• Aucun résultat trouvé

Structure et rédaction de l’oeuvre

par Jordanès

D. Révision de la chronologie des événements chez Procope

II. Structure et rédaction de l’oeuvre

Nous allons étudier dans cette partie la façon dont Jordanès a construit les Romana. Son plan particulier, qui articule de façona priori grossière une histoire universelle et une histoire romaine, nous semble en effet être révélateur de la vision que notre auteur propose de l’histoire romaine et de l’empire dans lequel il vit au moment de la rédaction.

A. Rom.1-5 et 6-7 : deux préfaces pour une seule œuvre

Lire une préface permet en général d’avoir un rapide aperçu du contenu d’une œuvre, de la méthode employée par l’auteur et de ses intentions. La particularité desRomanaest de présenter deux préfaces.

1. Croke 2005, p. 489-493. 2. Procop. 8.24.1

1. Les deux préfaces des Romana

Les paragraphes 1-5 et 6-7 des Romana constituent deux ensembles distincts et pré-sentent cependant d’importantes redondances. Jordanès évoque ainsi à deux reprises les questions d’un ami comme point de départ de son projet : « nobilissime frater Vigili […] me longa per tempora dormientem uestris tandeminterrogationibus excitastis » [Rom.

1] et « ad inquisitionibus amici fidelissimi » [Rom. 6]. Il y emploie également la même image pour décrire la méthode employée pour construire son livre : sélectionner parmi les textes des anciens des morceaux choisis «ex diuersis uoluminibus maiorum praelibans

aliquafloscula[…] in unum redigere » [Rom.6] et «ex dictis maiorum flosculacarpens

breuiter referam » [Rom.2].

Il emploie également la même expression pour s’excuser de son style, « quamuis sim-pliciter » [Rom.2 et 7], et diverses formules de modestie pour s’excuser des limites de son talent : « licet nec conuersationi meae […] conuenire potest » [Rom.3] ; « pro captu ingenii mei » [Rom.6].

Enfin, il annonce le contenu de son livre par deux fois à quelques paragraphes d’écart. Ainsi, au paragraphe 6, il écrit qu’il va parcourir les événements et les hommes qui ont mené à l’hégémonie de l’empire romain. Or il annonçait déjà la même chose au paragraphe 3.

Les deux ensembles de paragraphes, 1-5 et 6-7, avec une adresse au commanditaire, une annonce de contenu et de méthode, comprennent donc tous deux les éléments d’une préface. Nous nous trouvons alors face à deux préfaces pour une seule œuvre.

Des différences entre ces deux préfaces apparaissent cependant rapidement.

D’abord, la préface des paragraphes 6-7 présente le contenu lesRomanade façon beau-coup plus partielle que celle des paragraphes 1-5. Ainsi, si l’on se réfère au paragraphe 6, le livre de Jordanès semble se limiter à une histoire romaine, même si le paragraphe 7 vient im-médiatement contrebalancer cette impression en indiquant la naissance du monde comme point de départ de cette histoire. Les paragraphes 1 à 5 annoncent de façon plus claire une histoire plus universelle qui commence à la création du monde et parcourt les différents empires qui ont précédé Rome.

Les deux préfaces diffèrent également résolument dans leur ton. Les paragraphes 1-5 nous annoncent en effet un récit pessimiste : nous y retrouvons le champ lexical de la calamité (« erumna(s) » [Rom. 2 et 4] ; « calamitate » [Rom. 4]) et une vision sombre de l’empire romain qui n’est plus que son ombre (« hactenus uel imaginariae teneat » [Rom.

Enfin, Jordanès énonce que son œuvre a pour but de faire connaître à son lecteur les malheurs du monde, afin que celui-ci comprenne qu’il n’y a rien à en attendre et qu’il est préférable de s’en retirer pour se consacrer à Dieu [Rom.1 et 5].

Au contraire, c’est sur un empire romain à son apogée que s’ouvrent les paragraphes 6-7. Même si la formule « romani […] armis et legibus exercentes orbem terrae suum fe-cerunt : armis si quidem construxerunt, legibus autem conseruauerunt » est au passé, elle évoque encore l’empire contemporain de Jordanès. Letopos« arma et legibus » est en effet particulièrement utilisé à l’époque de Justinien, y compris dans les textes de l’empereur lui-même. Dannenbring, qui a étudié cette formule sous le règne de Justinien, explique qu’elle devient presque un cri de guerre pour les contemporains de Jordanès, ou en tous cas un résumé du programme politique de l’empereur : raffermir l’empire par la reconquête et la stabilisation des territoires à ses frontières et l’unification et la clarification de ses lois1.

