Chapitre 1 : Cartographie de la presse écrite au Japon
I. Typologie et effectifs des rédactions
Avoir une vision claire de la structure du paysage de la presse écrite japonaise est fondamental pour comprendre le monde dans lequel évoluent les reporters, nous commencerons donc par en donner les principaux éléments. L’idée principale est que le nombre restreint d’entreprises ainsi que leur structuration autour d’un petit groupe de quotidiens nationaux et de journaux régionaux en situation de monopole dans leur zone géographique, limitent l’établissement d’un marché du travail professionnel. Ensuite, l’analyse de la taille des organisations et, en particulier, de leurs rédactions est un indicateur clé du rôle joué par les marchés internes dans la carrière des reporters.
La presse écrite japonaise est composée de plusieurs grands types de publications. Nous nous intéressons ici à la presse d’information généraliste et mettons donc de côté la presse spécialisée, la presse magazine et les journaux publiés par des partis politiques. De manière
assez conventionnelle, on peut distinguer les groupes suivants : la presse nationale (
En 2012, 38 des 118 quotidiens affiliés à la NSK disposaient d’une double édition, une le matin
(chōkan – 朝刊) et une le soir (yūkan – 夕刊). 68 quotidiens publient uniquement le matin et
13 uniquement le soir164.
A. La presse nationale
La presse nationale est composée de cinq quotidiens principalement distribués sur
l’ensemble du territoire. Il s’agit de l’Asahi Shimbun (朝日新聞), du Mainichi Shimbun (毎日
新聞), du Sankei Shimbun (産経新聞), du Yomiuri Shimbun (読売新聞) et du quotidien
économique Nihon Keizai Shimbun (日本経済新聞généralement appelé Nikkei Shimbun). Ces
quotidiens nationaux ont des tirages particulièrement importants. Quatre d’entre eux publient
deux éditions quotidiennes. Le Sankei Shimbun est le seul des cinq quotidiens à avoir
abandonné la double publication quotidienne avec l’arrêt de son édition du soir en mars 2002. À eux cinq, ces quotidiens représentent plus de 50% du tirage total quotidien et représentent plus de 57 millions de journaux distribués par jour.
Ces journaux sont nationaux dans la mesure où une partie importante de leur contenu est diffusée uniformément à l’ensemble du pays. C’est notamment le cas des pages politiques, des nouvelles internationales et des pages opinion. En revanche, les pages dédiées aux nouvelles économiques ou aux faits divers peuvent diverger en fonction des régions. Chaque quotidien
national dispose d’au moins deux éditions. Une édition pour Tokyo (Tōkyō-ban – 東京版) qui
couvre l’ensemble est du pays et une pour Osaka (Ōsaka-ban – 大阪版) qui couvre l’ouest.
Une ou deux pages de nouvelles locales sont également disponibles dans chaque édition (
chihō-ban – 地域版). Elles couvrent les nouvelles locales grâce aux informations recueillies par des
bureaux locaux ou par des agences de presse. Les lieux d’impression sont dispersés sur l’ensemble du territoire. On trouve un certain nombre de collaborations entre quotidiens afin de mutualiser les coûts d’impression. De ce fait, la presse nationale a également une dimension
régionale dont on verra l’influence pour ce qui concerne l’organisation des rédactions165. Leur
164 Takeda Tōru (武田徹), Fujita Mafumi (藤田真文) et Yamada Kenda (山田健太) (eds), Gendai jānarizumu
jiten 現代ジャーナリズム事典 (Dictionnaire du journalisme contemporain), Tokyo, Sanseidō, 2014
diffusion est particulièrement forte dans les grands pôles urbains que sont Tokyo, Nagoya, Osaka et Fukuoka.
Sur le plan de leur ligne éditoriale, ces cinq quotidiens occupent des positions bien
différentes. L’Asahi Shimbun et le Mainichi Shimbun ont des lignes généralement qualifiées de
centre gauche sur les grandes questions de société. Les quotidiens Sankei Shimbun et Yomiuri
Shimbun ont des lignes conservatrices. Le Nihon Keizai Shimbun, en tant que quotidien
économique, a une position avant tout libérale et pro-business.
