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Méthode

Dans le document The DART-Europe E-theses Portal (Page 64-70)

3. Étude empirique

3.1 Méthode

3.1.1 Reformulation de la problématique

À partir de la revue de littérature précédente, nous pouvons affiner la problématique de recherche en la formulant de cette manière :

Dans quelle mesure les professionnels appartenant au dispositif de formation des IFSI peuvent-ils constituer un maillage de tuteurs de résilience pour les étudiants infirmiers vulnérabilisés afin de se reconstruire et d’achever leurs études ?

À partir de cette problématique, nous nous attendons à vérifier sur le terrain les hypothèses suivantes :

Hypothèse 1 : Les apprentis infirmiers qui entrent en IFSI présentent des facteurs personnels de vulnérabilité communs : les enjeux liés à la jeunesse s’ils commencent leurs études après le baccalauréat, et ceux de la formation à l’âge adulte en cas de reconversion professionnelle ou de reprise de scolarité.

Hypothèse 2 : En plus de facteurs personnels de vulnérabilité, ces élèves peuvent être affaiblis par l’environnement d’apprentissage en IFSI à cause notamment des enjeux psychologiques de la relation pédagogique étudiants/cadres de santé formateurs.

Hypothèse 3 : Les ESI peuvent être affaiblis par le contexte d’apprentissage en stage notamment par les enjeux émotionnels liés à la relation d’aide ou par l’organisation du travail des hôpitaux, au même titre que les infirmiers qui les encadrent.

Hypothèse 4 : Ils peuvent manifester des symptômes témoignant d’une vulnérabilisation ou de réactivation de psychotraumatisme allant du simple mal-être au burnout.

Hypothèse 5 : La formation permet aux étudiants de mobiliser des facteurs de protection environnementaux spécifiques tels que l’apprentissage ou le partage entre pairs, et des mécanismes de défense favorisant la protection et l’élaboration, dans le cadre d’un processus de résilience.

Hypothèse 6 : Les étudiants entre eux, les cadres de santé formateurs, les directeurs d’IFSI, les cadres de santé d’unité/maîtres de stage, les infirmiers et les psychologues forment un maillage de tuteurs de résilience à la disposition des apprenants vulnérabilisés.

3.1.2 Devis d’étude

En référence à la revue de la littérature précédente et compte tenu de l’aspect subjectif des phénomènes en lien avec la résilience, nous avons envisagé d’enquêter au moyen d’une approche qualitative. Ainsi, nous avons réalisé des entretiens semi-directifs.

À partir de notre expérience professionnelle en psychiatrie et notre formation universitaire en psychologie, nous avons choisi d’adopter une posture d’inspiration rogérienne en essayant de faire preuve d’empathie, d’authenticité et de congruence auprès des personnes enquêtées (Rogers, 1968). Lors des entretiens, nous avons utilisé les techniques de reformulation décrites par R. Mucchielli (1972), c’est-à-dire l’écho, la clarification et la transposition figure/fond. Nous avons appris par cœur notre guide afin de mener celui-ci de la manière la plus fluide possible, avec l’envie de donner l’aspect d’une conversation professionnelle invitant au partage et à la confidence en toute confiance et sécurité. Le guide d’entretien a été construit dans cet esprit et n’a pas été transmis à l’avance aux personnes afin de susciter le plus possible des réponses spontanées.

3.1.2 Guide d’entretien

Nous avons constitué une liste de cinq questions permettant d’aborder les différents thèmes balayés dans la revue de littérature afin de confirmer ou infirmer ce qui a déjà été soulevé, et pour approfondir notre sujet. En référence à Becker (2002), nous avons formulé nos demandes en choisissant de les commencer par « comment » pour décrire un processus et fournir l’opportunité à la personne de répondre avec sa propre vision. Grâce à cette manière de faire, le discours des interviewés doit être facilité, plus exhaustif et donnant des détails. Par conséquent, cette formulation incite à se rappeler des événements. Elle permet de se souvenir du pourquoi et prépare la personne en douceur à le confier. En effet, nous voulions éviter d’utiliser d’emblée « pourquoi » qui engendre des réactions défensives, des réponses brèves en demandant automatiquement des raisons. Par ailleurs, dans nos reformulations, nous avons employé plutôt « en quoi » ou

« dans quelle mesure » pour inviter la personne à analyser les situations et éviter les réponses contenant une perspective. Enfin, ce guide a été pensé pour qu’il puisse s’adapter à des personnes témoins de vulnérabilisation et de parcours de résilience, autant

qu’à des sujets vulnérabilisés. En revanche, nous avons tenu à conserver le même guide avec les mêmes thèmes communs auprès de tous les participants pour faciliter la comparaison entre les différents recueils de données.

