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Les caractéristiques de l’œuvre

1.2 L’œuvre de Jean-Claude Eloy

1.2.2 Les caractéristiques de l’œuvre

Jean-Claude Eloy développe cependant une grande expertise dans ce domaine à partir de son premier séjour, en 1972-73, au studio du WDR à Cologne.

Les œuvres de Jean-Claude Eloy ont été éditées par Heugel, Amphion et Universal Editions tandis que les enregistrements étaient publiés par Adès, Erato ou Harmonia Mundi55

.

Nommé Chevalier de l’Ordre des Arts et des Lettres en 1983 le compositeur a en outre été récompensé de plusieurs prix tout au long de sa carrière :

• Prix de la Biennale de Paris en 1963

• Grand prix de la musique de chambre SACEM en 1971 • Grand prix de l’Académie Charles Cros en 1974

• Grand Prix National de la musique, Ministère de la Culture, en 1981 • Grand prix de la musique symphonique en 1985

1.2.2 Les caractéristiques de l’œuvre

1.2.2.1 Généralités

Alors que ses premiers travaux trouvent leurs racines dans la musique française des premières décennies du XXe siècle, Jean-Claude Eloy découvre, à l’âge de dix-huit ans, la musique sérielle et post-sérielle :

On ne m’avait absolument rien appris de l’École de Vienne en France ! On allait jusqu’à Fauré et c’était tout ! […] J’ai assisté aux premières auditions en France des œuvres de Webern dans les années 60. Vous ne pouvez pas imaginer la coupure que cela a représenté56.

Mais après quelques œuvres d’esprit sériel le compositeur s’éloigne de cet héritage. C’est Kâmakalâ, œuvre écrite en 1971, qui marque la rupture définitive avec le sérialisme, notamment grâce à la thématique « extra-européenne » qui la sous-tend : 53 Ibid. p 18

54 Jean-Claude Eloy, Le chemin vers la voix claire ou la reconnaissance des identités acoustiques, op. cit., p 80

55 Jean-Claude Eloy, mail du 23 septembre 2017

56 Jean-Claude Eloy, Le chemin vers la voix claire ou la reconnaissance des identités acoustiques, op. cit., p 11

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Dans Kâmakalâ, [cette thématique était] aussi une manière de m’affirmer et de prendre certaines distances avec mon passé, et face au post-sérialisme. J’avais été considéré dès le départ de ma vie de compositeur, à travers le Domaine musical, comme une sorte de « fils » de Boulez […] Au bout de quelques années, j’ai eu l’impression qu’on tournait en rond et que c’était bien de reprendre les choses derrière Boulez, mais qu’il fallait essayer d’aller au-delà57.

Kâmakalâ marque également l’ouverture de Jean-Claude Eloy à l’électroacoustique. Le

compositeur raconte en effet que des assistants de Stockhausen, frappés par le traitement « électronique » des clusters de cordes dans l’œuvre, ont insisté pour qu’il soit invité à venir travailler au studio du WDR. Rapidement formé par un technicien à l’utilisation du studio, Eloy se lance alors dans la composition de Shânti :

C’était formidable parce qu’il n’y avait pas de présupposé. J’étais « vierge » dans le studio et je pouvais aller suivant ma seule fantaisie imaginative. […] j’ai pu développer librement mon invention sans aucune contrainte, sans être détenteur d’une « histoire », sans avoir de compte à rendre à personne, à l’écart des « héritages », des enseignements », et de toutes ces choses qui pèsent si lourd58.

L’électroacoustique constituera désormais l’un des vecteurs essentiels de son expression.

