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Un archétype commun à tous les manuscrits

Étude des précédentes éditions des textes de Jordanès

A. Un archétype commun à tous les manuscrits

1. Un archétype commun

Mommsen3établit l’existence d’un archétype commun à tous les manuscrits en se fon-dant sur deux éléments, les lacunes et les « erreurs » communes, que nous avons également pu constater. Il s’appuie alors sur les deux textes de Jordanès, mais nous nous contenterons d’évoquer ce qui concerne le texte qui nous occupe, lesRomana4.

Tous les manuscrits dont nous disposons comprennent les deux mêmes lacunes :

1. Giunta & Grillone 1991, p. IX ; Grillone 2017, p. XXX-XXXV. 2. Mommsen 1882, p. LXI

3. Ibid., p. XLV.

4. Grillone 2017 fournit une liste très détaillée des « erreurs » communes à tous les manuscrits dans les

Rom.137 : le texte s’interrompt après deux subordonnées sans principale, « Nouis-sime cum iam obsidia sua barbaros fatigasset et, mille pondo auro recessum suum uenditantes… » et reprend avec une subordonnée consécutive, « … ut omnia incen-diorum uestigia Gallici sanguinis inundatione deleret »1

— entre Rom. 302 et 303 : la lacune intervient entre « Sic quoque concitata persecu-tione in Christianos Dioclitianus… »2et « … Cappadociamque defunctus est Constan-tius »3 produisant une phrase qui pourrait être grammaticalement correcte, en ad-mettant un accord au plus proche entre le verbe « defunctus est » et son deuxième sujet « Constantius », mais qui n’a pas de sens, Constance II et Dioclétien étant morts à une soixantaine d’années d’écart.

Dans la plupart des manuscrits, ces lacunes ne sont pas mentionnées par les copistes qui poursuivent leur copie du texte sans s’interrompre. D’autres manuscrits comportent une mention de la présence d’une lacune4. Seul un manuscrit, Oxoniensis collegii Balliolensis n°125 (Ob) ne présente que la première lacune. Il semble que son copiste ou celui de son antigraphe ait comblé la deuxième lacune en combinant plusieurs sources.

Mommsen propose également une liste d’erreurs communes à tous les manuscrits : Rom.99 :agituram–>agitaram

Rom.143 :Caurus–>Gaurus

Rom.144 :crassantem–>grassantem

Rom.159 :brattius–>bruttius

Rom.180 :exiremis–>extremis

Rom.181 :gladium–>cladium

2. Caractéristiques de l’archétype

À partir des « erreurs » communes, Mommsen5 a défini quelques caractéristiques de l’archétype. Il déduit ainsi des permutations entre les lettres C et G, I et T et I et Z que ce manuscrit devait être rédigé soit en capitales, soit en « littera Scottica », avec une préférence pour cette dernière hypothèse en raison des confusions a/co, a/u, r/s également présentes dans les manuscrits.

L’archétype devait également être écrit en « verba continuo » comme le montre la sé-paration des mots parfois incorrecte dans certains manuscrits, comme dansHPVqui

pré-1. Iord.Rom.137 « Finalement, alors que leur siège avait bientôt épuisé les barbares, négociant leur re-traite pour mille livres d’or […] de telle sorte qu’il lava tous les vestiges de l’incendie dans un déluge de sang gaulois ».

2. Ibid.302 : « Ainsi, après avoir également initié une persécution contre les chrétiens, Dioclétien … ». 3. Ibid.303 « …et Constance mourut en Cappadoce ».

4. Lprésente ainsi une note marginale qui précise « hoc in loco multum deest ». 5. Mommsen 1882, p. XLV-XLVI.

sentent « ioue moraret » au lieu de « iouem oraret » [Rom.91].

Pour Mommsen, certaines des abréviations présentes dans les manuscrits remontent à l’archétype, puisqu’elles étaient déjà utilisées à l’époque de Jordanès, il les a donc conser-vées dans son édition :pl.m.(plus minus) etmag.mil.(magister militum).

Il a relevé d’autres abréviations qui peuvent remonter à l’archétype, mais qu’il a choisi, en l’absence de certitude ne de pas inclure dans son édition :ssti(supra scripti [Rom.57]), rei.pl.(rei publicae [Rom.93]),impr,scs,ds,dns.

Afin de rendre notre édition la plus lisible possible, nous avons choisi de n’adopter aucune abréviation, sinonm.oumens.pourmensesetan.ouann.pourannosqui reviennent très régulièrement.