En plaçant ce motif populaire à l’époque de Justinien sous la plume d’un auteur plus ancien, Jamblique, plutôt que sous celle de l’un de ses contemporains, peut-être Jordanès cherche-t-il à conférer de l’ancienneté à la formule et à ancrer l’empire de Justinien dans la continuité de l’empire romain ?

Enfin, la préface des paragraphes 6-7 nous annonce un récit plutôt optimiste, une suite de conquêtes et d’actes admirables qui ont mené à l’Etat de son époque : Jordanès pré-voit ainsi d’écrire l’« annorum seriae quam etiam eorum uirorum, qui fortiter in re publica laborauerunt » [Rom.6].

Les préfaces 1-5 et 6-7, si elles annoncent un contenu similaire, le font avec un ton si différent qu’elles ne semblent pas écrites pour le même livre. Comment des paragraphes qui se suivent peuvent-ils être aussi radicalement différents ?

2. Deux préfaces pour deux périodes de rédaction

Un indice se trouve à la fin desRomana: le ton du paragraphe 88 est bien plus proche du pessimisme de la préface 1-5 que de l’optimisme de la préface 6-7. On y retrouve ainsi le champ lexical de la calamité (« hi sunt casus Romanae rei publicae », « tragydiae » [Rom.

388]) et si le développement de l’empire est bien rappelé, comme au paragraphe 6, c’est pour mieux insister sur son démantèlement : « quomodo aucta, qualiterue sibi cunctas terras subdiderit et quomodo iterum eas ab ignaris rectoribus amiserit ».

Il nous semble donc que la fin desRomana a été écrite dans l’esprit de la préface 1-5 plutôt que dans celui de la préface 6-7. Cette première préface aurait alors été écrite après, ou du moins au même moment que la fin de l’œuvre. Des deux préfaces, la première rédigée serait donc celle qui vient en deuxième [6-7].

Nous savons justement qu’un certain temps s’est écoulé entre le début de la rédaction desRomana et la fin de celle-ci. La préface desGetica nous annonce ainsi que Jordanès a interrompu son travail sur l’Histoire romainepour se consacrer à l’Histoire des Goths : « re-lictoque opusculo, quod intra manus habeo, id est,De adbreuiatione chronicorum, suades »1. Le fait que la première préface [1-5] desRomanamentionne lesGeticaconfirme qu’elle a été écrite après l’interruption dans la rédaction des Romana, donc plus proche de la fin de la composition de l’œuvre que de son début. Jordanès évoque alors ainsi les Getica : « iungens ei aliud uolumen de origine actusque Getice gentis, quam iam dudum communi amico Castalio edidissem » [Rom.4].

Girotti compare justement ces trois préfaces et constate qu’elles ont une structure si-milaire : elles commencent par une apostrophe au commanditaire, poursuivent avec une description de la structure de l’œuvre puis avec la méthode employée pour la composer et fi-nissent sur un appel à prier pour leur auteur2. Si nous constatons effectivement que les trois préfaces ont une structure commune, il nous semble cependant que la première préface [1-5] desRomanaest plus influencée dans sa forme par celle desGeticaque la seconde préface. Ces deux préfaces précisent en effet le nom du commanditaire et présentent les conditions dans lesquelles se trouvait Jordanès quand il a reçu la commande : « Volentem me paruo subuectum nauigio, oram tranquilli litoris attringere, et minutos de priscorum, ut quidam ait, stagnis pisciculos legere, in altum, frater Castali, laxare uela compellis » [Get.1]3; « me longa per tempora dormientem uestris tandem interrogationibus excitastis » [Rom.1]. Les deux finissent sur une demande de prière, ce qui n’est pas le cas de la préface 6-7 : « ora pro me, frater carissime »4et « ores pro me, nobilissime et magnifice frater » [Rom.5].

Les différentes étapes de rédaction des œuvres de Jordanès que présente Girotti5nous paraissent tout à fait plausibles :

1. Jordanès commence la rédaction desRomanapar une préface qui correspond actuel-lement aux paragraphes 6 et 7 ;

2. il interrompt la rédaction desRomanapour écrire lesGetica;

1. Iord.Get.1 : « tu me persuades d’abandonner l’opuscule auquel je suis en train de mettre la main, c’est à dire l’“abrégé des chroniques” »(traduction Devillers).

