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4. LES PRATIQUES D ’ ENSEIGNEMENT DE L ’ ÉCRITURE EN LANGUE SECONDE AUX ADULTES

4.1 Les stratégies d’enseignement

4.1.3 Les stratégies pour faire pratiquer l’écriture aux immigrants adultes

Le champ de l’enseignement de l’écriture en langue seconde chez les adultes immigrants est en friche et n’a donc pas été beaucoup documenté par la littérature. En tenant compte des difficultés éprouvées par les adultes immigrants dans l’apprentissage du français en contexte de francisation, particulièrement pour la production écrite et comme les élèves « apprennent à écrire en écrivant » (Cornaire et Raymond, 1994, p. 72), il revient donc à l’enseignant de mettre en place un programme d’écriture où les élèves écrivent quotidiennement pour fournir de nombreuses occasions de pratique nécessaires au développement de l’écriture (Hall, 1995).

Pour jouer efficacement son rôle dans l’enseignement de la production écrite, l’enseignant devra connaître les modèles de processus cognitif d’écriture. De plus, étant donné que l’apprenant a besoin d’un enseignement et d’un entraînement quotidiens afin de développer de bonnes habiletés rédactionnelles (Pressley, Mohan, Fingeret, Reffitt et Raphael-Bogaert, 2007), la personne enseignante devra organiser l’enseignement des habiletés rédactionnelles en se posant la question suivante : comment expliquer, démontrer et fournir un appui pédagogique aux différentes étapes du processus d’écriture ?

Dans une étude menée par Collins Block, Oakar, et Hurt, (2002) au sujet des pratiques dites exemplaires adoptées en classe pour l’apprentissage de la L1, ces trois auteurs ont colligé 475 caractéristiques d’un enseignement dit efficace de la littératie à l’école primaire relevées par 687 experts provenant de sept pays anglophones. Les traits caractéristiques d’un enseignement efficace de la littératie ont été relevés au moyen de l’analyse des séquences vidéo montrant des enseignants dans le feu de l’action. Les auteurs ont ensuite relevé les cinq caractéristiques les plus typiques d’un enseignement efficace pour chaque niveau scolaire, de la maternelle à la 5e année du primaire, et dressé un tableau comparatif pour indiquer les dissemblances et ressemblances des traits caractéristiques de l’enseignement efficace à chacun de niveaux scolaires susmentionnés. Pour ce qui est précisément de la période de l’entrée dans l’écrit, les résultats de cette étude (Collins Block et al., 2002) mentionnent que les enseignants les plus avertis utilisent un large éventail de stratégies pour susciter la motivation et l’intérêt des élèves pour le monde de l’écrit.

Pour répondre à cette préoccupation, nous avons colligé, dans la présente sous-section, quelques stratégies utilisées par les personnes enseignantes dans leurs pratiques d’enseignement de l’écriture en langue seconde chez les adultes faiblement scolarisés : l’organisation du groupe- classe ; la conception des consignes ; les méthodes d’accompagnement des apprenants et l’évaluation des apprentissages.

4.1.3.1 L’organisation du groupe-classe

Dans les classes de français L2, le regroupement des apprenants apparaît comme l’une des formes majeures de l’organisation du groupe-classe. Il se définit comme une pratique organisationnelle qui a pour but de faciliter l’enseignement et d’augmenter l’apprentissage des apprenants (encourager le développement cognitif) sans influencer ou modifier leur

développement social ou émotionnel (Hallinan, 1994). Des modalités de formation de groupes peuvent être adoptées : la formation des groupes homogènes en répartissant les apprenants selon les mêmes niveaux d’habiletés ou de performance ; la formation des groupes hétérogènes en associant des niveaux de performance différents ; l’alternance des séances ou des situations en procédant tantôt par groupes homogènes, tantôt par groupes hétérogènes et l’affinité des apprenants en les laissant s'associer librement avec qui ils souhaitent. Le regroupement hétérogène semble mieux convenir aux apprenants plus faibles ou ayant des besoins particuliers, puisque ce type de regroupement permet aux apprenants de mieux progresser et de se faire aider par leurs condisciples, les plus forts (Fortin, Filiault, Plante, Bradley, 2011).

4.1.3.2 La conception des consignes

La conception d’une consigne de la tâche à donner est une activité qui requiert une grande attention, car de la qualité de la consigne dépend en partie la qualité de la tâche effectuée par les apprenants. Zakhartchouk (1996, p. 18), auteur de nombreux travaux sur la consigne scolaire, la définit la consigne comme

toute injonction donnée à des élèves à l’école pour effectuer telle ou telle tâche (de lecture, d’écriture, de recherche, etc.). La consigne s’appuie souvent sur un énoncé explicite, mais les données nécessaires pour l’effectuer sont parfois implicites, d’où la nécessité d’un décodage.

