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CHAPITRE III : La corruption, ou le maintien du régime en place

1. Autocratie et éléments théoriques de corruption

1.1 Théories de l’État

1.1.3 Un autoritarisme originel

Ce mémoire tend à montrer la force que la rente pétrolière peut constituer pour garantir (directement ou indirectement) le maintien au pouvoir d’un régime, en l’occurrence d’une famille et la consolidation de réseaux politico-économiques. Mais il n’est pas inutile de mentionner la nature même de l’ascension au pouvoir de cette famille, car elle permet en elle-même d’expliquer la manière de fonctionner du chef d’État azéri actuel et la nature TOP-DOWN de l’ensemble des structures politiques et administratives. Tout d’abord, le culte de la personnalité qu’Heydar Aliyev a réussi à mettre en place à la suite du chao de la Guerre contre l’Arménie en 1993 est le « benchmark » du régime en place en Azerbaïdjan (Mathey, 2008). La volonté d’ériger un pouvoir fort pour faire face à la cinglante défaite azérie et la crise politique/humanitaire qui en découla (environ un million de réfugiés azéris), ainsi qu’un retour aux pouvoirs des anciens réseaux du KGB est la principale raison de la venue au pouvoir d’Heydar Aliyev.

La garantie d’un pouvoir fort et stable sur un fond de passée Soviétique glorieux fut le point de départ et le moule qui façonna le régime azéri et le pouvoir des Aliyev. Il n’est pas difficile de comprendre cela au vu des monuments à la gloire du « Père de la nation », comme le Centre Culturel Heydar Aliyev à Baku, ayant servi de vitrine à l’Eurovision 2012. Le culte la personnalité s’inscrit dans une construction identitaire, fortement emprunte de nationalisme et étant apparue en plus de cela à une période de crise profonde en Azerbaïdjan (Mathey, 2008).

Cette construction identitaire est le moule ayant permis l’unité nationale et la légitimité du pouvoir. Heydar insistait sur l’importance dans l’identitaire postsoviétique et donc nationale (Willerton, 1992, 214-215). Son entourage ainsi que la construction d’une élite nationale est « ardemment le fruit de Moscou », souhaitant stabiliser l’Azerbaïdjan tout en n’y mettant à sa tête des éléments « modèles » de la garde prétorienne du KGB (Willerton,

1992, 215). Le patronage et la cooptation des élites locales et sécuritaires furent en effet les conséquences d’une complicité entre le Kremlin et Heydar Aliyev. Ce dernier est reconnu comme celui qui a combattu la grande corruption et surtout intégré économiquement l’Azerbaïdjan, passant ainsi de région mineure et périphérique à une région stratégique en approvisionnement gazier et pétrolier (Willerton, 1992, 192-210). Un grand personnage dans la période soviétique, en effet, car il a été un dirigeant modèle dans le passé soviétique, chef du KGB et du parti communiste dans la république d’Azerbaïdjan pendant plusieurs décennies. Membre du bureau politique sous Andropov et Gorbatchev, il est reconnu notamment comme un leader intègre et efficace (Willerton, 1992, 192-210). Heydar développe un caractère messianique de son pouvoir de par sa capacité à faire développer un intérêt certain de l’Azerbaïdjan dans l’œil de Moscou. Ainsi, l’héritage d’un passé politique et historique profondément ancré dans le façonnement d’une construction politique. En l’occurrence, l’impact structurel d’une élite azérie formée dans les écoles plus hautes écoles moscovites, en plus du modèle lié aux services de renseignement postsoviétique s’ajoute inévitablement à l’équation fondamentale qui explique la concentration des pouvoirs.

Néanmoins, cet édifice politique est semblable aux fondations sur lesquelles certaines élites en Azerbaïdjan, de la même manière que le Kazakhstan et le Turkménistan se sont appuyées pour préserver une continuité de leur mainmise sur le pouvoir.

Depuis les années 2010, la construction identitaire en Azerbaïdjan, dans le cadre de la famille Aliyev, s’est fondée sur un autre point aujourd’hui plus essentiel de son crédit politique. Les moyens financiers et techniques importants octroyés à l’image, la communication et la « publicité », notamment par le financement et l’organisation de compétitions/événements importants, sont devenus des instruments plus neufs du soft

power postsoviétique (Knaus, 2015).

Cette image que la famille Aliyev a su construire durant les années 2000 en 2010 se fonde sur deux éléments internationaux. D’une part sur un accommodement entre les puissances régionales et internationales, voyant une possibilité de stabilisation d’un espace stratégique à la fois dans la lutte contre le terrorisme, et à la fois dans la sécurisation d’approvisionnement en pétrole et en gaz (Knaus, 2015). D’autre part, la famille Aliyev

constitue un excellent articulateur de normes et de pouvoir entre les différents clans précisés (Willerton, 1992, VI), l’establishment azéri et les compagnies multinationales occidentales (Knaus, 2015).

Sur un plan national, le régime en place a les moyens financiers de former une police et des services de sécurités efficaces et bien équipés, ainsi que s’assurer la fidélisation d’une large partie des clans importants (territoriaux ou non) (Knaus, 2015).