2. Girotti 2005, p. 202.

3. Iord.Get.1 : « Je voulais simplement me laisser porter par une frêle embarcation, longer un rivage paisible et pêcher, comme on dit, de minuscules poissons dans les eaux des anciens. Or voilà que toi, frère Castalius, tu m’entraînes à faire voile vers la haute mer »(traduction Devillers). En passant, nous remarque-rons avec Devillers (1995, note 3 p. 123-124) que Jordanès semble « considérer […] son résumé l’Histoire des Gothscomme une entreprise plus périlleuse, et sans doute plus méritoire, que lesRomana». Il compare en effet la première à un voyage en haute mer et la seconde à un paisible cabotage.

4. Iord.Get.3 : « en priant pour moi, très cher frère »(traduction Devillers). 5. Girotti 2005, p. 214.

3. une fois lesGeticafinis, il reprend et achève la rédaction desRomana;

4. il rédige une nouvelle préface auxRomana, qui correspond aux paragraphes 1-5. Tout en s’accordant avec Girotti sur le déroulement de la rédaction, nous ne partageons pas certaines de ses déductions.

Ainsi, Girotti fait l’hypothèse que l’ami auquel s’adresse Jordanès au paragraphe 6 nous est inconnu, sous-entendant alors que le commanditaire desRomanapouvait au départ être un autre que Vigilius1. Cette hypothèse nous semble peu probable. En effet, les remercie-ments de Jordanès au paragraphe 1 sont assez précis : il le remercie pour l’avoir sorti du désœuvrement en lui proposant de rédiger un abrégé d’Histoire romaine. Que ces remer-ciements soient un passage obligé ou non, ils n’auraient pas de sens si Vigilius n’avait pas été à l’initiative du projet.

Girotti déduit également de l’existence de trois préfaces pour deux textes que chaque texte a sa propre préface : les paragraphes 6-7 seraient la préface desRomana, les Getica

auraient leur propre préface et les paragraphes 1-5 constituerait une préface qui unit ces deux livres en une œuvre unique, pour ainsi dire en deux parties.2. L’idée selon laquelle les

Geticaet les Romanaseraient une seule œuvre en deux parties (ou trois selon les auteurs) est assez répandue3.

Il est vrai que le paragraphe 4 lie les deux œuvres et en présente la lecture comme complémentaire, mais il existe quelques contre-arguments à cette hypothèse.

D’abord, si Jordanès avait réellement considéré lesRomana et les Getica comme une œuvre en deux parties, comment expliquer qu’il ait transmis à Castalius les Getica sans lesRomana? Si c’était l’urgence qui justifiait d’envoyer lesGeticaavant d’avoir achevé les

Romana, la préface des premières annoncerait certainement la prochaine publication des se-condes dont la lecture complémentaire serait bienvenue. Or lesRomanane sont présentées dans la préface desGeticaque comme un travail de moindre importance interrompu.

Il est de plus exagéré de dire que la préface 1-5 desRomanaa pour but de faire le lien entre lesRomanaet lesGetica, alors qu’il n’est fait référence à ces dernières que dans un pa-ragraphe et qu’elles sont présentées comme un complément. Nous formulons plutôt l’hypo-thèse que Jordanès, après avoir fini la rédaction desRomana, a trouvé nécessaire d’y ajouter une nouvelle préface, sans doute pour prévenir son dédicataire qu’il lui envoyait un autre livre en plus de celui qu’il lui avait commandé, peut-être aussi pour proposer une version

1. Ibid., p. 215. 2. Ibid., p. 209 et 214.

3. Luiselli, par exemple, estime qu’il s’agit d’une histoire tripartite : orientale, romaine et gothe (Luiselli 1976, p. 130). On trouve une idée similaire chez Goffart qui lui parle plutôt d’histoire universelle, histoire romaine et histoire des Goths (Goffart 1988, p. 21).

plus détaillée que la première et surtout pour préciser le sens de son ouvrage, parce que celui-ci aurait changé au cours de la rédaction.

