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1. L ’ ALPHABÉTISATION

1.1 Un bref aperçu historique du concept d'alphabétisation

Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, la lutte contre l’analphabétisme dans le monde constitue l’une des priorités de l’Organisation des Nations Unies pour l’Éducation, la Science et la Culture (UNESCO) (Jones, 1990). C’est en 1947 que cet organisme créé en 1945 intègre dans l’éducation de base le concept de l'alphabétisation, en tant que processus d'apprentissage de la lecture et de l'écriture.

En 1948, l’alphabétisation traditionnelle ou de masse, basée sur le droit à l’éducation conformément à la Déclaration des droits de l’homme, consiste à alphabétiser tous les individus, en inculquant à chacun un minimum de connaissances en lecture, en écriture et en calcul, quels que soient les contenus d'apprentissage et les approches pédagogiques utilisées. Cette démarche se traduit par l'organisation de campagnes massives d'alphabétisation en vue d’endiguer assez rapidement l'analphabétisme. L’UNESCO promouvait donc l’idée que chaque individu doit bénéficier d’une éducation minimale qui demeure un fonds commun d’idéaux qui pourraient créer une véritable solidarité et une fraternité humaine dans la mesure où près de 700 millions d'individus, soit les 2/5 de la population mondiale totale, sont analphabètes selon l’UNESCO (1957) au début des années 1950.

Durant les deux décennies 60 et 70, l'analphabétisme ne recule pas chez les adultes peu scolarisés en raison de la faible efficacité des campagnes d’alphabétisation. Les nouvelles campagnes seront marquées par un intérêt grandissant pour les liens entre le développement tous azimuts ou la croissance économique et l’alphabétisation des populations. À ce propos, le congrès mondial des ministres de l'Éducation sur l'élimination de l'analphabétisme, qui s’est tenu à Téhéran (Iran) en septembre 1965, a proposé pour la première fois le concept d'alphabétisation fonctionnelle. Ainsi, selon Yousif (2003) l’alphabétisation doit être considérée comme un moyen de préparer l’homme à un rôle social, civique et économique qui va au-delà des limites de la forme rudimentaire de l'alphabétisation consistant simplement à enseigner la lecture et l’écriture. Centré sur l’amélioration de l’efficacité et de la productivité des travailleurs, le concept d’alphabétisation fonctionnelle se traduit sur le terrain par le lancement en 1966 par l'UNESCO du Programme Expérimental Mondial d’Alphabétisation (PEMA, 1967-1973) dans onze pays.

En 1978, l’UNESCO adopte une définition de l'analphabétisme fonctionnel, toujours en vigueur :

Une personne est analphabète du point de vue fonctionnel si elle ne peut se livrer à toutes les activités qui requièrent l’alphabétisme aux fins d’un fonctionnement efficace de son groupe ou de sa communauté et aussi pour lui permettre de continuer d’utiliser la lecture, l’écriture et le calcul pour son propre développement et celui de la communauté. (UNESCO, 2006, p. 162)

Dans les années 70, le concept d’alphabétisation s'enrichit aussi d'une dimension politique avec la théorie de l’alphabétisation conscientisante du pédagogue brésilien Paulo Freire. En 1975, la Déclaration de Persépolis adoptée par le Colloque international d’alphabétisation tire les leçons

du PEMA et s'inscrit dans la démarche de l'alphabétisation développée par Freire que nous décrirons un peu plus loin. (UNESCO, 2006, p. 162)

Au début des années 80, pendant que le taux d'analphabétisme diminue dans toutes les régions du monde, paradoxalement la population adulte analphabète ne cesse de croître. En 1980, 824 millions d'adultes de 15 ans et plus, soit 28,6 % de la population mondiale, ne savent ni lire ni écrire. Il est à noter également que lors du séminaire sur l’alphabétisation dans les pays industrialisés tenu à Toronto en 1987,

l’alphabétisation n’est plus seulement considérée comme la capacité à lire, écrire et calculer, dans la mesure où les progrès de la technologie exigent des niveaux plus élevés de connaissances, de compétences et de compréhension pour accéder à une alphabétisation de base. (UNESCO, 2006, p. 163)

Dès le début des années 90, des initiatives en faveur de la Scolarisation Primaire Universelle (SPU) se multiplient et la communauté internationale recherche les priorités de financement à accorder à l'alphabétisation dans les programmes internationaux. L’année 1990 est proclamée année internationale de l’alphabétisation doublée d’une déclaration mondiale à Jomtiem en Thaïlande appelant à la diminution du taux d’analphabétisme des adultes pendant cette décennie et en mettant spécialement l’accent sur l’alphabétisation des femmes. Dix ans plus tard, parmi les six objectifs du processus de l’Éducation pour tous (EPT), deux concernent l'alphabétisation. L'objectif n°3 est de répondre aux besoins éducatifs de tous les jeunes et de tous les adultes en assurant un accès équitable à des programmes adéquats ayant pour objet l'acquisition de connaissances ainsi que de compétences nécessaires dans la vie courante. Quant à l'objectif n°4, il vise à améliorer de 50 % les niveaux d'alphabétisation des adultes, notamment

des femmes [jusqu’en] 2015, et assurer à tous les adultes un accès équitable aux programmes d'éducation de base et d'éducation permanente (UNESCO, 2002). L'interprétation de cet objectif, corrigé en 2006 par l’UNESCO dans son rapport sur l’EPT, consiste à réduire de moitié la proportion des analphabètes dans la population adulte.

En 2000, l'Assemblée générale des Nations Unies adopte les huit Objectifs du Millénaire pour le Développement (OMD) et l’alphabétisme est évoqué pour mesurer l'avancée de l'OMD n°2, qui visait à donner [jusqu’en 2015], à tous les enfants, garçons et filles, partout dans le monde, les moyens d'achever un cycle complet d'études primaires.

Enfin, la Décennie de l’alphabétisation (2003-2012), lancée en 2001 par l’Organisation des Nations Unies, demeure l'initiative la plus précise en faveur de l'alphabétisation. Elle se donne pour objectif d’étendre l’alphabétisation à tous dans la mesure où un adulte de plus de quinze ans sur cinq ne peut ni communiquer par la lecture et l’écriture ni être intégré à l’environnement alphabétisé qui l’entoure. Ainsi, l’accent est mis sur les besoins des adultes, singulièrement ceux des groupes les plus pauvres et les plus marginalisés pour permettre à chacun, partout dans le monde, de savoir lire et écrire, pour communiquer au sein de la communauté, dans la société, et au-delà. Étant donné que les efforts déployés se sont avérés inadéquats, cette décennie de l’alphabétisation prône une conception plurielle de l’alphabétisation. Autrement dit, elle s’emploiera à promouvoir l’alphabétisation en considérant l’ensemble des usages, des contextes et des modes d’acquisition des connaissances.