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TYPOLOGIE DES RÉGIMES DE CHANGE VULNÉRABLES AUX CRISES DE CHANGE PAR CONTAGION

VULNÉRABILITÉ AUX CRISES DE CHANGE PAR CONTAGION

3.2. TYPOLOGIE DES RÉGIMES DE CHANGE VULNÉRABLES AUX CRISES DE CHANGE PAR CONTAGION

Après avoir mis en valeur (théoriquement) l’hypothèse d’implication des régimes de change dans la contagion des crises de change, on passe à la seconde question, sur la quelle s’articule la problématique posée dans ce travail : sous quel(s) régime(s) de change, une économie émergente devient-elle (plus) vulnérable à la contagion lors des épisodes de crises de change internationales (ou contagieuses) ?

Une réponse (théorique) à cette question nécessite l’examen du problème de vulnérabilité à la contagion à travers une lecture extensive des modèles et travaux mettant

181 en relation régimes et crises de change domestiques, pour tenter de retracer la relation (régimes de change – crises de change) dans une logique de contagion internationale.

3.2.1. La théorie conventionnelle des crises de change comme cadre d’analyse

À travers les trois générations de modèles, les théories de crises de change par attaques spéculatives mettent l’accent sur la responsabilité des régimes d’ancrage rigide ou souple. Dans la logique des trois générations, la fragilité de ces deux catégories de régimes va être transposée, dans ce qui suit, sur un contexte international pour expliquer la vulnérabilité aux crises déclenchées ailleurs.

A- Arguments selon la 1ère génération de modèles

La fragilité des régimes de change fixes et intermédiaires pour expliquer la contagion dans la logique des modèles de 1ère génération s’argumente de la manière suivante (dans un schéma à deux pays). Une crise de change dans un pays (A), qui se manifeste par une forte dévaluation ou un flottement, se répercute sur le pays partenaire (B). Cet impact représente un choc défavorable pour ce dernier, et se caractérise par une création ou une aggravation du déficit courant, et d’une baisse importante du niveau des réserves dans (B). Cette situation, éventuellement conjuguée à une surévaluation réelle précédant le choc, pousse les investisseurs à conclure que le régime d’ancrage suivi par (B) devient insoutenable, et qu’une dévaluation future est inévitable. Suivant le schéma connu, les attaques spéculatives qui en résultent débouchent sur une dévaluation / flottement de la monnaie du pays (B).

Il est important aussi de noter que les propos des monétaristes, souvent favorables au flottement des taux de change, se rapprochent des enseignements de la 1ère génération relatifs à la fragilité des régimes d’ancrage rigide (fixes) et souple (intermédiaires) dans un contexte de crises domestiques ou par contagion. Schwartz [1998] considère que la contagion n’est qu’un "mythe". Les pays avec de "bons" fondamentaux et une cohérence entre objectifs internes et externes ne sont pas vulnérables aux crises de change, comme expliqué par Bordo et Schwartz [1996] (voir Chapitre 3 – Section 2). L’existence "trompeuse" de la contagion est expliqué par les mesures de sauvetage (ou "bail out") mises en place par un prêteur international en dernier ressort (à l’image du FMI ou d’un grand pays tel que les États-Unis), dont l’efficacité n’est qu’un "mythe" aussi. En

182 fait, selon Schwartz [1998], l’échec d’organisation d’un tel sauvetage génère une crise internationale par effet de "débordement" (ou effet "domino"). En dehors de ces mesures "peu efficaces", voire "dangereuses", l’adoption du flottement permet d’éviter les effets de transmission internationale des chocs provoqués par une crise de change dans un pays tiers.

Globalement, on remarque que la dynamique décrite trace un schéma de contagion fondamentale via le canal commercial. Ainsi, on peut déduire que la logique des modèles de 1ère génération s’adapte parfaitement à un contexte de propagation internationale des crises de change par la voie des interdépendances économiques (commerciales et financières).

