du colonialisme et de ses incidences, son antinomie162.

Au-delà de ces dissemblances flagrantes, pourtant, il existe au sein même du mouvement postcolonial certaines continuités exotiques qui autorisent à interroger le concept d’exotisme postcolonial.

Définissant l’exotisme, à la suite de Segalen, comme « la perception du Divers », Koffi Anyinefa épure le terme de ses « relents colonialistes » et résout ainsi la contradiction apparente du couple exotisme/postcolonial. Il décrit alors comme exotisme postcolonial « tout discours culturel portant sur les ex-métropoles et qui émanerait de ressortissants d’anciennes colonies »163

. Ce concept nouveau met en lumière une sorte d’inversion de

160 Pouchepadass Jacques, op.cit.

161 Nous détournons là une expression employée par Marie-Claude Smouts au sujet de travaux d’historiens s’attachant à « traquer les continuités coloniales dans les imaginaires comme dans les comportements », in Claude Smouts, « Introduction / Le postcolonial pour quoi faire ? », in Marie-Claude Smouts, op.cit., p 25-66, note 2

162 Koffi Anyinefa, op.cit.

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l’exotisme, la « sensation d’étrangeté » naissant à l’égard des ex-métropoles chez des ex-colonisés qui prennent désormais la parole (« d’objet du discours, l’ex-colonisé devient sujet du discours ») : « Cet exotisme de ‘renvoi’ est postcolonial dans la mesure où il se constitue en contre-discours, répondant à un autre exotisme, colonial celui-là