1.2.2.2 L’attrait pour les musiques orientales

La référence aux musiques orientales occupe une place prépondérante dans l’œuvre d’Eloy qui, dès l’adolescence, commence à se passionner pour les musiques extra-européennes. Il a notamment l’occasion de se familiariser avec la musique japonaise grâce aux enregistrements rapportés par sa sœur installée à Tokyo. Ces premiers contacts sont le prélude à un attrait qui ne se démentira pas :

De cette dialectique entre ces deux grandes sources (« l’orientale » et « l’occidentale ») est née toute ma démarche de compositeur. Ceux qui se pencheront sur mes travaux en trouveront la trace quasiment constante […]59.

57 Ibid. p. 78.

58 Ibid., p. 80

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Dès lors le compositeur ne cessera plus de s’intéresser aux musiques orientales. De retour d’un séjour au Caire à la fin des années 50 il commence à fréquenter le Centre d’Études des Musiques Orientales (CEMO) créé par Nelly Caron et soutenu entre autres par Alain Daniélou et Trân Van Khé. Puis, dans les années 70, il fait partie de Raga, cercle parisien qui organise chez des particuliers des concerts privés de musiciens indiens en tournée60

. Il fera ensuite de nombreux séjours au Japon et sera le premier compositeur occidental à écrire une œuvre originale pour un chœur de moines bouddhistes61

. Il intègrera également dans certaines de ses partitions les instruments de l’orchestre du Gagaku62

tout en insistant sur son attachement à la tradition occidentale :

Au début des années 60 […] j’éprouvais le besoin de faire parler, dans ma musique, ces influences venues de civilisations lointaines avec lesquelles je vivais en forte communication et symbiose, grâce aux disques. Mais je refusais de le faire en suivant la mode de l’époque : « oublions la culture occidentale, apprenons à jouer du sitar ». […] Il faut le dire clairement : je n’ai jamais cherché à « rejeter » l’Occident, contrairement à certaines affirmations gratuites. Il s’agit bien, pour moi, d’élargir mes racines culturelles, non de les atrophier63.

De la même façon, Eloy rejettera avec véhémence les « accusations » d’exotisme dont il fait l’objet tout au long de sa carrière.

Taxer « d'exotisme » certains compositeurs des années soixante-dix ou quatre-vingt (comme cela s'est fait pour Stockhausen, Takemitsu, ou l'auteur de ces lignes…) témoigne d'un esprit passéiste, en porte-à-faux avec les aspects concrets de la réalisation des œuvres, ainsi qu'avec les relations singulières qu'elles font naître entre les cultures […] A une époque où les cosmonautes font plus de cent fois le tour du globe en une semaine, n'est-il pas temps d'en finir avec « l'exotisme », cette notion d'un autre âge ?64

Il inscrira sa démarche dans la recherche d’un multiculturalisme inéluctable à ses yeux :

60 Jean-Claude Eloy, Le chemin vers la voix claire ou la reconnaissance des identités acoustiques, op. cit., p 52

61 A l’approche du feu méditant, commande du Théâtre National du Japon créée en 1983

62 Notamment A l’approche du feu méditant (1983) et Anâhata (1984-86) 63 Jean-Claude Eloy, Entretiens avec la pianiste coréenne Sae-Jung Kim, p 31-32

64 Jean-Claude Eloy, "Orient-Occident, Pour en finir avec l'exotisme", in Jean-Pierre Leonardini, Marie Collin et Joséphine Markovits Festival d'Automne à Paris 1972-1982, Éd. Messidor/Temps Actuels, Paris, 1982, document mis à disposition par le compositeur.