La première question du guide (Annexe N° 1) était : « Pouvez-vous vous présenter personnellement et présenter votre parcours professionnel ? ». Les objectifs de cette question étaient de permettre à l’individu de se présenter personnellement et professionnellement. Nous voulions également obtenir certaines notions d’âge, de sexe, de situations familiales (avec ou sans enfants), des données de parcours pouvant expliquer certaines sensibilités à l’aide ou l’accompagnement psychopédagogique. Nous avons choisi de ne pas être rigide sur les éléments demandés pour la présentation, car cette question est plus une prise de contact, un moment de mise en confiance et moins un recueil précis d’informations. En effet, l’âge et la situation familiale ne nous importaient que très peu pour cette étude. Au contraire, nous pensions que l’exiger par une question directe sur ce point pouvait freiner l’expression de la personne à propos du reste de l’entretien.

La seconde question était « Comment qualifiez-vous l’apprentissage des étudiants infirmiers en situations réelles de soin ? » Nous avions formulé cette demande pour amener les individus rencontrés à évoquer les points enrichissants et motivants pour soigner et apprendre les soins. Également, cette question devait laisser la possibilité aux interviewés d’aborder les difficultés relatives à cet enseignement. Lors des reformulations, nous pensions appréhender les aspects stressants de cette formation et nous amenions l’autre à évoquer une histoire au fort potentiel émotionnel, voire traumatisant. Une fois la situation exposée, nous voulions obtenir des indicateurs caractérisant l’événement éventuellement vulnérabilisant durant l’apprentissage, plus particulièrement en stage, en amenant la personne interrogée à le décrire et à évoquer les conséquences psychopathologiques.

La troisième question du guide était « En quoi le contexte de formation en stage a-t-il été fragilisant à ce moment-là ? Dans quelle mesure étiez-vous plus prédisposés personnellement à ressentir un mal-être dans ce genre de situation ? » Cette demande devait inciter à déterminer des signes cliniques psychopathologiques présents chez les étudiants en situation de vulnérabilité. Éventuellement, elle permettait de mettre en lumière des éléments de vulnérabilité personnels et professionnels.

La quatrième question était « Comment avez-vous/ont-ils réussi à surmonter ces événements ? ». Les objectifs de celle-ci ont été d’identifier le processus de résilience de

manière individuelle, familiale et extrafamiliale, et d’étudier les liens affectifs ou encore les mécanismes de défense.

La cinquième question a été celle qui devait aboutir au sujet des tuteurs de résilience : « Dans quelle mesure le dispositif de formation infirmière a-t-il été aidant pour surmonter ces difficultés et continuer la formation ? » Avec cette question, nous devions amener le sujet à évoquer des tuteurs de résilience de cette formation et à en déterminer les principales caractéristiques.

Avant l’entretien, nous avons proposé aux personnes de participer à l’enquête directement lors de rencontres professionnelles, ou par mails et téléphone en utilisant notre réseau de connaissances dans le milieu des soins ou de la formation. Nous nous sommes attachés à ne donner qu’un thème très général qui était : « les émotions vécues par les étudiants en formation infirmière ». Le fait de rester général a été pensé pour ne pas induire les notions de vulnérabilité, traumatisme ou de résilience, et pour extraire les attributs et les exemples de chaque concept traité dans la revue de littérature.

Tous les entretiens ont été enregistrés. Un accord d’enregistrement et de confidentialité a été signé par les deux parties, chercheur et interviewé, avant le début de l’échange (Annexe N° 2). Les rencontres se sont déroulées entre septembre et décembre 2015. Les entretiens ont fait l’objet d’une retranscription mot à mot. Nous avons attendu quasiment un an avant d’analyser ces entretiens pour notre propre prise de recul, pour élaborer la revue de littérature et pour bien maîtriser les concepts qui selon nous, allaient être une clé importante pour étudier en détail les données recueillies.