3. Une annonce du contenu desRomana

Mais après avoir vu à quel moment et pourquoi Jordanès a rédigé ces deux préfaces, venons-en au but premier de la préface : décrire la méthode employée pour composer les

Romanaet annoncer son contenu.

a. Une écriture simple pour une œuvre concise

Jordanès présente, dans ses deux préfaces, la méthode qu’il a ou va employer pour ré-diger lesRomana. Il s’agit pour lui de faire une compilation (il emploie lui-même le verbe « collegere » [Rom.6]) des meilleurs passages des historiens qui l’ont précédé : « ex dictis maiorum floscula carpens breuiter referam » [Rom.2] et « ex diuersis uoluminibus maiorum praelibans aliqua floscula » [Rom.6].

Le but de son travail n’est cependant pas de produire un florilège étendu, mais d’être le plus concis possible. Il emploie ainsi à deux reprises l’adverbe seul « breuiter » [Rom.2 et 4] et une fois accompagné, « strictim breuiterque » [Rom.6]. Enfin, pour désigner le produit de son travail, il emploie volontiers des suffixes diminutifs : « paruissimolibello» [Rom.

4] et « storiunculae» [Rom.6].

Cette intention de brièveté s’accompagne d’un aveu de simplicité, qui va au-delà des habituelles formules de modestie. Il y a certes une probable exagération dans la multiplica-tion des formules d’excuses pour son manque de talent (« licet nec conuersamultiplica-tioni meae quod ammones conuenire potest nec peritiae » [Rom.3], « pro captu ingenii mei » [Rom. 6]), mais certaines de ces formules montrent une véritable volonté de rendre son œuvre accessible à un public plus large que les grands érudits de son époque. Ainsi, Jordanès revendique le fait d’écrire avec ses propres mots, « meo tamen […] eloquio »1, « Quod quamuis simplici-ter reor dictum uideri doctissimis, gratum tamen fore aestimomediocribus, dum et breuia sine fastidio legant et sine aliquo fuco uerborum quae lectitauerint sentiant » [Rom.7]. Si cette phrase peut être encore vue comme une formule de modestie, où Jordanès expliquerait être sans prétention, parce qu’il écrit pour les gens simples, on peut également y voir une certaine volonté de produire une œuvre qui serve aux petits lecteurs2.

1. Nous reviendrons sur ce sujet, mais Jordanès exagère un peu sa part de réécriture dans la mesure où il recopie de larges passages de ses sources, en particulier de Florus, sans en changer un mot.

2. Nous sommes ici tentée de formuler l’hypothèse, mais sans matière autre pour l’étayer que ce que nous savons de la vie de notre auteur, que Jordanès, issu d’une famille gothe, ancien notaire et autodidacte, souhaite s’adresser à des gens comme lui, plutôt qu’aux érudits des grandes familles… ou faute de pouvoir s’adresser à eux. Car comme le souligne Luiselli, il n’y a pas de raison voir dans la langue peu classique de Jordanès le signe d’une « voluta democratizzazione linguistica » (démocratisation souhaitée de la langue), puisque celui-ci

b. Un récit qui s’inscrit dans latranslatio imperii

Après avoir étudié la méthode de composition de Jordanès, voyons maintenant com-ment il annonce le contenu de son livre. La première préface [6-7] ne fait qu’une annonce partielle du contenu desRomana: « tam annorum seriae quam etiam eorum uirorum, qui fortiter in re publica laborauerunt » [Rom.6] qui trouve un parallèle àRom., 2.

Les paragraphes 3 et 4 constituent au contraire presque une annonce de plan. En ef-fet, au paragraphe 3, Jordanès écrit qu’il commencera son récit « ab auctoritate diuinarum scripturarum » et ce jusqu’à « ad regnum Nini ». Cela correspond en effet aux paragraphes 8 à 11 des Romana, dans lesquels notre auteur s’appuie sur la Genèse pour énumérer les premiers personnages bibliques jusqu’à Abraham.

Jordanès indique ensuite qu’il poursuivra avec les rois des Assyriens jusqu’à « ad Ar-bacem Medum, […] usque ad Cyrum Persam, […] exinde usque ad Alexandrum Magnum », ce qui correspond aux paragraphes 12 à 83 des Romana pour lesquels notre auteur suit majoritairement la traduction de Jérôme de laChronique universelled’Eusèbe de Césarée.

Au paragraphe 4, Jordanès ajoute qu’après les Assyriens, les Mèdes, les Perses et les Macédoniens, il en viendra à « quomodo Octauianus Augustus Cesar subuerso regno Gre-corum in ius dominationemque Romanorum perduxit », ce qui correspond au paragraphe 84, qui raconte comment Auguste a vaincu Cléopâtre mettant là fin à l’empire des Macédo-niens.

