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Un contexte d’apprentissage problématique

Dans le document The DART-Europe E-theses Portal (Page 18-23)

1.1 La formation infirmière française depuis 2009

La formation des étudiants infirmiers français s'effectue sur trois ans. C'est une formation professionnelle par alternance intégrative avec autant de temps d'apprentissage en stage sur le terrain qu'en Institut de Formation en Soins Infirmiers (IFSI). Pour articuler ces temps et garantir la continuité du projet pédagogique entre les lieux, les cadres de santé formateurs, sous l'autorité et la responsabilité du directeur, pensent et organisent la formation. En IFSI, l'équipe pédagogique coopère avec des intervenants extérieurs : des infirmiers, des médecins, des universitaires comme des anthropologues ou des psychologues, ou encore d’autres professionnels non médicaux. Ceux-ci participent à la formation théorique par des cours magistraux, en menant des travaux dirigés ou en animant des travaux pratiques. Ils agissent en respectant l'organisation de la formation réfléchie par l'équipe permanente de l'institut au regard du projet pédagogique et du référentiel de formation actuellement prescrit par l'arrêté du 31 juillet 2009 relatif au diplôme d'état infirmier (Référentiel de formation infirmière, 2009).

Concernant l'apprentissage pratique, l'équipe pédagogique d'un IFSI collabore avec un dispositif d'encadrement composé de professionnels variés. D'abord, le maître de stage, qui est souvent un cadre de santé d'unité de soins, est responsable de l'organisation pratique du stage : il planifie les horaires de travail de l'étudiant, nomme un tuteur et coordonne l'encadrement de l'étudiant. Il est garant de l'évaluation des compétences acquises sur le terrain et reçoit l'étudiant en cas de difficultés sur le lieu de stage. Ensuite, les tuteurs de stage de l'étudiant sont des infirmiers : ils centralisent toutes les informations relatives au déroulement du stage, coordonnent l'encadrement de proximité, participent à l'évaluation et se rendent disponibles en cas de difficultés éprouvées par le tutoré. Enfin, les professionnels de proximité représentent tous les acteurs agissant dans le parcours de soins d'un patient et pouvant transmettre au quotidien des savoirs aux stagiaires. Majoritairement infirmiers et aides-soignants, ils peuvent aussi être des médecins, des assistants sociaux ou des psychologues.

Le principe d’apprentissage par alternance intégrative permet aux étudiants d'effectuer sans cesse des allers-retours entre la théorie et le terrain. Ce qui est intégré en IFSI est à valider sur le terrain et ce qui est vu en stage doit pouvoir être utilisé en formation théorique. Ainsi, il incombe à l’équipe de formation de mobiliser le savoir-faire et le savoir-être acquis afin de savoir-faire le lien entre la théorie et la pratique. Par exemple,

par période de 5 semaines de stage, les étudiants sont réunis en séance de groupe d'analyse de la pratique professionnelle. Durant ce temps de formation, les étudiants exposent une situation ou une activité de soins. Le groupe ainsi que l'animateur de la séance aident l'étudiant à mesurer les écarts entre le travail prescrit et le travail réel. Il aide à la prise de recul par la mobilisation de savoir théorique, par l'identification de savoir-être et par la mise en évidence d'éléments transférables lors de futures situations de soins. Néanmoins, si cet apprentissage est riche, le contexte d’apprentissage peut parfois être déstabilisant et être à l’origine d’un mal-être vécu par certains étudiants.

1.2 Résultats des recherches précédentes

En France, cinq enquêtes publiées avant 2017 soulignent un malaise vécu par des apprentis infirmiers durant leurs parcours d’études. La première est un rapport de Lamberton et Pelège (2008) sur les interruptions et les abandons de formation dans cette filière. Selon ces chercheurs, les étudiants qui quittent précocement leurs cursus d’apprentissage ressentent un stress intense et sont amenés à manifester des symptômes cliniques allant du simple mal-être à l’épuisement professionnel. Les causes de ce vécu parfois pathologique seraient dues entre autres : à un mauvais accueil en stage, à des pressions de la part de l’encadrement, à un manque de préparation pour affronter des cas de patients difficiles notamment en lien avec la violence ou la fin de vie…

La seconde recherche, réalisée par Estryn-Behar et al. (2010), avait pour principal objectif de comprendre les causes des interruptions et des abandons dans la formation en soins infirmiers en partant de résultats annoncés par la Direction de la Recherche des Etudes, de l’Evaluation et des Statistiques (DREES) : « depuis 2000, le nombre d’étudiants cessant leurs études dans l’Hexagone varie entre 20 % et 30 % ». Grâce à une enquête quantitative à base de questionnaires, ils ont pu poser les constats suivants : chez ceux qui arrêtent leur formation avant le diplôme, 39,3 % ont présenté un syndrome de burnout. Parmi les causes évoquées par ceux-ci, certaines concernent la profession infirmière comme la surcharge émotionnelle durant des situations liées à des actes de violence ou de mort par exemple, et le décalage entre la théorie et la pratique. Également, des problèmes psychologiques personnels (56,3 % d’entre eux) seraient une autre cause de leurs souffrances. De plus, les spécificités liées à leur apprentissage sont citées comme fortement déstabilisantes : 61,4 % parlent d’un « climat d’intimidation et de harcèlement » en stage et 55,3 % d’entre eux l’expliquent par des soignants référents jugés comme peu pédagogues.