B. Deux familles de manuscrits pour les Romana

1. Distinction entre les familles

La distinction entre les deux familles de manuscrits est impossible sur la base seule des

Romana. Mommsen dessine un clivage entre la famille I et la famille II sur la base de cinq lacunes dans lesGeticacommunes aux manuscrits de cette dernière :

Get.79-80 : omission de « vandiliarium vandalarius genuit » (SOB) dans l’énuméra-tion des souverains et souveraines gothes, « Vultuulf uero genuit Valarauans : Vala-rauans autem genuit Vinitharium : Vinitharius quoque genuitVandiliarium : Vanda-larius genuitThiudemer et Valamir et Vidimir : Thiudimir genuit Theodericum »1; Get.108 : omission de « nam ibi…. ciuitatem » (OB) dans la phrase «nam ibi ad radices

Emi montis et mari uicinam Anchialos ciuitatemadgressi mox adeunt »2;

Get.184 : omission de « abscisam truncatamque auribus » (OB) dans la phrase « sed postea, ut erat ille et in sua pignora truculentus, ob suspicionem tantummodo ueneni ab ea parati, naribusabscisam truncatamque auribus»3;

Get.188 : omission de « non per bella ubi communis » (OB) dans la phrase « recorda-mini, quaeso, quod certe non potest obliuisci, ab Hunnisnon per bella, ubi communis

1. Iord.Get.79-80 : « Vutulf quant à lui engendra Valaravans. Valaravans pour sa part engendra Vini-tharius. Vinitharius à son tour engendra Vandalarius. Vandalarius engendra Theudimir et Valamir et Vidimir. Theudimir engendra Théodoric »(traduction Devillers).

2. Ibid.108 : « là, en effet, ils arrivent bientôt en agresseurs à la cité d’Antiochiale, qui est au pied du mont Hémus et proche de la mer »(traduction Devillers).

3. Ibid.184 : « mais par la suite, vu que cet homme se comportait comme une brute, y compris envers ses propres descendants, elle-même, sur le seul soupçon qu’elle aurait préparé du poison, aurait eu la tête le nez coupé, les oreilles tranchées »(traduction Devillers).

casus est »1;

Get.239 : contraction de « necdum Olybrio octavo mense in regno ingresso obeunte » en « nocte » (OB) dans la phrase « et necdum Olybrio octauo mense in regno ingresso obeunte Glycerius apud Rauennam plus presumptione quam electione Caesar effec-tus »2.

Par ailleurs, dans certains manuscrits de la première famille (P, V, Ta et Mp), le texte des

Romanaest précédé du poème d’Honorius adressé « ad Iordanem »3, bien qu’il ne s’agisse pas de notre auteur. Si l’on ne le trouve dans aucun des manuscrits de la famille II, il ne peut servir de discriminant puisqu’une partie importante de la famille I ne le transmet pas non plus.

2. Famille I

La première famille est celle qui comprend le plus de témoins. Dans leurs éditions res-pectives, Mommsen comme Giunta et Grillone accordent une attention particulière à quatre d’entre eux :

H:Heidelbergensis 921

V:Valenciennensis 95

P:Vaticanus Palatinus 920

L:Florentinus Laurentianus plut. 65. 35.

Selon Mommsen, « in universum et aetate et integritate duos alios superat »4. Giunta et Grillone nuancent un peu ce jugement, en reconnaissant le famille I est la meilleure des trois familles, mais qu’elle n’en est pas pour autant bonne5.

3. Famille II

Des manuscrits de la classe II telle que la définit Mommsen6, seuls cinq contiennent le texte desRomana:

S:Berolensis Phillippsianus 1885 et 1896

1. Ibid.188 : « rappelez-vous, je vous prie – et ce n’est certainement pas une chose qu’il oublie, lui – qu’on n’a pas été défait par les Huns à la guerre, là où la chance est égale pour tous »(traduction Devillers).

2. Ibid.239 : « en outre, il n’y avait pas huit mois qu’Olybrius était monté sur le trône qu’il trouvait la mort. Glycère fut fait César à Ravenne davantage par une usurpation qu’à la suite d’une élection »(traduction Devillers).

3. N°666 de l’Anthologie latine. Voir aussi Finch 1970, p. 46-47.

4. Mommsen 1882, p. XLVI : « elle est supérieure dans son ensemble aux deux autres [familles] par son ancienneté et sa conservation ».

5. Giunta & Grillone 1991, p. XII. 6. Mommsen 1882, p. LVI.

K0:Vindobonensis n°203

K2:Vindobonensis n° 226

K3:Vindobonensis n°3221

M:Monacensis n°14506

Avec leBerolensis Phillippsianus 1885/1896, Mommsen retient deux manuscrits majeurs dans cette classe, qui eux ne comprennent que le texte desGetica:

O:Vaticanus Ottobonianius n°1346

B:Bresliaviensis Rehdigerenus repos. n°106

Mommsen n’accorde que peu de crédit à cette famille de manuscrits et ne lui donne raison contre la famille I que lorsqu’elle est en accord avec la famille III. Dans ce contexte, l’utilisation de la seconde famille dans une édition desRomanaapparaît comme très limi-tée. La notion même de seconde famille est d’ailleurs en soi discutable pour ce qui est des

Romana.

En effet, comme nous allons le voir plus loin, les manuscritsVindobonensis n°226, Vin-dobonensis n°3221 etMonacensis n°14506 descendent tous trois deVindobonensis n°2031 et cette sous-famille comprend tant d’interpolations et de lacunes qui lui sont propres que le clivage entre celle-ci et tous les autres manuscrits est beaucoup plus important qu’un éven-tuel clivage entreSK0K2K3Met les manuscrits de la famille I. Aucun lieu variant signifiant ne soutient d’ailleurs ce clivage dans lesRomanaet rien ne semble indiquer queSK0K2K3M

appartiennent à la même famille, d’autant plus qu’aucun de ces cinq manuscrits ne com-prend la substitutionenim/autemque Mommsen présente comme une des caractéristiques de la deuxième famille2.

