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202. Les compétences spécifiques reconnues aux parlementaires en matière de leurs missions de contrôle constituent des potentialités supplémentaires afin de faire respecter le principe d’égalité devant le suffrage. Il s’agit du droit de saisine de la juridiction constitutionnelle en France (§1) ou du recours devant les cours suprêmes régionales en « responsabilité

constitutionnelle » des commissions de délimitation, réservé aux parlementaires, ainsi qu’aux

commissions hiérarchiquement supérieures, en Russie (§2).

§ 1. Un droit de saisine de la juridiction constitutionnelle en droit français invariablement utilisé

203. À la différence du contentieux constitutionnel russe, où le contrôle a priori ne s’exerce que sur les actes de droit international405, le contrôle de constitutionnalité français s’articule initialement autour d’un contrôle des textes avant leur promulgation. Jusqu’à l’entrée en vigueur de la QPC le 1er mars 2010, le contrôle ex ante était le seul à être pratiqué par le Conseil constitutionnel. En 1974, la loi constitutionnelle no 74-904 a élargi la liste des auteurs de la saisine du Conseil constitutionnel, en y ajoutant le droit de saisine parlementaire par 60 députés ou sénateurs.

204. En matière des découpages électoraux, les saisines parlementaires ont rendu constant le contrôle facultatif de constitutionnalité des lois. En effet, les députés et les sénateurs ont usé de leur droit de saisine en ce qui concerne tout découpage électoral406 ou toute répartition des sièges407 intervenue en France depuis la consécration du principe d’égalité devant le suffrage en matière

404 ROUX (A.), TERNEYRE (P.), op. cit., note 22, p. 266.

405 Article 3 § 1 d) de la loi organique fédérale du 21 juillet 1994 no 1-ФКЗ relative à la Cour constitutionnelle de la

Fédération de Russie.

406 Tel est le cas des découpages des circonscriptions législatives (CC, décision n° 86-208 DC des 1 et 2 juillet 1986 ;

CC, décision n° 86-218 DC du 18 novembre 1986 ; CC, décision n° 2008-573 DC du 8 janvier 2009 ; CC, décision n° 2010-602 DC du 18 février 2010), dans les territoires d'outre-mer (CC, décision n° 85-196 DC du 8 août 1985 ; CC, décision n° 85-197 DC du 23 août 1985 ; CC, décision n° 2000-438 DC du 10 janvier 2001), des secteurs de la ville de Marseille (CC, décision n° 87-227 DC, du 7 juillet 1987).

407 Cela concernait les élections sénatoriales (CC, décision n° 2000-431 DC du 6 juillet 2000 ; CC, décision n° 2003-

475 DC du 24 juillet 2003) et celles des conseillers territoriaux (CC, décision n° 2010-618 DC du 9 décembre 2010, réforme abandonnée).

d’élections politiques en 1985. Il en était de même pour la modification de l’article L. 3113-2 CGCT408. De plus, un découpage concerné peut être contrôlé « à double détente »409. Tel fut le cas des redécoupages des circonscriptions législatives où les contrôles des lois d’habilitation410 ont été succédées par les contrôles des lois de validation411. Lorsqu’un découpage est censuré dans son ensemble, comme ce fut le cas en 1985, le premier contrôle412 a été suivi par un contrôle de la loi de découpage rectifiée413.

205. Ainsi, c’est grâce aux saisines parlementaires que le Conseil constitutionnel peut déployer son contrôle du principe d’égalité devant le suffrage, et ce alors même que la possibilité de soulever une QPC en la matière fait basculer ce monopole414. Le développement de la jurisprudence constitutionnelle relative au principe d’égalité devant le suffrage est en effet passé par le biais de dialogues entre les requérants parlementaires et les juges de la rue de Montpensier.

206. À l’instar de déclenchement du contrôle juridictionnel a priori par les parlementaires (§1), une autre forme de contrôle ex ante peut être envisagée dans un pays ayant adopté le système des commissions électorales de type Westminster. Il s’agit, en droit russe, d’un recours en « responsabilité constitutionnelle » de ces dernières (§2).

§ 2. Un recours insuffisant en « responsabilité constitutionnelle » des commissions de délimitation en droit russe

207. En Russie, les prérogatives facultatives des parlementaires n’ont pas de même importance qu’en France : la majorité du contentieux électoral en général et la quasi-totalité des requêtes contestant les découpages électoraux émanent des électeurs, des candidats et des représentants des partis politiques. Une seule spécificité s’observe en matière de contrôle parlementaire.

208. Les lois fédérales et régionales établissant les exigences à suivre s’imposent à toute décision des commissions électorales. En cas de leur non-respect, l’annulation d’un arrêté illégal peut être prononcée non seulement par un juge, mais aussi par une commission électorale

408 CC, décision n° 2013-667 DC du 16 mai 2013. 409 ROUX (A.), TERNEYRE (P.), op. cit., note 22, p. 266.

410 CC, décision n° 86-208 DC des 1 et 2 juillet 1986 ; CC, décision n° 2008-573 DC du 8 janvier 2009. 411 CC, décision n° 86-218 DC du 18 novembre 1986 ; CC, décision n° 2010-602 DC du 18 février 2010. 412 CC, décision n° 85-196 DC du 8 août 1985.