3.1.3 Sélection de l’échantillon

Nous avons mené 30 entretiens semi-directifs avec des personnes identifiées comme appartenant au dispositif de formation pouvant jouer le rôle de tuteur : 5 étudiants infirmiers potentiellement tuteurs et potentiellement vulnérabilisés, 5 cadres de santé formateurs, 5 cadres de santé/maître de stage, 6 directeurs, 4 infirmières, 2 aides-soignantes, 3 psychologues. Les nombres représentant chaque catégorie de personnes ont évolué entre le début et la fin de la session d’entretiens.

Avant de commencer l’enquête, nous avions pensé à 10 étudiants, 10 directeurs, 10 cadres formateurs, 10 cadres d’unité, 10 infirmières et 10 psychologues. Confrontés au phénomène de saturation des données empiriques, nous avons réduit la taille de l’échantillon. Les psychologues n’apportant pas autant d’informations que nous le

pensions, nous avons arrêté les entretiens après le troisième. En revanche, dès les deux premiers entretiens, les aides-soignantes ont été identifiées comme des tuteurs de résilience par un étudiant et une formatrice. Nous avons contacté deux aides-soignantes pour vérifier et approfondir cette dimension.

Pour tout l’échantillon, nous avons déterminé les critères d’inclusion suivants : que les interviewés appartiennent aux catégories de potentiels tuteurs déterminés selon notre expérience professionnelle, à partir de la revue de littérature et des premiers résultats d’enquête ; que les tuteurs soient d’accord pour participer à l’entretien ; qu’ils interviennent dans le processus de formation des étudiants ou qu’ils aient à recevoir en consultation des ESI pour les psychologues. Pour les apprenants rencontrés, nous avons utilisé le bouche-à-oreille en prenant comme critère qu’ils aient manifesté un signe de mal-être durant leur formation. Les critères d’exclusion étaient de ne pas être volontaires.

Nous ne voulions pas voir les étudiants non plus ayant arrêté leur apprentissage, car, selon notre revue de littérature, ils n’ont pas continué leur développement scolaire en poursuivant leurs études après vulnérabilisation. Compte tenu d’un grand nombre de réponses positives lorsque nous prenions un premier contact avec un potentiel interviewé, nous nous sommes permis de ne pas voir certaines personnes après ce contact. En effet, nous souhaitions instaurer un climat de confiance propice à l’échange par notre posture relationnelle. Cette dimension concernait l’individu interrogé mais aussi notre bien-être dans la relation. Si nous ressentions un malaise dans la communication dès la prise de contact, nous n’allions pas vers la concrétisation d’un rendez-vous.

3.1.4 Description générale du déroulement de la recherche

Pour tous les entretiens, nous avons reçu un très bon accueil. L’anticipation du lieu calme et d’un temps réservé exclusivement pour l’entretien a été quasiment toujours respectée. Nous avons donc mené ces entretiens dans de très bonnes conditions : les salles étaient retenues pour l’occasion, ou l’interview de déroulait dans leurs bureaux respectifs et même à domicile. La durée moyenne a été d’environ 45 à 50 min.

Concernant les catégories de personnes interrogées, les psychologues étaient assez réservées pour transmettre des informations et parfois semblaient tester nos connaissances en psychologie. Néanmoins, nous avons recueilli de très nombreuses données grâce à elles. Tous les autres ont été très prolixes, spontanés, authentiques, congruents et bienveillants envers notre recherche. Ils ont tous témoigné d’une forte envie de se raconter personnellement et professionnellement.

3.1.5 Description de l’analyse

Nous avons réalisé l’analyse en deux phases. La première a visé à organiser les très nombreuses données obtenues lors des interviews. Après une lecture flottante, nous avons réécouté chaque entretien en prenant des notes. Nous avons codifié les extraits en surlignant et en attribuant une couleur à chaque thématique émergente. Nous avons catégorisé ces notes dans quatre tableaux de synthèse (Annexe N° 3).

Le premier tableau d’analyse a permis de classer les citations du texte en orange.