B- Arguments selon la 2ème génération de modèles

Dans un contexte de crise de change domestique, c’est l’anticipation du choix d’arbitrage des autorités qui est utilisée comme "tache solaire" guidant l’action d’attaque. Lorsqu’il s’agit de contagion internationale, on procède à une extension du modèle à deux pays (à l’instar de ce qui a été fait pour l’explication du rôle de la variable "régimes de change" dans la contagion avec multiplicité d’équilibres). C’est la défaillance du régime d’ancrage dans (A) qui constitue l’information considérée comme "tache solaire". Le régime d’ancrage suivi dans (B) est attaqué par la suite, soit parce qu’il représente une similarité avec (A) (malgré un état "tolérable" de fondamentaux dans (B)), soit parce que ces derniers définissent ce que Masson appelle "zone d’équilibres multiples". Notons bien que cette seconde explication peut être perçue plutôt comme une conciliation entre les modèles de 1ère et de 2ème générations.

En définitive, on constate que l’argument de fragilité des régimes d’ancrage aux crises de change contagieuses, dans la logique de la 2ème génération, est plus proche de la définition "pure" de la contagion financière.

C- Arguments selon la 3ème génération de modèles

Au cours de la première partie de cette section, on a tenté de relier entre l’importance de la variable "régimes de change" pour l’explication des crises contagieuses, d’une part, et l’interaction (crises de change – crises bancaires), d’autre part. Ainsi, on a constaté que les modèles de 3ème génération offrent un contexte adéquat pour la confirmation du rôle des régimes de change pour expliquer la dynamique de propagation

183 internationale des crises de change. Les différents modèles analysés soulignent la fragilité des régimes d’ancrage définissant la vulnérabilité à la contagion fondamentale des crises de change via le canal des interdépendances financières.

3.2.2. Le débat autour du "bipolarisme" comme cadre d’analyse

A- Argument de l’efficacité anti-inflationniste

Selon les adeptes de l’approche bipolaire, les "solutions en coin" exercent un effet favorable en matière de diminution de la surévaluation réelle, à travers la maîtrise de l’inflation. Selon ce point de vue, la vulnérabilité à la contagion décroît grâce aux performances des régimes extrêmes en matière de surévaluation réelle. Il s’agit d’une logique de contagion fondamentale, dans la mesure où les "solutions en coin" minimisent la dégradation des fondamentaux externes (compte courant et réserves de change) par conséquence à la surévaluation réelle.

La vision bipolaire se distingue des propos avancés dans le cadre de la théorie conventionnelle qui soulignent la fragilité des régimes d’ancrage (fixes et intermédiaires) sans exception. La vision bipolaire stipule que seule la catégorie intermédiaire est marquée par une fragilité inhérente, traduite par une forte vulnérabilité aux crises de change domestiques ou par contagion. Cette distinction se base sur le fait que les régimes de fixité rigide consistent, soit en l’abandon de la monnaie nationale (union monétaire ou dollarisation), soit en son rattachement ultra-rigide (caisse d’émission). Théoriquement, ces régimes sont adoptés dans un objectif de stabilisation d’inflation et de diminution du mésalignement du taux de change réel, ce qui fait baisser naturellement leur vulnérabilité à des crises de change par contagion.

B- Argument de la transparence

Au-delà de l’efficacité anti-inflationniste des "solutions en coin", Calvo [2001] évoque l’argument de la transparence comme facteur de crédibilité. Selon lui, dans un contexte de mobilité importante de capitaux et d’imperfection d’information, les économies émergentes deviennent davantage vulnérables aux chocs extérieurs que représentent les arrêts busques d’entrée de capitaux (ou "sudden stop"). Les revirements de capitaux causés pas les mouvements de rumeurs et de paniques financières signifient une grande vulnérabilité à la contagion financière (comme expliqué plus haut).

184 Pour réduire l’exposition au "sudden stop", et donc renforcer l’immunité contre la contagion, les pays émergents doivent adopter des régimes de change procurant plus de transparence pour les investisseurs. Pour ce faire, le choix du régime doit être effectué parmi les différentes "solutions en coin", et ce selon les spécificités de chaque pays. Ainsi présenté, l’argument de transparence des régimes de fixité rigide ou de flottement mène à déduire que les solutions intermédiaires font preuve d’une fragilité vis-à-vis des crises de change par contagion, dans l’hypothèse implicite que cette dernière est définie selon une conception "pure".

C- Fragilité des régimes de flottement dans le cadre de la critique du "bipolarisme"

La théorie conventionnelle des crises de change (domestiques) ainsi que le débat autour du bipolarisme ne s’accordent pas sur la question de fragilité des régimes de change fixes, mais ces deux groupes de travaux considèrent que les régimes de flottement sont des solutions peu fragiles. D’un point de vue de vulnérabilité externe (contagion), l’argument par excellence de l’efficacité du flottement réside dans sa propriété d’ajustement automatique face aux chocs extérieurs. Dans cette logique, la contagion est considérée comme manifestation de chocs extérieurs subis.