La troisième enquête a été réalisée à Marseille auprès de promotions infirmières dans le cadre d’ateliers d’apprentissage sur la gestion du stress (Botti, Foddis, Giacalone, Olive, 2011). Cette enquête a donné lieu à un article sur une réflexion autour de la prévention du burnout chez ce type d’étudiants. En effet, au-delà de symptômes de nervosité inhérents à la vie en général, aux situations d’apprentissage ou au travail de soins, ces étudiants seraient nombreux à souffrir d’un stress allant jusqu’à l’épuisement professionnel. Le stress et le burnout ont été confirmés par leur enquête au moyen notamment de l’échelle Malash Burnout Inventory.

La quatrième investigation a été menée à l’initiative de la Fédération Nationale des Etudiants en Soins Infirmiers (FNESI) par Lamaurt, et al. (2011) à la suite de la première enquête d’Estryn-Behar et al. (2010) citée plus haut. Elle a permis de souligner le constat d’un vécu stressant durant cette formation, qui se dégraderait au fur et à mesure de leur avancée dans le parcours scolaire infirmier. Les étudiants interrogés énoncent les causes suivantes : un rythme d’enseignement trop soutenu, une formation décrite comme médiocre ou mauvaise, des conditions difficiles d’apprentissage en stage ou encore une précarité économique.

La dernière recherche se trouve dans un dossier de presse réalisé par la FNESI datant du 17 février 2015. Celle-ci fait suite à l’accumulation de témoignages d’étudiants infirmiers en souffrance et suite à la précédente enquête citée de Lamaurt et al. (2011).

Du 17 novembre au 12 décembre 2014 via les messageries internet des IFSI, cette association aurait récupéré 3522 réponses dont 3486 exploitables après tris des doublons notamment. Sur ces 3486, 3247 personnes se déclarent « étudiants en soins infirmiers » et 35 « anciens étudiants infirmiers ayant arrêté [leur] formation ». L’apprentissage est décrit par ces personnes comme violente pour les raisons suivantes : 39 % pointent un

« défaut d’encadrement » ; du jugement et du rejet avec 30 % des témoignages corrélés au « Jugement de valeur », 27 % des « difficultés d’intégration » et 24 % un « rejet de la part de l’encadrement » ; 7 % rapportent des situations de harcèlement.

1.3 Questionnement de départ

Les cinq investigations françaises citées précédemment indiquent que la formation aux soins infirmiers peut générer des souffrances. En effet, elles soulignent un contexte d’apprentissage pouvant être délétère pour les étudiants. Celui-ci serait en cause dans l’abandon précoce de cet enseignement pour environ 20 % d’entre eux qui entrent en 1re année en France. Néanmoins, 80 % de ces étudiant réussissent à obtenir leur diplôme

(Castéran-Sacreste, 2016). Ainsi, nous avons d’une part de nombreux étudiants se déclarant eux-mêmes en souffrance et d’autre part une très grande majorité achevant leur cursus scolaire. Ce constat nous invite à chercher ce qui pourrait expliquer que la plupart des apprenants en période de vulnérabilité conjoncturelle parviennent tout de même à surmonter l’adversité et à reprendre un développement suffisant pour réussir leur scolarité. Ce phénomène évoque l’engagement des étudiants dans un processus résilient dans le cadre de leur scolarité. De plus, la présentation du référentiel de formation exposée ci-dessus a mis en exergue différents professionnels qui entourent les étudiants et qui peuvent sans doute jouer un rôle dans leurs capacités à affronter et surmonter les obstacles. Ainsi, dans cette recherche, nous allons approfondir ces réflexions à partir de la question de départ suivante :

Dans quelle mesure les personnes évoluant auprès des étudiants infirmiers vulnérabilisés durant leur formation peuvent-elles constituer un maillage de tuteurs de résilience ?

L’exploration bibliographique et empirique que nous allons détaillées dans cette thèse, doit nous permettre de confirmer plusieurs hypothèses. D’abord, l’apprentissage des soins infirmiers correspondrait à une période de vulnérabilité conjoncturelle pouvant amener les étudiants à éprouver des souffrances, à manifester des signes de pathologies psychologiques ou même à se trouver en situation de vécu traumatique. Ensuite, afin de poursuivre et de terminer leurs études, ils auraient recours à des facteurs de protection et des mécanismes de défense relevant d’un processus résilient. Enfin, les personnes qui entourent ces élèves comme leurs collègues de promotions, leurs encadrants de stage, leurs formateurs... pourraient constituer un maillage de tuteurs de résilience favorisant ce processus.

En analysant les écrits dans un premier temps, puis grâce à une enquête sur le terrain, nous allons tenter de répondre plus précisément au questionnement suivant : Qu’est-ce que la vulnérabilité ? Quels sont les facteurs de risque liés à la personne elle-même et ceux causés par la formation ? Quels peuvent être les symptômes témoignant de la vulnérabilisation ? Ces symptômes de souffrance sont-ils spécifiques à ce type d’apprenants ou peuvent-ils être rapprochés de ceux vécus par les étudiants en général ou par les professionnels soignants ?

Quels sont les éléments permettant d’observer qu’un individu entre en résilience ? Quelles sont les ressources dont un élève infirmier dispose lors de son parcours de formation pour la tisser ?

Dans quelle mesure les personnes entourant ces étudiants peuvent-elles être considérées comme des tuteurs de résilience ?

2. Revue de littérature

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