B. La presse régionale
Le paysage médiatique de la presse régionale japonaise a un découpage original. On peut la
diviser en trois groupes. Les journaux départementaux (ken-shi – 県紙), les journaux dits « de
bloc » (burokku-shi – ブロック紙) et les journaux locaux (chiiki-shi). Nous nous intéresserons
aux deux premiers qui correspondent davantage à la presse d’information générale. Pour la
première catégorie, on trouve généralement un grand quotidien par département166. Les
départements de Fukushima et d’Okinawa sont les seuls à avoir deux quotidiens qui couvrent l’ensemble du département. Les départements de Wakayama, de Shiga et d’Osaka sont les seuls
à ne pas avoir de quotidien ne couvrant que leurs zones167. Cette structure d’un quotidien pour
un département (ikken isshi – 一県一紙) remonte à la Seconde Guerre mondiale. De 1938 à
1942, les gouvernements successifs, afin de s’assurer le contrôle des informations publiées en région, ont obligé les très nombreuses rédactions à fusionner ou à fermer, touchant plus fortement les nombreuses petites publications qui étaient présentes sur l’ensemble du territoire
(Shinbun tōgō – 新聞統合). De 1 124 quotidiens en 1938, leur nombre est finalement tombé à
55 en décembre 1942168. Malgré la création de quelques quotidiens dans les années 1950, cette
structure n’a quasiment pas bougé depuis la fin de la guerre, limitant ainsi fortement la concurrence.
Si la presse nationale domine les grandes villes du pays, cette presse régionale se trouve très souvent en situation de monopole dans les départements et les villes de province. Sur les 47
166 Une liste est disponible en annexe.
167 Hamada Jun.ichi (浜田純一), Katsura Kei.ichi(桂敬一) et Tajima Yasuhiko (田島泰彦), Shinbungaku –
shintei 新聞学 - 新訂 (Théorie de la presse, édition corrigée), Tokyo, Nihon hyōron sha, 2009.
168 Satomi Osamu (里見脩), Shinbun tōgō : senjiki ni okeru media to kokka 新聞統合 : 戦時期におけるメデ ィアと国家 (L’unification de la presse : les médias et l’État pendant la guerre), Tokyo, Keisōshobō, 2011, p. 50.
départements que compte le Japon, 37 d’entre eux ont pour principal quotidien celui de leur
département169. Cinq quotidiens régionaux ont un taux de diffusion qui dépasse 60% des
ménages du département170. Les travaux de Cho Hiromi ont démontré que cette situation a
protégé les quotidiens locaux de la compétition plus forte que connaissent les quotidiens
nationaux171. On peut tout de même retenir Les journaux régionaux des départements proches
des grandes villes comme Tokyo, Osaka ou Fukuoka sont en général moins puissants en raison de la présence de leurs rivaux de la presse nationale.
Le deuxième groupe est celui des journaux dits « de bloc ». Ces journaux sont ceux dont la
diffusion dépasse la surface géographique des départements dont ils sont issus. Comme pour la presse nationale, leurs tirages excèdent souvent le million d’exemplaires par jour. Tout en faisant partie de la presse régionale, ils disposent également d’antennes locales et couvrent les
affaires de la capitale. Le principal quotidien édité à Tokyo, le Tokyo Shimbun, est en fait la
version Tokyoïte du grand quotidien de Nagoya, le Chūnichi Shimbun. Certains d’entre eux
disposent également de bureaux à l’étranger.
Actuellement, cette structure du paysage de la presse japonaise garde une grande stabilité puisqu’aucun nouveau quotidien n’est paru, tant à l’échelle nationale que régionale, depuis la fin des années 1950. Jusqu’à il y a une quinzaine d’années, il était relativement courant qu’un foyer soit abonné à quotidien local et à un quotidien national. Dorénavant, la pratique du double abonnement est beaucoup moins fréquente, le choix s’étant plus largement reporté sur le quotidien régional au détriment du quotidien national, d’où le renforcement des situations de
monopole en région172.
C. Les journaux du point de vue de leurs rédactions.
À l’image des chiffres de leur diffusion, les quotidiens japonais disposent également de rédactions aux effectifs importants. À ce titre, la plupart des quotidiens nationaux et des journaux de bloc ont une dimension industrielle qui les rapproche davantage du modèle de la grande entreprise que de celui des entreprises françaises de presse qui sont de taille plus réduite.
169 D’après les chiffres publiés en 2018 par le Japan Audit Bureau of Circulations (Nihon ABC kyōkai) pour l’année 2017.
170 Il s’agit du Hokkoku Shimbun dans le département de Toyama, du Fukui Shimbun dans le département de Fukui,
du Nihonkai Shimbun dans le département de Tottori, du San’in Chūō Shimpō dans le département de Shimane et
du Tokushima Shimbun dans le département de Tokushima.