Une fois parvenu au commencement de l’empire romain, Jordanès amorcera au para-graphe 85 un retour en arrière pour raconter avec Romulus et Rémus les débuts de Rome et, en repartant de ceux-ci, il parcourra jusqu’à la fin desRomanaet Justinien la liste des souverains romains. Et c’est bien ce qu’il annonce avec la suite du paragraphe 4 : « et quia ante Augustum iam per septingentos annos consulum, dictatorum regumque suorum sol-lertia Romana res publica nonnulla subegerat, ab ipso Romulo aedificatore eius originem sumens, in uicesimo quarto anno Iustiniani imperatoris ».

Les deux préfaces desRomanalaissent deviner que le fil conducteur du récit de Jordanès sera la succession. À deux reprises dans ces paragraphes, notre auteur emploie le nom latin qui désigne la succession : « series » [Rom.2] et « seriae »[Rom.6] pour évoquer tantôt le passage des ans, tantôt la succession des empires et des souverains.

Ces paragraphes présentent également de nombreuses références au passage d’un sou-verain à un autre ou à la notion de parcourir comme «abAugusto OctauianoinAugustum

uenerit Iustinianum » [Rom. 2] ; «per familiarum capita currentes deuenimus ad re-gnum Nini » [Rom. 3] ; «usque ad Arbacem Medum, qui [regnum] conuertit» [ibid] ;

semble dévaloriser une mauvaise maîtrise de la langue lorsqu’il évoque son passé d’« agrammatus » (Luiselli 1992, n. 73 p. 532).

«usque adCyrum Persam, qui […] regnum […]transtulit» [ibid] ; «usque ad Alexan-drum Magnum Macedonem, qui […] in Grecorum dicionem rem publicam demutauit» [ibid] ; « subuerso regno Grecoruminius dominationemque Romanorumperduxit» [Rom.

4].

Jordanès annonce donc qu’il va écrire une histoire des origines du monde jusqu’à son époque, en commençant par les temps bibliques, puis, avec l’avènement du premier empire, en parcourant les souverains des empires qui se sont succédé : assyrien, mède, perse, ma-cédonien, puis romain. Comme le fait remarquer Alonso-Núñez, Jordanès s’inscrit dans la tradition de la succession des empires, latranslatio imperii. Cette théorie selon laquelle des empires se succèdent à la direction du monde est présente pour la première fois chez Héro-dote. Elle se retrouve également chez des auteurs latins, en particulier chez Trogue Pompée, auteur d’une histoire universelle, Les Histoires Philippiques, pour nous perdue, mais dont nous pouvons avoir un aperçu grâce à l’abrégé qu’en a fait Justin au IVèmesiècle.

Alonso-Núñez met ainsi en parallèle un passage de Justin avec les paragraphes 3 et 4 des Romana : « Imperium Assyriorum a Nino rege usque ad Sardanapallum : post quem translatum est per Arbacem ad Medos, usque ad ultimum regem Astyagem. Is a nepote suo Cyro pulsus regno et Persae regno potiti » (Iust. X, 3, 7 ; XI, 15, 10)1.

Jordanès a pu se nourrir de cette tradition de latranslatio imperii à la lecture des His-toires Philippiques, soit dans sa forme originale, soit dans sa forme abrégée. On sait en effet que l’œuvre de Trogue Pompée ne lui est pas inconnue puisqu’il le cite dans les Getica2. La tradition de la translatio imperii n’est cependant pas absente non plus de l’œuvre qui inspire le plus Jordanès dans la première partie desRomana, la traduction latine que fait Jé-rôme de laChronique universelled’Eusèbe de Césarée. Même si Eusèbe/Jérôme ne l’évoque pas explicitement, on peut la déceler dans les transitions. Ainsi on peut lire le passage de pouvoir de l’empire des Assyriens à celui des Mèdes, « Arbaces Medus Assyriorum imperio destructo regnum in Medos transtulit »3et de façon un peu plus subtile dans le passage de l’empire des Mèdes à celui des Perses, « Cyrus Medorum destruxit imperium »4.

En conclusion, lesRomanaprésentent deux préfaces. La première, qui correspond aux paragraphes 6-7, a été rédigée au début de la composition de l’œuvre, lorsque Jordanès avait encore une vision optimiste de l’empire « romain » de son époque. Après s’être interrompu dans la rédaction de son Histoire romaine pour se consacrer auxGetica, Jordanès revient