• Aucun résultat trouvé

LE CADRE CONCEPTUEL

3.1 Type de recherche effectuée et posture épistémologique

La recherche en sciences de l’éducation s’appuie sur trois courants épistémologiques différents : le paradigme positiviste, le paradigme interprétatif et le paradigme critique (Karsenti et Savoie-Zajc, 2004). Ces trois courants supposent des visions de la réalité, des rapports aux savoirs, des finalités de la recherche, des rapports entre le chercheur et la recherche et des

méthodologies spécifiques ou privilégiés. Ainsi, « [les] méthodes de travail adoptées par les chercheurs vont tenir compte de ces divers volets, caractéristiques de chacune des épistémologies, et s’inscrire dans la logique prévue par chacune des méthodologies de recherche. » (Karsenti et Savoie-Zajc, 2004, p. 114) Il s’avère ainsi primordial, dans un premier temps, d’identifier le paradigme dans lequel s’inscrit notre recherche et qui influence nos orientations méthodologiques.

Notre recherche s’inscrit dans un paradigme interprétatif. Dans cette perspective, « la réalité est construite par les acteurs d’une situation : elle est globale, car c’est la dynamique du phénomène étudié que le chercheur veut arriver à comprendre. » (Karsenti et Savoie-Zajc, 2004, p. 115) Cette vision oriente notre méthodologie de recherche puisqu’elle inscrit le phénomène étudié, soit les instruments d’action publique permettant d’agir sur l’attraction, le recrutement et la rétention des enseignants en zones rurales, dans une perspective globale intégrant les politiques, les acteurs et les lieux. Nous cherchons ainsi à comprendre la dynamique de la mise en œuvre et l’interaction entre ces trois dimensions.

Dans cette posture épistémologique, le rapport au savoir est à la fois étroitement rattaché à son contexte, mais vise la transférabilité du savoir dans d’autres contextes que celui de la recherche (Karsenti et Savoie-Zajc, 2004). Nous étudions ainsi une problématique commune à plusieurs pays d’Afrique subsaharienne en l’inscrivant dans un contexte national particulier, soit celui du Burkina Faso. Il nous semble essentiel de tenir compte de ce contexte pour bien saisir la dynamique de notre phénomène puisque le contexte social influence à la fois les significations des acteurs (Lessard-Hébert, Goyette et Boutin, 1996, p. 29) et la mise en œuvre d’une politique (Honig, 2006). En accord avec le modèle d’analyse de la mise en œuvre de Honig (2006) sur lequel s’appuie notre recherche et qui fait place au contexte, nous avons choisi de privilégier une étude de cas restreinte géographiquement afin de préserver les liens étroits entre notre objet et son contexte local. La stratégie d’échantillonnage retenue, décrite à la section 3.2, permet d’assurer de la représentativité de l’échantillon et les possibilités de généralisation des résultats aux autres zones rurales du pays. Nous cherchons ainsi à produire des savoirs contextualisés qui pourront être réinvestis dans le domaine politique, inscrivant notre recherche dans un processus de dialogue entre chercheurs et politiciens visant l’amélioration des politiques publiques.

L’analyse de la mise en œuvre des instruments de gestion des enseignants est au cœur de notre recherche. Une telle analyse relève du domaine de l’analyse des politiques, un domaine

qui privilégie de plus en plus la recherche qualitative. Comme le soulignent Deslauriers & Kérisit (1997, p. 90) :

Les caractéristiques de la recherche qualitative font que celle-ci apporte une contribution substantielle à la recherche sur les politiques sociales. Signalons à ce titre la proximité du terrain où se prennent les décisions et où se vivent les répercussions régionales, familiales et individuelles des politiques sociales globales ; sa capacité d’envisager les différents aspects d’un cas particulier et de les relier au contexte général ; sa capacité de formuler des propositions reliées à l’action et à la pratique. Ces avantages font que la recherche qualitative est de plus en plus utilisée lorsqu’il s’agit d’analyser des politiques sociales et d’évaluer leurs effets concrets.