171 Hiromi Cho, « The Effect of Competition Among Japanese Local and National Dailies on News Coverage in Local Newspapers », Keio communication review, 2002, vol. 24, p. 59‑70.
Les journaux régionaux sont le plus souvent des entreprises de taille moyenne dans lesquelles
travaillent plusieurs centaines de salariés. Les départements édition des entreprises (henshū
bumon) correspondent aux effectifs des rédactions et sont les lieux d’affectation des reporters.
Ils concentrent la majeure partie des effectifs des entreprises.
Figure 3 : Évolution des effectifs dans la presse japonaise 1985-2015173
Un premier enseignement de ce graphique est la diminution importante des effectifs totaux dans la presse depuis les années 1990. Jusqu’au milieu de cette décennie, le marché du travail interne des entreprises de presse incluait l’ensemble des tâches nécessaires à la réalisation du
journal174. Les difficultés de l’économie japonaise au cours de cette période vont pousser les
entreprises à externaliser une partie de leurs activités et contribuer ainsi à une diminution générale des effectifs. Après un pic atteint en 1991 avec 65 478 salariés travaillant dans l’ensemble des entreprises de presse nippones, ce chiffre diminue progressivement pour atteindre 41 916 salariés en 2015.
On constate que si les effectifs dans leur globalité ont largement diminué depuis 30 ans, les effectifs des départements édition, donc des salariés des rédactions, demeurent assez stables. On passe de 23 390 salariés en 1985 à 21 645 en 2015, sachant qu’à leur plus haut niveau en 1992, les rédactions japonaises comptaient au total 26 629 salariés dédiés à la production des informations quotidiennes. Les conséquences de l’élargissement de l’écart entre le nombre total
173 Données compilées à partir des chiffres publiés par la NSK.
174 Robert P. Althauser, « Internal Labor Markets », Annual Review of Sociology, 1 août 1989, vol. 15, no 1, p. 143‑161. 0 10000 20000 30000 40000 50000 60000 70000 1985 1986 1987 1988 1989 1990 1991 1992 1993 1994 1995 1996 1997 1998 1999 2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009 2010 2011 2012 2013 2014 2015
de salariés dans la presse et celui des salariés correspondant aux reporters sont la représentation de plus en plus importante de ces derniers dans l’ensemble des emplois.
Figure 4 : Proportion des effectifs des pôles éditions sur l’ensemble des salariés de la presse entre 1985 et 2015
Par comparaison, le nombre total d’employés dans l’industrie de la presse aux USA est passé
de 414 000 à 246 000 entre 2001 et 2011, soit une diminution de près de 40%175. Concernant
les salariés travaillant pour les rédactions, leur nombre est passé de 56 400 en 2001 à 40 566 en
2012, soit 28,1% des effectifs en moins pour la même période176. Concernant la France, les
données disponibles révèlent plutôt une augmentation du nombre des journalistes entre 2000 et
2014 dans la presse écrite quotidienne, ces derniers passant de 7 936 à 8 535177. Compte tenu
des évolutions technologiques qui ont marqué l’industrie de la presse et le journalisme au cours des vingt dernières années, les métiers les plus touchés appartiennent essentiellement à ceux liés à la production physique du journal telle que les typographes et les imprimeurs, plutôt qu’aux métiers en lien à la production même de l’information.
On retient tout de même que si la diminution des effectifs dans la presse japonaise est visible statistiquement, la situation de l’emploi dans les rédactions a connu peu de variations. En revanche, leur profil n’a pas changé. Afin de comprendre comment les effectifs des rédactions avaient évolué depuis la période de l’âge d’or de la presse jusqu’au milieu des années 1990, nous avons procédé à une comparaison des effectifs entre 1995 et 2016. On observe des différences importantes en fonction des types de presse.