413 CC, décision n° 85-197 DC du 23 août 1985.

hiérarchiquement supérieure415. Mais plus encore, lorsqu’une commission électorale prend, de manière systématique, les décisions non conformes à l’injonction ordonnée par le juge ou par la commission hiérarchiquement supérieure, ou s’abstient de toute action prescrite par ces derniers, sa dissolution peut avoir lieu du fait de la décision de justice416. La doctrine russe parle alors d’une forme de « responsabilité constitutionnelle » de manière analogue aux cas de violations fautives des exigences à valeur constitutionnelle417. L’effet d’une telle responsabilité est la fin anticipée des fonctions des membres de la commission. Or, outre les commissions hiérarchiquement supérieures, ce recours en « responsabilité constitutionnelle » est réservé à un groupe d’un tiers des parlementaires de l’assemblée législative concernée. Il s’agit ainsi d’une sanction supplémentaire dissuasive pour le personnel des commissions électorales. En même temps, les parlementaires ne peuvent agir qu’indirectement, par le biais de recours devant le juge de droit commun, ce qui garantit en principe l’indépendance des commissions vis-à-vis du pouvoir politique.

209. Malgré une sanction forte prévue par la loi électorale fédérale, son utilisation reste marginale et inexistante en matière de découpage électoral418. Ainsi, ladite prérogative des parlementaires reste sans utilisation de la sorte que les parlementaires agissent en pratique dans la même qualité que les électeurs et les candidats dans le cadre de contentieux des découpages électoraux.

210. En somme, si le rôle juridiquement conféré aux assemblées législatives en matière des découpages électoraux est primordial, c’est par leur désistement en la matière qu’elles se

415 Article 20 § 11 de la loi fédérale no 67-ФЗ du 12 juin 2002 relative aux garanties essentielles des droits électoraux

et référendaires des citoyens de la Fédération de Russie. V. infra, paragraphe 235 et s.

416 Ibidem, article 31.

417 La responsabilité constitutionnelle recouvre la responsabilité du fait d’un nombre de violations des normes, des

principes ou des exigences à valeur constitutionnelle ; il s’agit des normes de sanction de ces violations qui vont, selon la majorité de la doctrine, au-delà d’une résolution des conflits par le biais de la hiérarchie des normes et qui visent à assurer la défense de l’ordre constitutionnel. À titre d’exemple, sont considérés comme relevant de la responsabilité constitutionnelle les normes relatives à la déchéance du Président de la Fédération de Russie (la Cour constitutionnelle russe la consacre explicitement pour ce cas de figure dans l’arrêt du 7 juin 2000 no 10-П) ou à la dissolution des chambres basses fédérale et régionale (nous tenons dans notre analyse de considérer ce dernier cas non pas comme un mécanisme de « responsabilité » mais de la mise en œuvre des règles relatives à la séparation des pouvoirs). À l'instar de la procédure de déchéance du chef de l'État russe, la dissolution des commissions électorales est aussi liée à l'objectif de défense de l'ordre constitutionnel et vise notamment à empêcher les membres d'une commission, surtout pendant la campagne électorale, de reproduire des illégalités. Pour une analyse générale introductive, v. STANKINE (A.N.) « La responsabilité constitutionnelle : certaines questions théoriques » [« Konstitutsionno-pravovaya otvetstvennost’ : nekotoriye voprosi theorii »], Studia Humanitaris, no 3, 2016, p. 1-17.

418 Depuis l’introduction dans la loi électorale fédérale de cette possibilité en 2005, seules 3 requêtes ont été formées

en vue de la dissolution des commissions électorales, toutes les trois à l’initiative des commissions électorales hiérarchiquement supérieures : v. Cour de la région de Moscou, ordonnance du 28 février 2006 no 33-2481 ; Cour de

la région de Moscou, ordonnance d’appel du 24 février 2014, no 33-4691/2014 ; Cour de la région de Vladimir,

retrouvent dans la mission de contrôleurs. Pourtant, un désistement en faveur d’un monopole de l’exécutif serait un constat erroné. Dans les cas où le découpage ne relève pas d’une tâche extrêmement technique, les parlementaires préfèrent retrouver leur rôle de l’autorité chargée des découpages. Ensuite, dans le cas français, une tendance à transformer le contrôle facultatif des découpages par le Conseil constitutionnel dans un contrôle de facto obligatoire, témoigne encore une fois d’une volonté de contrôler davantage le gouvernement. Cependant, en ce qui concerne la Russie, malgré les possibilités juridiquement offertes d’amender les cartes électorales et de déclencher la procédure de dissolution des commissions électorales, les parlementaires ne recourent guère à de telles techniques.

211. Si le contrôle du principe d’égalité devant le suffrage par les autorités politiques reste efficace (Chapitre I) tant en France que, de manière moins marquée, en Russie, la portée du contrôle de l’opportunité politique des découpages électoraux par les autorités administratives diverge sensiblement dans les deux cas analysés (Chapitre II).

Chapitre II. Un cadre juridiquement ambigu du contrôle des autorités