Dans le cadre de notre enquête, nous souhaitions nous rapprocher du terrain et des acteurs impliqués pour mieux cerner les enjeux de la mise en œuvre des politiques de gestion des enseignants en zones rurales dans leur globalité afin d’identifier les contraintes et les leviers et ainsi proposer des pistes d’action pour l’amélioration de ces politiques. Dans ce sens, notre recherche vise à apporter une contribution à la résolution d’un problème concret, soit la pénurie d’enseignants en zones rurales au Burkina Faso, s’appuyant sur des résultats de recherche scientifique. Cette visée est particulièrement pertinente dans le contexte africain, comme le souligne Ndoye (2005, p. 2),

En Afrique, l’observation la plus courante souligne l’écart qui sépare la recherche du processus de formulation et de mise en œuvre des politiques éducatives tout comme les relations problématiques ou le manque d’interactions entre chercheurs et décideurs politiques dans le secteur de l’éducation. […] Pourtant, en dépit ou à cause de cette distance, les déclarations des uns et des autres convergent pour affirmer l’importance de la recherche comme moyen d’information de toute politique éducative.

Notre positionnement épistémologique fut également influencé par la pertinence qu’on attribue à l’approche interprétative dans le contexte de la recherche réalisée en terrain africain :

Distincte d’une approche positiviste qui chercherait à observer et comprendre un monde objectif en dehors du chercheur ou d’une approche constructiviste dans laquelle le chercheur coconstruirait le monde en interrelation avec les acteurs sociaux, l’approche interprétative présente certaines caractéristiques qui justifient sa pertinence pour les terrains africains. L’approche interprétative consiste à attribuer une signification à un corpus de textes écrits ou aux discours des acteurs sociaux enquêtés. Elle permet de donner sens à un matériau (productions discursives et pratiques sociales) nécessairement réinscrit dans le cadre plus large de processus conjointement individuels, sociétaux et culturels. À cet effet, le degré de familiarité du chercheur avec son terrain de recherche influe nécessairement sur la manière dont l’épistémologie de la recherche va être effectivement mobilisée. (Kane, 2012, p. 167)

La place accordée au chercheur et au sens qu’il construit pendant la recherche (Karsenti et Savoie-Zajc, 2004) incite donc à une investigation de l’objet la plus contextualisée possible, permettant de rompre avec, notamment, des postures conceptuelles et des représentations

« occidentalisées » des problématiques vécues dans les pays africains. Cette démarche incite le chercheur à clarifier son positionnement par rapport à son terrain et son objet, ainsi qu’à mettre à jour son niveau de connaissance, de familiarité et de compréhension du contexte de son terrain, tout comme à réfléchir sur ses rapports de distance et de proximité avec son terrain et son objet.

Notre expérience personnelle et professionnelle nous a amenée à vivre et à travailler dans cinq pays différents de la sous-région de l’Afrique de l’Ouest. Nous avons réalisé une vingtaine de séjours dans ces pays depuis le début de notre doctorat, soit entre 2010 et aujourd’hui. Ce projet de recherche s’inscrit d’ailleurs en continuité avec une recherche de maîtrise, réalisée en 2009 au Burkina Faso. Lors de ces différents séjours, nous avons toujours eu un souci important de nous assurer une immersion culturelle la plus complète possible pour nous assurer de mieux comprendre les contextes de travail, la manière dont se construisent les relations et les particularités culturelles. Pour ce faire, le moyen privilégié fut notamment de délaisser le confort des hôtels pour vivre au sein de familles locales, ce qui nous permettait une immersion complète dans plusieurs sphères culturelles. Nous avons ainsi acquis une sensibilité et une ouverture culturelle, ainsi que des mécanismes adaptatifs importants qui nous ont permis d’identifier les normes culturelles et les représentations symboliques pouvant teinter notre relation avec nos sujets de recherche et à chercher des moyens d’adapter nos méthodes de recherche aux différences culturelles pouvant avoir un impact sur la façon dont la recherche est conduite ou perçue. Nous avons également acquis, au fil du temps et surtout de nos rencontres, une compréhension solide de la société burkinabè, de sa culture, et de la vision du monde partagée par la population. Notre familiarité avec le contexte de notre terrain reste bien entendu celle d’une étrangère. Cette position peut être vue comme une limite, mais également comme une force, puisqu’elle induit une objectivité du chercheur combinant à la fois proximité et distance, regard de l’intérieur et de l’extérieur (Pires, 1997a). Nous croyons, dans ce cas-ci, avoir réussi à développer une compréhension du contexte de notre recherche qui nous a permis d’enrichir et de renforcer notre stratégie de recherche.