175 D’après les chiffres publiés par l’U.S. Department of Labor’s Bureau of Labor Statistics.
176 D’après les chiffres publiés par l’American Society of Newspaper Editors.
177 D’après les données disponibles sur le site de l’Observatoire des Métiers de la presse : http://data.metiers-presse.org/explore.php - line/alljournalists/journalistNumber/pressSubSectors/none/2000/2014/none 30% 35% 40% 45% 50% 55% 60% 1985 1986 1987 1988 1989 1990 1991 1992 1993 1994 1995 1996 1997 1998 1999 2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009 2010 2011 2012 2013 2014 2015
Par exemple, la presse quotidienne départementale n’a pas connu de grande évolution des effectifs de ses rédactions. Pour l’ensemble des 39 quotidiens de cette catégorie, on obtient une moyenne de 144 salariés par rédaction en 2016. La rédaction la plus importante est celle du
Niigata Nippō avec 274 reporters. Le Nara Shimbun a la plus petite avec 38 salariés rattachés
au département éditorial. En 1995, la moyenne de ces quotidiens était de 147 salariés par rédaction. Les effectifs des rédactions départementales sont donc d’une surprenante stabilité. Sur les 39 quotidiens, 16 ont connu une augmentation de leur nombre de salariés rattachés aux rédactions.
Les journaux de bloc connaissent une situation plus nuancée. Avec une moyenne de 600 salariés par rédaction en 2016, ils appartiennent à la catégorie des grandes entreprises régionales.
Le plus important d’entre eux, le Chūnichi Shimbun, rivalise notamment avec des quotidiens
nationaux tels que le Mainichi Shimbun et le Sankei Shimbun. Les effectifs cumulés des
rédactions de Tokyo et Nagoya s’élèvent à 1485 reporters. Si on compare à la moyenne de 1995, les rédactions des quotidiens de bloc ont perdu près de 100 reporters en vingt ans, soit environ 16% du personnel éditorial.
C’est pour la presse nationale que l’évolution est la plus considérable en raison de la dimension des rédactions. En 1995, l’effectif moyen des quotidiens nationaux était de 1600 salariés. Le fait de ne pas connaître les effectifs du département édition du plus important des
quotidiens, le Yomiuri Shimbun, nous empêche de calculer une moyenne pour 2016.
Figure 5 : Effectifs des départements édition des cinq quotidiens nationaux178
Si on se limite aux données disponibles, l’Asahi Shimbun est le quotidien national disposant
des effectifs les plus importants pour le département éditorial avec 2330 salariés. On remarque
178 D’après la comparaison des chiffres publiés dans les almanachs de la presse (Nihon Shinbun Nenkan) de 1996 et de 2017. Asahi Shimbun Mainichi Shimbun Nihon Keizai Shimbun Sankei Shimbun Yomiuri Shimbun 1995 2859 1854 1405 1469 3107 2016 2330 1641 1371 1059 0 500 1000 1500 2000 2500 3000 3500 N om br e de sa la riés
que pour quatre des cinq quotidiens nationaux, les effectifs ont diminué avec une certaine
intensité. Le Sankei Shimbun a par exemple connu une diminution importante avec près de 400
reporters en moins en un peu plus de vingt ans. L’Asahi Shimbun a également connu une
diminution des effectifs de ses rédactions, mais proportionnellement moins prononcée
compte-tenu de sa taille. La tendance à la diminution est plus faible pour le Nihon Keizai Shimbun et le
Mainichi Shimbun, mais n’en demeure pas moins réelle. Il n’y a donc pas de raison de croire
que le Yomiuri Shimbun n’a pas connu un phénomène similaire.
Le phénomène de diminution des effectifs des rédactions a conséquemment touché plus fortement les grands quotidiens de la capitale que les quotidiens régionaux en position de monopole dans leur département. Néanmoins, cette diminution est sans commune mesure avec ce qui a pu être observé aux États-Unis ou en France dans la presse régionale, où pas une année ne se passe sans qu’ait lieu un plan social dans une rédaction. Tout d’abord, on constate qu’aucun quotidien majeur n’a disparu au cours de cette période, que cela soit dans les grandes villes ou en région. Mis à part le cas de quelques quotidiens locaux employant peu de reporters, les rédactions japonaises n’ont pas véritablement connu de vagues de licenciements massifs. En effet, la diminution de la masse salariale que nous avons observée dans le cas de la presse nationale a été provoquée par une réduction des embauches et par des politiques de départs anticipés à partir de la fin des années 1990.