Ces deux derniers éléments sont en effet les fruits, en amont, d’un véritable leadership contrôlé typique des régimes kagébistes de l’ère Andropov. Il n’est pas sans noter que ce large éventail d’événements mondiaux, européens et de fastes à Baku, capitale vitrine de l’Azerbaïdjan, est quant à lui proéminent par le développement économique intense de ces deux dernières décennies.

En conséquence de cela, les recettes de la rente augmentent considérablement les moyens d’action autant dans le soft power international que dans le hard power national avec un système de répression efficace.

En reprenant la grille de lecture d’Eisenstadt, ce régime offre donc un panel de méthode relevant davantage d’un modèle de coercition, convergeant dans ce qu’il a trait à constituer une union nationale entre les élites, en plus de préserver un certain niveau de vie à l’ensemble de la population avec le filet social étudié dans la première partie de ce mémoire. En outre, les actions politiques à l’échelle locale comme nationale et internationale n’ont pu se faire sans des moyens financiers importants directement captés de la rente, et sans qu’il n’y ait d’intermédiaires entre l’État et les CPE.

“This election safeguards the security of Ilham Aliyev's presidency, granted by the strength of his victory, the opposition's weakness and containment, huge oil and gas revenues, and accommodating international declarations of President Aliyev's authority.” (Parlement européen, 2008).

L’agencement et la hiérarchisation politique sont liés en quelque sorte à un contexte où les planètes se sont alignées de façon à laisser place à des accommodements sur plusieurs niveau ou palier de décision. L’action du gouvernement en place étant de manœuvrer les recettes issues de la rente de façon à inclure suffisamment les acteurs pour ne pas perdre leur loyauté, mais suffisamment exclusif dans le but de maintenir fermer les réseaux de

corruption ou d’affaires. L’intérêt d’une nature exclusive s’explique par l’intérêt de ne pas avoir d’intermédiaires ou de concurrences capables de devancer le clan ou le groupe à la tête du pouvoir/réseau (Warren, 2004). Ce dernier point est central dans le raisonnement de causalité entre la rente, les recettes issues de la rente, l’exclusion des autres secteurs d’activités causée par cette même rente, et l’appropriation de l’État par s’inclure dans le secteur d’activité économique dominant.

Cette exclusion prend la forme, dans les médias, d’un soft power international de l’Azerbaïdjan et de sa capacité d’attraction en termes de capitaux et investissements étrangers, et de la stabilité acquise depuis la période Aliyev père, ainsi que de son aptitude à constituer une unité symbolique et politique (Coville, 2008).

L’héritage d’Heydar Aliyev, de concilier à la fois les relations avec l’Occident (et la Turquie) ainsi que les relations avec la Russie ont jeté les prémices de la structure autocratique en matière de symboliques internationales. Il est impossible de ne pas mentionner le façonnage du système politique et du patronage sans invoquer précédemment cela (Willerton, 1992, chap VI).

Ce qu’implique ce mémoire, à ce stade, est de parler de la continuité, voire de la substitution du modèle soviétique basé sur le prestige passé, s’illustrant par les « patronage

networks » (Willerton, 1992, 191), vers un modèle de patronage ne jouissant pas d’un tel

ancrage. Heydar Aliyev a constitué de manière efficace et rapide un mode de fonctionnement se rapprochant d’un « co-offending network » : « Azerbaidzhan has had an

espacially strong reputation for pervasive mafia-type networks » (Willerton, 1992, 191).

En outre, et c’est cela l’ambiguïté du cas azéri, plusieurs « level-game » favorisent de différentes façons le maintien d’un tel régime en place, et ceci depuis l’accession au pouvoir du père de l’actuel président. Un modèle de patronage intriguant par sa forte capacité à créer une cohésion nationale et à verrouiller l’accès au pouvoir de n’importe quelle façon, en témoignent les nombreuses irrégularités y compris durant les derniers scrutins électoraux, présidentiels ou législatifs.

“The Azerbaijani elections of 2010 and 2013 reveal instead a broken system of international election observation. The problem is not just that electoral fraud has become routine, but that some of the very European

institutions charged with safeguarding democracy appear determined to turn a blind eye to fraud. It is disturbing that Council of Europe election monitors can now be counted on to praise Azerbaijani elections, however outrageous their conduct.” (Knaus, 2015).

Pour davantage cerner la mainmise des élites politiques en Azerbaïdjan, en premier lieu de la famille Aliyev, il s’agira, un peu plus loin dans l’étude de se formaliser avec les personnes les plus riches d’Azerbaïdjan et la famille Aliyev. L’analyse sous le prisme comportemental des agents politiques et économiques, et plus concrètement dans le mode de fonctionnement qui se caractérise par une capacité à maintenir les réseaux d’influence, de cooptation et de corruption y compris dans l’administration, devient le centre d’intérêt de ce mémoire.

INGLEHART, RONALD & WELZEL, CHRISTIAN. 2005. “MODERNIZATION, CULTURAL CHANGE AND