Selon Dominguez et Rivière (2015), elle comporte divers enjeux : clarté informationnelle, compréhension des attentes de l’enseignant et construction de l’autonomie des apprenants. Ainsi, les deux auteures définissent la consigne comme une contrainte, plus ou moins directe et plus ou moins forte, sur l’activité de l’apprenant en vue d’améliorer ses compétences langagières.

Perçues comme telles, les consignes jouent un rôle d’importance dans la construction de l’autonomie des apprenants, car elles ne se réduisent pas à de simples instructions pour orienter l’activité de l’élève en fonction de la tâche proposée, mais elles mettent également en jeu le rapport de l’apprenant au savoir et permettent d’attribuer du sens à leurs tâches. De ce fait, comme le souligne De Vecchi (2014), l’apprenant construit bien son savoir s’il comprend ce qu’il lui est demandé de faire. Ainsi, la consigne d’écriture joue un rôle essentiel en production de l’écrit puisqu’elle constitue la base de toute activité scripturale. Sa compréhension est donc tributaire de la façon dont elle a été conçue et qui peut exercer une influence certaine sur le texte produit (Benamar et Beldjoudi, 2016). De ce fait, la formulation d’une consigne est aussi un défi majeur avec des apprenants de L2 dans la mesure où la personne enseignante doit s’assurer qu’ils la comprennent correctement.

4.1.3.3 Les méthodes d’accompagnement des apprenants a) La différenciation pédagogique

Dans son Dictionnaire actuel de l’éducation, Legendre (2005) définit la pédagogie différenciée comme « une pédagogie dont l’optique est de tenir compte des différences individuelles pour y adapter une diversité de situations pédagogiques dans le but de permettre à chacun des élèves la meilleure réussite de ses apprentissages » (p. 1021). Feyfant, (2016), la définit comme « une pratique pédagogique visant à organiser et à prendre en charge dans le même temps dans la classe l’avancement de chaque élève, ce qui en fait un « enseignement axé sur les besoins des élèves » (p. 2). Ainsi, la personne enseignante est appelée à se donner des moyens qui favorisent cette réussite des apprenants (Gouvernement du Québec, 1999), ce qui l’amène à « adapter ses stratégies didactiques, les modalités de travail entre élèves et la facture des situations proposées pour tenir compte des différences individuelles, et ce, dans la mesure des

possibilités d’une intervention dans un groupe classe » (Gouvernement du Québec, 2007, p. 21). Au nombre de ces moyens, il y a la différenciation de l’enseignement qui est envisagée pour pallier les difficultés des élèves « à besoins particuliers » et qui occupe une place importante dans les préoccupations des personnes enseignantes confrontées à une clientèle hétérogène à de multiples égards (Feyfant, 2016). Le Conseil supérieur de l’éducation (1993, p. 39) propose la définition suivante de la différenciation pédagogique : « démarche qui met en œuvre un ensemble diversifié de moyens d’enseignement et d’apprentissage afin de permettre à des élèves d’âges, d’origines, d’aptitudes et de savoir-faire hétérogènes d’atteindre par des voies différentes des objectifs communs et, ultérieurement, la réussite éducative ». Selon Caron (2003) et Tomlinson (2004), la pédagogie différenciée requiert des enseignantes et des enseignants qu’ils modifient leurs pratiques, pour passer d’une pédagogie fondée sur les programmes à une pédagogie fondée sur les élèves, tout en reconnaissant que chaque élève diffère de l’autre en termes d’intérêts, de profil d’apprentissage et de niveau de fonctionnement. Tomlinson (2004) mentionne que dans la différenciation de l’enseignement, la personne enseignante peut distinguer un ou plusieurs des éléments suivants dans toute situation d’apprentissage en classe : les contenus (ce que les élèves vont apprendre) ; les processus (les activités) et les productions (les résultats au terme de la période d’apprentissage) selon degré de préparation des élèves, de leurs intérêts et de leur profil d’apprentissage comme nous pouvons l’observer dans la figure ci-après.

Est une réponse de l’enseignant aux besoins de l’apprenant Elle suit les principes généraux de différenciation

Des tâches respectant D’une évaluation et les capacités des élèves des ajustements continus

Des regroupements flexibles L’enseignant peut différencier

Selon

Grâce à de nombreuses stratégies d’enseignement et d’organisation

Figure 10. La différenciation dans l’enseignement

(Traduction et adaptation de The Differentiated Classroom : Responding to the Need of All Learners, de C.A. Tomlinson (Alexandria, VA, ASDC, 1999), avec la permission de l’auteur.