Toutefois, plusieurs travaux montrent que le flottement n’est pas aussi facilement faisable dans le cas des pays émergents vues les difficultés institutionnelles et structurelles qu’ils éprouvent pour la conduite de politiques monétaires efficaces en matière de "ciblage d’inflation", comme l’indiquent Mussa et alii [2000], Mishkin et Savastano [2001]. La "peur du flottement" de Calvo et Reinhart [2001,2002] en est une manifestation. Néanmoins, les critiques en matière de faisabilité des régimes de change flottants ne donnent pas un aperçu clair de la vulnérabilité du flottement à la contagion des crises de change.

À ce titre, la critique de Williamson [1998,2000a] (Chapitre 3 - Section 2) s’avère d’une grande utilité. Selon lui, sous un régime de flottement, lorsque l’économie inspire confiance, sa monnaie s’apprécie, ce qui conduit à procurer davantage de confiance aux investisseurs. Dans un contexte pareil de "cercle vertueux", les emprunts en devises s’effectuent sans couverture contre le risque de dépréciation. Ainsi, en cas d’éclatement d’une crise financière et / ou de change dans un pays émergent tiers, "l’effet réveil" (ou

185 "Wake-up call effect") matérialisant la prise de conscience par les investisseurs conduit à une panique financière généralisée. Ceci débouche sur un revirement de capitaux, notamment dans le pays flottant qui voit, par conséquent, sa monnaie devenir cible d’attaques spéculatives et subir une dépréciation brutale (krach monétaire).

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CONCLUSION

Le troisième chapitre constitue l’aboutissement théorique de la présente étude. Il a pour objectif la présentation argumentée des trois hypothèses secondaires exposées selon une démarche évolutive pour essayer de donner une réponse (théorique) à la question centrale, définissant la problématique du présent travail. Ainsi, la première section consiste à montrer que les régimes de change diffèrent en matière de performances macroéconomiques. Cette divergence contribue, du moins partiellement, au fait que les régimes influencent le déclenchement des crises de change domestiques, ce qui fait l’objet de la seconde section.

Dans la troisième section on est parvenu à constater que les régimes de change, par leur différence en termes de performances et de vulnérabilité aux crises domestiques, influencent fortement le déclenchement de crises de change par contagion (fondamentale ou pure). Ce dernier constat est considéré comme étant la condition logique donnant sens à la question centrale matérialisant la problématique de notre étude, à savoir : Quels régimes de change influencent-ils le plus les crises de change par contagion ?

Pour tenter d'apporter des éléments de réponse (théorique) à cette question, notre réflexion s’est basée sur les enseignements de la théorie conventionnelle des crises change par attaques spéculatives, ainsi que sur ceux relatifs au débat autour du "bipolarisme". L’extension des trois générations de modèles de crises, dans le cadre du premier groupe de théories, montre que les régimes fixes et intermédiaires (ou ancrages rigides et souples) accroissent la vulnérabilité aux crises contagieuses aussi bien qu’aux crises domestiques. Notons, toutefois, que chacune des trois générations de modèles s’adapte plus à un type distinct de contagion (fondamentale – pure). Il s’agit de contagion fondamentale via le canal du commerce extérieur pour la 1ère génération. La 2ème est mieux expliquée par un modèle de contagion pure à la Masson, où la multiplicité d’équilibres est au centre de la dynamique de propagation internationale des crises de change. Quant aux modèles de 3ème génération, ceux-ci font ressortir une logique de contagion fondamentale via le canal financier et bancaire, du fait de l’implication des crises bancaires.

187 Le recours au second groupe de travaux recentrés autour du débat sur le "bipolarisme" (adeptes – détracteurs) débouche sur des constats aussi contradictoires qu’en contexte de crises domestiques. La vision bipolaire souligne la fragilité des régimes intermédiaires. On utilise deux arguments dans cette voie. Premièrement, celui de l’efficacité anti-inflationniste montre la fragilité de la classe intermédiaire pour la contagion basée sur les fondamentaux (sans pour autant préciser le canal de transmission). Deuxièmement, un autre argument s’articule autour de la transparence comme facteur de crédibilité. Là aussi, les régimes intermédiaires font défaut, mais face à une contagion pure cette fois-ci.