Le graphique ci-dessous représente l’évolution des embauches annuelles dans l’ensemble
des entreprises de presse membres de la NSK entre 1985 et 2017. Figurent en rouge les
embauches totales et en bleu les embauches dans le seul domaine édition (henshūbumon) des
entreprises de presse, là où sont comptabilisés les reporters :
Figure 6 : Évolution des embauches dans la presse 1985-2017
0 500 1000 1500 2000 2500 3000 3500
Lors de périodes de difficultés économiques, les entreprises japonaises ont pour particularité de ne pas procéder à des licenciements massifs des salariés déjà en poste dans l’entreprise mais plutôt de limiter l’embauche de nouveaux salariés. Elles privilégient généralement leurs employés en ayant recourt à une forte mobilité interne et en procédant à des départs anticipés
dans les cas les plus difficiles 179. En conséquence, la diminution des effectifs des rédactions
observée plus haut s’explique surtout par une diminution du nombre de recrutements, en particulier du recrutement des diplômés de l’université. Le graphique ci-dessus explique aussi que la diminution des recrutements est moins prononcée pour les reporters. Cela explique le poids de plus en plus grand des effectifs des rédactions sur la masse salariale totale.
Jusqu’à présent, les journaux ont fait preuve d’une robustesse que l’on peut expliquer par un découpage qui a longtemps limité la concurrence entre les entreprises. En particulier dans le cas des quotidiens régionaux, le découpage structuré autour d’un quotidien par département renforce le pouvoir structurant de chaque marché interne. La situation de la presse nationale est plus nuancée. C’est notamment là que l’on distingue l’érosion la plus importante des effectifs composant les rédactions. Malgré une stabilité apparente, on peut faire l’hypothèse que des changements organisationnels ont eu lieu pour faire face à cette transformation. Nous allons maintenant nous concentrer sur une étude de cas afin d’appréhender plus en détail ces évolutions.
II. Ethnographie d’un quotidien national
À partir de la présentation de l’écologie des entreprises composant le paysage de la presse,
nous allons opérer un zoom sur un des cinq quotidiens nationaux, l’Asahi Shimbun, qui servira
ensuite de fil directeur à l’ensemble de la thèse. L’objectif est de décrire l’environnement dans lequel évoluent les reporters, en insistant sur l’idée qu’il ne s’agit pas uniquement d’un journal, mais bien d’une grande entreprise dont l’importance est perceptible dans la ville. Nous le ferons grâce à une ethnographie de son siège à Tokyo et d’un bureau en région. Nous commencerons par donner la position de ce quotidien au sein du monde journalistique ainsi que les principales
179 Robert Boyer, « Foreword: From “Japanophilia” to indifference? Three decades of research on contemporary Japan » dans The Great Transformation of Japanese Capitalism, s.l., 2014, p. xiii‑xxxv.
caractéristiques de l’entreprise qui l’édite. Nous procéderons ensuite à une visite des bâtiments et de différents lieux clés de l’enquête.
A. L’Asahi Shimbun dans la presse écrite japonaise.
Dans le monde de la presse japonais, l’Asahi Shimbun a une position particulière sur laquelle
il nous faut revenir avant d’entrer plus en détail dans sa description. Il est d’abord le deuxième plus gros quotidien du Japon et du monde du point de vue du tirage. En 2017, son tirage s’élève à 6 113 315 exemplaires par jour uniquement pour l’édition du matin. Le tirage pour l’édition du soir s’élève à 2 127 759 exemplaires.
À partir d’une analyse des éditoriaux sur le thème clé de la présence des bases militaires américaines sur le territoire japonais, Nanri Keizō a établi une typologie des lignes éditoriales des quotidiens que l’on peut résumer de la manière suivante : une majorité de quotidiens
progressistes en région et auxquels il ajoute l’Asahi Shimbun, une minorité de quotidiens
conservateurs mais largement représentés dans la presse nationale avec le Yomiuri Shimbun et
le Sankei Shimbun, et enfin le Mainichi Shimbun avec une position plus centriste180.
Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, le journal a adopté une ligne éditoriale
progressiste qui le rapproche de quotidiens tels que Le Monde ou le New York Times. Par
ailleurs, il dispose de partenariats privilégiés avec ces deux derniers quotidiens en publiant certains articles ou certaines tribunes initialement publiés dans leurs pages. Les locaux tokyoïtes
du New York Times sont à l’intérieur du bâtiment du siège de l’Asahi Shimbun et symbolisent
la proximité entre ces deux quotidiens.
Le journal défend une position libérale au sens politique du terme sur la plupart des questions qui ont fait débat au cours des trente dernières années. Il a affirmé à plusieurs reprises son