Sur la base seule desRomana, rien ne nous permet de justifier le rattachement deSà la deuxième famille plutôt qu’à la première, même si nous avons conscience que le fait queS

n’ait qu’une partie du texte nous prive d’indices qui auraient pu indiquer l’existence d’un ancêtre commun à S et àK0K2K3M. Il nous faut donc nous pencher sur les Getica pour étudier les rapports de Savec les deux familles, ce qui n’est pas non plus sans difficulté, puisqueSne fait que rassembler des extraits desGetica. Ainsi sur les cinq lacunes communes aux manuscrits de la deuxième famille relevées par Mommsen, nous ne pouvons qu’en constater qu’une chezS, le manuscrit ne nous transmettant pas les passages où apparaissent les autres lacunes : l’omission de « vandiliarium vandiliarius genuit » àGet.79-80.

Cette lacune n’est d’ailleurs pas la plus convaincante. Elle intervient ainsi dans une énumération des souveraines et souverains des Goths qui se sont succédés : « Vultuulf vero

1. Voir le passage consacré à ce manuscrit et à ses descendants, p. 178. 2. Mommsen 1882, p. LVI.

genuit Valaravans : Valaravans autem genuit Vinitharium : Vinitharius quoque genuit [ Van-diliarium : Vandalarius genuit]Thiudemer et Valamir et Vidimir : Thiudimir genuit Theode-ricum ». La répétition de « genuit » est propice à un saut du même au même, qui puisse se produire indépendamment dans divers manuscrits.

Sprésente d’ailleurs d’autres omissions dans ce passage, quelques mots de liaisons (« au-tem », « quoque ») et une plus large omission dans la succession : « Hunuil [item] genuit [Athal : Athal genuit Achiulf et Oduulf : Achiulf autem genuit Ansila et Ediulf, Vultuulf et Her-menerig : Vultuulf vero genuit] Valaravans. Valaravans autem genuit Vinitharium : Vinitha-rius [quoque] genuit [Vandiliarium : Vandalarius genuit] Thiudemer et Valamir et Vidimir : Thiudimir genuit Theodericum »1.

L’étude des leçons que Spartage avec d’autres manuscrits dans les Getica semble ce-pendant confirmer l’hypothèse selon laquelle celui-ci est plus proche des manuscrits de la deuxième famille que de ceux de la première. D’abord, dans le passage cité précédemment, il partage la lacune « Athal … vero genuit » avecO, l’un des deux témoins majeurs de la famille II.

On ne trouve de plus que cinq cas oùSpropose la même leçon que les manuscrits de la classe I contre ceux de la classe II, et ces cas sont peu concluants :

Get.4,HPS:eoropam;L: et europam ;V OB:europam

Get.125,VS: ingressus ;HPL OB:ingressu

Get.128,HPVS:et ad arcos sagittasque;L B:arcus;O:orcos

Get.133,HVS:permisso;PL OB:permissu

Get.135 ;HPVS:et suppellectile;O:et supplictile;LB:et supellectilem.

Au contraire, dans une centaine de cas,Sa la même leçon queO,BouOBcontreHPVL. Par exemple,

— orthographe des noms propres comme àGet. 79 :HPVL:hulmul;SOB:halmal ou

HPV:thiudimer;SB:theodemir;O:thodemir ou àGet.80 :HPV:thiudimir;SOB:

theodemir

— des changements de personne comme àGet.121 :SOB:cognominat;HPVL: cogno-minant

— des subsitutions dans lesquelles la phrase conserve un sens comme à : Get.121,HPV:magas mulieres;SOB:magnas mulieres

Get.123,HPV:quiete;SOB:fidem

Get.123,HPV:in interioris;SOB:in ulterioris

1. Iord.Get.79-80 : « Huinil engendra[de même Athal. Athal engendra Achiulf et Odulf. Achiulf pour sa part engendra Ansita et Ediulf et Hermanaric. Vutulf quant à lui engendra] Valaravans. Valaravans pour sa part engendra Vinitharius. Vinitharius[à son tour]engendra[Vandalarius. Vandalarius engendra]Theudimir et Valamir et Vidimir. Theudimir engendra Théodoric »(traduction Devillers).

Get.135,HPV:faciliusque;SOB:facibusque

En conclusion, sur la base desGetica,Speut bien être considéré comme appartenant à la famille II, même si cela n’apparaît pas dans lesRomana. Il nous faudra le garder à l’esprit pour notre édition.

II. Présentation du corpus de manuscrits

Comme nous l’avons vu, le clivage entre la famille I et la famille II n’est pas très net. C’est pourquoi, pour présenter les manuscrits qui comprennent le texte desRomana, nous avons préféré faire la distinction entre les manuscrits retenus pour l’édition et ceux que nous avons laissés de côté, plutôt qu’entre les deux familles.