Parallèlement, suivant une logique de critique de l’approche bipolaire, les régimes de flottement aussi, peuvent afficher de la fragilité dans un contexte de contagion de crises de change. L’argument en ce sens s’inspire de ce qu’avance Williamson [1998,2000a] lorsqu’il met le point sur "l’effet réveil" qui schématise la prise de conscience par les investisseurs à propos de la vulnérabilité d’une économie adoptant un régime de flottement. En cas de crise de change dans un pays émergent tiers, la prise de conscience par les investisseurs conduit à une panique financière généralisée, ce qui conduit à un revirement de capitaux, notamment dans le pays adoptant le flottement qui voit par conséquent sa monnaie attaquée et subir une dépréciation brutale.

Au total, on déduit que les réponses à notre question et qui sont inspirées de la littérature semblent peu satisfaisantes pour deux raisons. D’une part, la littérature ne traite de la question d’implication des régimes de change dans la dynamique de contagion qu’indirectement et non de manière systématique. Ceci nous a poussé à s’interroger sur la pertinence de la relation entre régimes de change et vulnérabilité aux crises de change par contagion. L’hypothèse d’une telle relation est confirmée à travers l’implication (endogénéisation) de la variable "régimes de change" dans les explications théoriques des mécanismes de contagion. D’autre part, les réponses théoriques sont assez contrastées dans une vue d’ensemble, et ne permettent pas de préconiser une solution optimale "incontestable".

C’est dans cet état de l’art qu’il devient intéressant de faire appel à l’instrument empirique afin d’aborder la question de la typologie des régimes de change accroissant la vulnérabilité aux crises de change par contagion. Le quatrième chapitre, ci-après, est ainsi consacré à une investigation empirique en la matière.

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Chapitre IV

É

VIDENCES EMPIRIQUES

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INTRODUCTION

Le quatrième et dernier chapitre constitue le volet empirique de notre travail dans le cadre de la double exigence définissant la méthodologie suivie pour le traitement de la problématique définie. En fait, le troisième chapitre a été élaboré dans le but de présenter un cadre de réflexion permettant de cerner les éléments de réponse relatifs à la question de vulnérabilité (ou fragilité) des différents régimes de change dans un contexte de crises de change par contagion.

Une lecture (déductive) de la littérature sur la vulnérabilité des régimes de change aux crises domestiques d’un côté, et sur la contagion de ces dernières d’un autre côté, nous a servi pour confirmer (théoriquement) l’hypothèse centrale de ce travail. En effet, il est possible de considérer les régimes de change entant que facteur déterminant dans l’explication du déclenchement des crises de change par contagion. Ceci dit, cette lecture ne permet pas, pour autant, d’apporter une réponse claire (et unanime) à la question constituant la suite logique de cette hypothèse, et relative au degré de fragilité des différents types de régimes dans un contexte de contagion. C’est dans cette perspective que le présent chapitre se présente comme une tentative de réponse en abordant la question depuis un angle empirique.

L’étude tente d’offrir des évidences empiriques dans cette voie en se focalisant sur un champ spatio-temporel précis. L’étude empirique couvre les épisodes de crises de change par contagion affectant les économies émergentes et constatés durant la seconde moitié des années 1990. Ainsi, trois vagues majeurs de contagion contribuent à définir le champ temporel de notre étude : crise mexicaine (décembre 1994), crise thaïlandaise (juillet 1997) et crise russe (août 1998). Les trois pays sont considérés comme pays d’origine de la contagion (ou pays "centres"), et les dates entre parenthèses indiquent les mois de déclenchement des dites crises. D’autres crises de change locales survenues après, ne sont pas considérées ici du fait de leur faible effet contagieux : crise brésilienne (janvier 1999), crise turque (février 2001), et crise argentine (décembre 2001 – janvier 2002). Le champ spatial de l’étude est cerné par la définition d’une liste de 28 pays émergents.

190 La première section est construite dans l’objectif de présenter les trois variables centrales de la problématique, à savoir : "pays émergents", "régimes de change" et "crises de change par contagion". La définition de chaque variable, ainsi que les sources de données utilisées pour ce faire, sont illustrées et expliquées. Dans la seconde section, ces variables sont traitées dans le but de déboucher sur des résultats empiriques à propos de la question centrale posée dans ce travail.

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