Ces extraits ont concerné les arguments témoignant de la vulnérabilité des étudiants infirmiers : une colonne pour les facteurs personnels, une autre pour les ceux environnementaux liés au contexte d’apprentissage des soins en stage, une pour ceux attribuables à la formation en IFSI, une quatrième colonne permettant de recenser les signes cliniques argumentant la vulnérabilisation voire de traumatisme.

Le second tableau dont les extraits ont été surlignées en bleu dans le texte a contribué à classer les citations pouvant évoquer l’entrée en résilience. Celle-ci était possible à mesurer si les interviewés témoignaient ou rendaient compte de traumatismes ou de vulnérabilisation d’étudiants. Les éléments montrant la reprise d’un néo-développement ont alors été divisés en deux catégories d’après nos lectures. D’une part, ces éléments à détecter pouvaient faire référence aux trois piliers de la construction résiliente selon Gilligan (1997) c’est-à-dire le sentiment d’avoir une sécurité interne liée à celui d’appartenance à une famille, à un groupe ; l’estime de soi sachant que celle-ci

« correspond à l’amour que le sujet porte à lui-même et au sentiment qu’il a de sa valeur à ses propres yeux et à celle des autres » (Anaut, 2015b) ; le sentiment de sa propre efficacité (prendre son autonomie en prenant conscience de ses compétences). Les autres indicateurs à repérer dans la retranscription des entretiens concernant l’entrée en résilience, ont été déterminés par ceux décrits par Ligghezzolo et De Tychey (2004) . D’abord, les critères internes concernent : les compétences de socialisation ; les capacités d’apprentissage ; les liens d’attachement extérieurs à la famille (à l’adolescence) ; l’insertion professionnelle ; l’absence de symptômes psychosociaux invalidants ; la non-répétition des traumatismes sur la descendance. Ensuite, les critères externes sont à propos de la capacité de rendre compte de ses états intérieurs ou affects et de les partager (qualité de mentalisation) ; le sentiment de bien-être subjectif (plaisir à vivre) ; ou encore l’équilibre psychosomatique.

Le troisième tableau dont les extraits ont été surlignés en jaune dans le texte a favorisé le classement des citations permettant d’identifier le processus de résilience.

D’abord, nous avons réalisé trois colonnes correspondant aux facteurs de protection personnels, à ceux familiaux puis à ceux extrafamiliaux. La dernière colonne a été consacrée aux mécanismes de défense favorisant la protection du Moi dans un premier temps puis l’élaboration dans un deuxième temps.

Le quatrième tableau dont les citations ont été surlignées en vert dans le texte a organisé les extraits permettant d’identifier les tuteurs de résilience et de définir leurs caractéristiques. Nous les avons catégorisées selon celles décrites par Lecomte (2005) pour constituer la base de notre classement : « Ils manifestent de l’empathie et de l’affection ; ils s’intéressent prioritairement aux côtés positifs de la personne ; ils laissent à l’autre la liberté de parler ou de se taire ; ils ne se découragent pas face aux échecs apparents ; ils respectent le parcours de résilience d’autrui ; ils facilitent l’estime de soi d’autrui ; ils évitent les gentilles phrases qui font mal ». Nous avons ajouté au fur et à mesure d’autres caractéristiques qui ont émergé au fil des entretiens.

Lors de la seconde étape d’analyse, nous avons extrait les principaux thèmes transversaux qui sont ressortis des différentes relectures et de la première phase de classement des données, selon la méthode de Paillé et Mucchielli (2012). Les extraits d’entretien ont été organisés dans des tableaux pour argumenter les sujets qui ont émergé de l’analyse du discours (Annexe N° 34). Le premier thème a été celui de la vulnérabilité durant ces études. Nous avons pu identifier différents facteurs environnementaux : ceux dus à l’apprentissage des soins sur le terrain, liés à celui en IFSI. Nous avons en outre repéré des facteurs liés à la personne elle-même. La recherche a aussi mis en évidence des signes témoignant de vulnérabilisation. Concernant le deuxième thème, nous avons déterminé des éléments argumentant l’observation de processus résilients c’est-à-dire des facteurs de protection singuliers à cette formation et des mécanismes de défense durant l’apprentissage des soins infirmiers. Enfin, des tuteurs potentiels de résilience ainsi que leurs caractéristiques spécifiques ont pu émerger de l’étude.

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