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Régime politique et autocratie postsoviétique

CHAPITRE III : La corruption, ou le maintien du régime en place

1. Autocratie et éléments théoriques de corruption

1.1 Théories de l’État

1.1.1 Régime politique et autocratie postsoviétique

L’intérêt que portent les définitions de l’oligarchie selon Aristote se focalise sur l’étude des rapports de forces au sein d’une société et du rapport des acteurs dominants à la loi et au droit (Aristote, Livre VI, CHAP V). Aristote jette donc les bases de notre champ d’études concernant les rapports entre les acteurs politiques, en plus des agents économiques qui peuvent se confondre à la sphère politique et se juxtaposer aux sphères de décision. L’intérêt de prêter attention à un classique comme Aristote est qu’il tend à démontrer les prémices fondamentales des régimes politiques.

La « corruption » d’un régime se définit selon Aristote par le fait que « la constitution est déviée de son but », de façon qu’« ils gouvernent dans leur propre intérêt, soit dans l’intérêt d'un seul, soit dans l'intérêt de la minorité, soit dans l'intérêt de la foule » et prennent « leur part de l’avantage commun » (Aristote, Livre VI, chap V).

À cette théorie, nous pouvons ajouter un élément de réflexion de l’académicien François Guizot qui est celui de la réaction des gouvernés et la façon dont ils sont traités. L’oligarchie, comme le mentionne Aristote, existe de plusieurs manières et le cas de l’Azerbaïdjan est bien particulier, car comment peut-on observer une « inertie » (dans le

sens que Guizot entendait dans « L’Histoire de la civilisation en Europe »), dans un régime politique ne laissant que peu de place à la construction d’une société civile.

L’Azerbaïdjan, tout comme le Turkménistan voisin

« La production pétrolière, sous le couvert du premier de ces PSA, avec le consortium Azerbaijan International Operating Company, a débuté en novembre 1997, déclenchant un redressement économique général qui a cependant été freiné, entre autres, par l'absence de réformes radicales, le retard de l'administration publique et une corruption largement répandue. » (Instrument Européen de Politique de voisinage, 2014, 13)

La construction sociale autour d’un leader charismatique et d’un culte de la personnalité, comme le père de l’actuel président de l’Azerbaïdjan : Heydar Aliyev, est une manière de concentrer l’attention et de mobiliser les symboles nationaux et culturels, appropriant ainsi l’identité d’un pays à celle d’un homme. Ce même homme qui, à sa mort en 2003, laissa un héritage qu’est le régime dynastique qui modifia considérablement le jeu politique en Azerbaïdjan (La Croix, 2016).

La faiblesse, voire l’inexistence d’une société civile à proprement parlé concernant le système présent en Azerbaïdjan, se manifeste clairement par la faible imputabilité des représentants et l’inexistence d’un corps intermédiaire entre les gouvernés et les gouvernants. Les corps intermédiaires que peuvent être les ONG nationales les associations, les regroupements, ou tout simplement les parlementaires ne sont pas des acteurs centraux de la vie politique azérie, et cela démontre une très faible politisation de la société.

Afin de consolider l’argument soutenu ci-dessus, la Constitution de la République d’Azerbaïdjan, rédigée et promulguée par le Président Heydar Aliyev en 1995, permet d’établir un tracé des pouvoirs exécutifs, législatifs et judiciaires.

La constitution azérie, définissant et encadrant le rôle de ces trois pouvoirs, ne laisse qu’un pouvoir réduit au parlement et n’est même pas à l’initiative des lois, et institutionnalise une véritable « structure verticale » du pouvoir (Avioutskii, 2007).

Les décisions, pouvoirs, ainsi qu’agissements dans les domaines de compétences du Parlement énoncées dans l’article 94 et 95 sont en large majorité basés sur les

recommandations du Président de la République d’Azerbaïdjan lui-même. « Basé sur les recommandations du Président de la République » signifie que l’initiative revient au Président, par exemple concernant la liste des juges de la Cour Constitutionnelle d’Azerbaïdjan (Loi constitutionnelle, Art.95.10). Cette même Cour constitutionnelle est la seule à pouvoir recommander la destitution du Président de la République d’Azerbaïdjan (Loi constitutionnelle, Art.95.12), exposant ainsi un problème de conflit d’intérêt évident et de position dominante du Président par rapport aux institutions législatives et judiciaires. Le rapport du GRECO, organe du Conseil de l’Europe dans la lutte contre la corruption, souligne et confirme que les membres du parlement au gouvernement ont très peu d’autonomie par rapport au président, et ceci par convention au régime politique d’Azerbaïdjan (GRECO, 2017).

Enfin, la loi encadrant le rôle du Procureur général d’Azerbaïdjan expose clairement le peu de séparation des pouvoirs et l’asymétrie de pouvoir entre le pouvoir exécutif et judiciaire (Loi constitutionnelle, Art.133). Les procureurs territoriaux ou spéciaux ne sont nommés que sous l’autorisation de Président de la République d’Azerbaïdjan (Loi constitutionnelle, Art.133. V)

L’ensemble de ces lois est souvent critiqué par les organismes internationaux, dont le Conseil de l’Europe dans les rapports du Groupe d’États contre la corruption (GRECO). Le dernier point pouvant être mentionné ici est l’absence totale de chiffrage des salaires dans la fonction publique, notamment à ce qui a trait aux magistrats et aux représentants parlementaires (Conseil de l’Europe, 2017). Il n’existe que des lois floues concernant le plafond des salaires et les possibilités d’enrichissement personnelles pour les membres du gouvernement, les représentants et les magistrats (Loi constitutionnelle, Art.122 ; 126. II). En outre, les parlementaires et hauts-magistrats sont très largement protégés dus au peu de combativité concernant la corruption dans les institutions judiciaires et législatives, et ceci notamment grâce au laisser-faire en matière de conflits d’intérêts. Encore en 2017, les rapports du GRECO dénoncent une opacité toujours aussi importante dans ce qui a trait aux patrimoines et à l’enrichissement personnel des élus du Milli Majlis

« Pour ce qui est du système de déclaration de patrimoine, qui couvre les trois catégories d’agents soumis à une évaluation (parlementaires, juges et procureurs),

malheureusement, l’Azerbaïdjan n’a pris aucune mesure (format de rapports, contrôle) pour rendre le système enfin opérationnel, après dix ans d’attente. Le GRECO encourage l’Azerbaïdjan à faire preuve d’une plus grande détermination dans la mise en œuvre de cette importante réforme et dans l’adoption des autres mesures recommandées concernant la transparence du processus législatif et un cadre pour traiter des incompatibilités et des activités accessoires des parlementaires. » (Conseil européen, 2017).

En outre, la constitution azerbaïdjanaise se caractérise par une impunité parlementaire très large et compliquant toute poursuite contre les députés du Milli Majlis. Les poursuites pour infractions et pour délits graves ne sont donc pas prises en compte, et la poursuite concernant des faits de corruption n’ont que très peu de chance d’aboutir selon de nombreux observateurs et institutions (GRECO, 2017). Ce laxisme est aussi visible dans le cadre de la Haute-fonction publique, que ce soit les cadres des ministères ou d’administrations de services publics.

En 2014, le GRECO a mis en lumière les opportunités de réduction de la corruption chez les membres du parlement, les juges et les procureurs en Azerbaïdjan. Cependant, comme mentionné précédemment dans ce mémoire, le rapport fait état du manque de séparation des pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire, et de liens étroits préservant un système clientéliste et de loyauté entre les trois pouvoirs.