La pédagogie différenciée

Les contenus Les processus Les productions

La préparation de l’élève Les intérêts de l’élève Le profil d’apprentissage de

Présenté dans le rapport de la Table ronde des experts pour l’enseignement en matière de littératie et de numératie, 2005, p.13).

b) Le travail en groupe et la répartition des tâches

Dans une étude intitulée « Quelle organisation du travail de groupe faut-il privilégier pour favoriser l'attention et l’implication des élèves dans leurs apprentissages ? », Caniot (2014), se pose une question majeure qui sollicite notre attention : « la répartition des tâches entre les élèves a-t-elle son importance pour faire en sorte que tous les élèves se sentent impliqués dans la production ? ». Il s’agit ici d’un regroupement classique des apprenants dans lequel ils sont capables d'organiser leur travail, sans avoir besoin de recourir à l'intervention d’une personne enseignante tout en s'assurant que chaque membre du groupe est impliqué dans la production à réaliser.

c) L’aide individuelle

L’aide individuelle peut être perçue comme un enseignement individuel permettant à chaque apprenant d’atteindre ses objectifs en fonction de son rythme. Elle peut comporter plusieurs variantes. Dans son rapport annuel 2014-2015, Le Mieux-Être des Immigrants (MEI) mentionne que « l’aide individuelle pour la pratique du français consiste à jumeler un étudiant avec un bénévole québécois afin de pratiquer la langue française. C’est l’enseignement individuel permettant à chaque élève d’atteindre ses objectifs en fonction du rythme de l’étudiant » (p. 19). De son côté, le Gouvernement du Québec (2014) parle de l’accompagnement individualisé qui réfère principalement à la relation entre un enseignant et un apprenant. Cette pratique est une composante de tout un système. Elle interpelle tous les acteurs qui interviennent auprès de l’apprenant. Dans notre travail recherche, la variante de l’aide individuelle concerne

l’accompagnement ponctuel que la personne enseignante apporte à l’apprenant lors du déroulement des activités d’apprentissage.

4.1.3.4 L’évaluation des apprentissages

L’acte d’évaluation est une clé importante qui contribue à l’amélioration de l’enseignement. Dans ce sens, Kellaghan et Greaney (2004, p. 23) la définissent comme

Un processus consistant à obtenir des informations qui seront utilisées pour prendre des décisions sur les élèves en matière d’enseignement, pour compenser l’élève d’informations en retour sur ses progrès, ses points forts et ses faiblesses, et juger de l’efficacité de l’enseignement, de l’adéquation des programmes d’études, et pour informer les politiques générales.

Ainsi, au regard de cette définition, sous-tendue par notre expérience d’enseignant, nous pouvons dire que l’évaluation des apprentissages est utilisée comme stratégie à des fins multiples et comporte plusieurs types : 1) l’évaluation diagnostique consiste à décrire les acquis de l’apprenant ; à diagnostiquer les problèmes d’apprentissage ; à prévoir l’enseignement et l’apprentissage à venir ; à orienter l’apprenant et à l’amener à prendre une décision idoine à son option professionnelle; 2) l’évaluation formative constitue un stimulus pour l’apprenant en lui proposant des buts ou des cibles et en tamisant la nature des tâches d’apprentissage ; à guider l’apprenant et l’enseignant dans leur progression. À ce sujet, de nombreux spécialistes en évaluation des situations d’enseignement/apprentissage affirment que l’évaluation formative est singulièrement adaptée aux apprenants adultes illettrés qui ont retenu un souvenir peu reluisant de leur scolarité et qui redoutent les tests (Looney, 2008). De plus dans leur synthèse consacrée aux recherches publiées en anglais sur une série d’études visant à mesurer l’impact de différentes

approches formatives, Black et William (1998) concluent dans leurs résultats cumulés que les avantages de rendements associés à une évaluation formative sont parmi les plus importants enregistrés dans le cadre d’interventions éducatives ; 3) l’évaluation sommative certifie que l’apprenant a atteint un certain niveau de compétence ; accorde le passage de l’apprenant en classe supérieure et lui permet d’obtenir un diplôme. Ainsi présentée, l’évaluation revêt donc une fonction d'aide à l'apprentissage et encourage inéluctablement une collaboration personne enseignante - apprenants dont les retombées ne peuvent être que bénéfiques pour les apprenants.

4.2 Quelques écrits sur les pratiques d’enseignement de l’écriture en langue seconde chez