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Pour moi, il existe aujourd’hui une rencontre nécessaire entre toutes les minorités musicales qui se différencient de ces modèles standardisés de dominations culturelles. D’un côté, les musiques qui se différencient par leurs traditions non occidentales de haut niveau - à travers tout l’Orient, depuis l’Extrême-Orient jusqu’aux frontières des mondes européen et musulman, arabo-andalou, et bien d’autres régions du monde. D’un autre côté, les musiques qui se différencient par leurs innovations, c’est-à-dire une partie de la musique dite « contemporaine » (celle qui n’est pas déjà entrée en institutions et académies) dans ses manifestations les plus créatrices et audacieuses […] C’est un combat spirituel autant qu’esthétique et social. Il faut prouver au monde qu’il existe encore des milliers de façons de concevoir et pratiquer « la » ou « les » musique(s), et non pas une seule musique : universelle, globalisée, télévisée, médiatisée, tour à tour « muséifiée » ou « argentifiée », massivement diffusée à travers les puissances commerciales gigantesques qui dirigent ces énormes marchés […] Le « mariage » entre les cultures est certainement l’un des plus grands phénomènes de notre époque : il s’accélère très vite. C’est de lui que naîtront ces merveilleux « enfants eurasiens » qui sont déjà, potentiellement, tout le futur de notre planète au XXIe siècle65.

1.2.2.3 La recherche sur la voix

Après s’être très tôt intéressé à la voix, Jean-Claude Eloy s’en détourne pendant les années 60 (« [Quand] j’ai commencé à me poser des questions fondamentales sur la composition, je me suis tourné plutôt vers l’orchestre, les ensembles instrumentaux, en laissant la voix et la poésie de côté66

»). Il reprendra cependant rapidement sa réflexion sur la vocalité. Prenant conscience des spécificités de la voix lyrique occidentale il entreprend, en collaboration avec l’acousticien Émile Leipp, une étude destinée à « comprendre ce qui différenciait les voix de l’Asie des nôtres, les voix de l’Orient des nôtres67

». Exposés lors de la conférence68

de 1971 au festival des SMIP, les résultats de cette étude montrent « l’épuration sonore » qui caractérise la norme acoustique occidentale, promouvant « cette voix d’ange, cet idéal d’ange asexué, ce chant pur, blanc, vierge, sans vibrato, sans glissé ni trémolo de la gorge, rien 69 ». Eloy n’émet cependant aucun jugement de valeur sur cette norme sonore :

Je crois qu’ici se trouve le fondement musical de l’Occident sur lequel s’est construit son génie : une musique qui n’est pas une musique de l’objet sonore

65 Jean-Claude Eloy, Le chemin vers la voix claire, op. cit., p 33-34

66 Jean-Claude Eloy, Entretiens avec la pianiste coréenne Sae-Jung Kim, op. cit., p 25-26

67 Ibid. p 26

68 Jean-Claude Eloy, « L’Orient et nous, la chance d’une conjoncture », conférence

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lui-même. […] C’est cette rigueur du son pur qui a été le fondement de la complexité sémantique de la musique en Occident70.

Il avoue cependant ne plus pouvoir s’en satisfaire : « Je suis arrivé à la conclusion que j’avais besoin d’autres voix, je ne pouvais plus me passionner pour la voix de soprano que j’avais utilisée quand j’avais dix-huit ans : j’avais d’autres envies71

. Cette recherche le pousse à utiliser un chœur dans Kâmakalâ afin d’obtenir plus de complexité qu’avec des voix solistes (« […] Je n’avais pas à ma disposition de voix ethniques, je ne pouvais même pas imaginer que ça serait possible un jour72

»). Ses collaborations avec les moines bouddhistes du Japon lui permettront ensuite d’intégrer à ses œuvres l’esthétique acoustique du shômyô, ce chant bouddhiste traditionnel dans lequel

[…] la notion de « fréquence exacte » (typique du chant occidental) est remplacée par la notion de champ aléatoire, liée à la pratique du portamento […]73.

Cet intérêt pour la voix se retrouve tout au long de la carrière de Jean-Claude Eloy, y compris dans les créations les plus tardives comme Chants pour l’autre moitié du ciel (1994), œuvre confiée aux interprètes Junko Ueda, Yumi Nara et Fatima Miranda et nécessitant l’utilisation d’un très large éventail de techniques vocales.

70 Ibid., p 29

71 Ibid., p 31

72 Ibid.

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2 PROBLÉMATIQUE, MÉTHODOLOGIE ET