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En psychologie cognitive, il existe plusieurs types de biais qui sont particulièrement connus et utilisés lors d’un processus d’élicitation de probabilités. Ces biais ont été pris en compte dans les travaux de Vuillet (2012), concernant l’évaluation de la performance des digues fluviales. Ces quatre types sont les biais de : disponibilité, représentation, ancrage et sur-confiance. Ils peuvent souvent se combiner, se confondre ou se renforcer mutuellement.

A. Le biais de disponibilité

Le biais de disponibilité correspond à un raccourci mental tenant compte seulement des faits les plus récents ou surestimant leur importance en raison de leur « disponibilité » en mémoire (O’Hagan et al., 2006). Autrement dit, c’est une heuristique qui élimine les faits et les informations plus anciens, en ne cherchant pas assez profondément et systématiquement dans le passé.

Exemple général : les médias peuvent rapporter des faits concernant une maladie de façon fréquente et répétitive qui donne l’impression que la probabilité de contracter la maladie est plus élevée qu’en réalité (Pietrocatelli, 2008).

Exemple concernant l’interprétation du biais de disponibilité lors de l’évaluation du niveau de sûreté des digues : l’ingénieur a tendance à donner trop d’importance à un mécanisme de rupture dans le cadre d’une catastrophe largement relayée par les médias (Vuillet, 2012).

B. Le biais de représentation

Le biais de représentation correspond à une erreur d’estimation du degré de correspondance entre un échantillon et une population (Kahneman et al., 1982). Autrement dit, une heuristique de représentation consiste à estimer la probabilité d’un événement en se basant sur la probabilité d’un autre événement qui lui est associé ou qui lui est similaire.

Exemple général : l’extrapolation à la population générale des données d’un événement associé à un échantillon de personnes est un exemple d’utilisation de l’heuristique de représentation. En recherche, il s’agit souvent du biais qui consiste à associer à l’ensemble d’une population les observations concernant une population limitée (Pietrocatelli, 2008).

Exemple concernant l’interprétation du biais de représentation lors de l’évaluation du niveau de sûreté des digues : l’ingénieur néglige l’impact des conduites traversantes sur la sécurité des ouvrages, alors qu’un pourcentage important de ruptures de digue est imputable à ce type de phénomènes (Vuillet, 2012).

Chapitre 2 : Expert, jugement expert et biais

C. Le biais d’ancrage

Le biais d’ancrage correspond à un biais qui se manifeste lorsque l’expert se laisse trop influencer par une première évaluation spontanée du risque, qu’il essaie d’ajuster dans un deuxième temps. Autrement dit, une heuristique d’ancrage peut se manifester quand les personnes s’attachent à leur première opinion liée à leur propre expérience concernant un événement quelconque sans intégrer les nouvelles informations pertinentes sur l’événement concerné.

Exemple général : on demande à des personnes de positionner le curseur d’une roue indiquant par un score de 1 à 100 le pourcentage des pays africains parmi les membres de l’ONU. Si au démarrage de l’expérience, on positionne le curseur sur 10, la moyenne des ajustements est 25, c’est-à-dire que les personnes interrogées estiment que 25% des pays membres de l’ONU sont africains. Si au démarrage de l’expérience on positionne le curseur sur 65, la moyenne des ajustements est alors 45 (Tversky et Kahneman, 1982).

Exemple concernant l’interprétation du biais d’ancrage lors de l’évaluation du niveau de sûreté des digues : Après consultation de documents d’archives, l’ingénieur évalue un critère selon la modalité la plus vraisemblable correspondant à son premier jugement, puis ne parvient pas à l’ajuster à la lumière d’autres éléments nuançant ou contredisant cette appréciation (Vuillet, 2012).

D. Le biais de sur-confiance

Le biais de sur-confiance correspond à un biais qui conduit l’expert à minimiser l’incertitude de ses évaluations. A contrario, le biais de pessimisme conduit l’expert à éliciter des distributions insuffisamment informatives.

Exemple concernant l’interprétation du biais de sur-confiance lors de l’évaluation du niveau de sûreté des digues : un ingénieur trop confiant dans la représentativité d’un sondage minimise l’incertitude liée à la variabilité de disposition des matériaux (Vuillet, 2012).

Synthèse

2.3

Lorsque les données de retours d’expérience, les données statistiques ou les mesures physiques sont faiblement disponibles, la réalisation d’une évaluation probabiliste, basée sur des modèles statistiques demeure impossible. Dans ce cas-là, les évaluations expertes peuvent constituer la seule source de données disponible, le jugement expert reflétant d’une façon instantanée la connaissance de l’analyste vis-à-vis d’un contexte incertain de risques. Cependant, ces derniers reposent sur des heuristiques permettant à l’expert de simplifier le problème étudié, et d’arriver rapidement à une évaluation ou à une estimation sans qu’elle soit optimale. Ces heuristiques, à leur tour, génèrent des biais déformant l’avis expert

Dès lors, les heuristiques et les biais se présentent comme des verrous et des défis aux ingénieurs, dans le contexte d’évaluation probabiliste de la fiabilité des ouvrages de génie civil, plus particulièrement les ouvrages de protection contre les inondations. Ces ouvrages présentent une difficulté pour évaluer leur fiabilité vis-à-vis des événements d’occurrence rare et forte puisque, d’un côté, plusieurs mécanismes de défaillance (érosion interne –

Chapitre 2 : Expert, jugement expert et biais

affouillement – surverse) sont difficiles à être modélisés analytiquement afin de déterminer une probabilité objective de défaillance, et, d’autre côté ces ouvrages sont entachés par des incertitudes :

- des incertitudes épistémiques : 1) sur les données (manques de données statistiques), et 2) sur les mécanismes de défaillance.

- des incertitudes aléatoires dues aux variétés naturelles des matériaux constituant l’ouvrage.

Dans le domaine de l’évaluation de la fiabilité des digues, le recours au jugement expert est indispensable. Ainsi la prise en compte du traitement de ces biais est nécessaire et une démarche permettant de les corriger et/ou de les réduire demeure un besoin de premier ordre. Dans ce contexte, il est intéressant de mettre en évidence la façon dont le jugement expert est utilisé dans le domaine des digues ainsi que les différentes manières déjà proposées pour le traiter. Pour cela, une présentation des pratiques actuelles du traitement et de recueil du jugement expert mis en œuvre pour l’évaluation des digues fluviales fait l’objet du chapitre suivant « le traitement du jugement expert mis en œuvre pour l’évaluation des ouvrages

Chapitre 3 : Le traitement du jugement expert mis en place pour l’évaluation des ouvrages hydrauliques

3 Traitement du jugement expert mis en œuvre

pour l’évaluation des ouvrages hydrauliques

Dans le domaine des ouvrages hydrauliques, le jugement expert est par défaut une méthode très utilisée pour la réalisation des diagnostics, analyses de risques et des études d’évaluation du niveau de sûreté. Dans ce chapitre, nous proposons un panorama succinct des mises en œuvre de méthodes pour le traitement du jugement expert, notamment issues du domaine statistique et économique, ainsi que ce qui existe pour le domaine des ouvrages hydrauliques.