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III. Matériels et méthodes

V. 1. Les cancers multiples chez l’enfant

2. Les tumeurs secondaires

 Définitions et répartition

Avec l'amélioration continue de la prise en charge thérapeutique des cancers de l'enfant, le nombre des adultes survivants à un cancer pédiatrique ne cesse d'augmenter. Plusieurs études ont montré que cette population est à risque de morbidité et de mortalité à long terme. Le développement de tumeurs malignes secondaires est devenu une question importante pour ces patients. La fréquence est faible mais le risque est significativement plus important, entre 3 et 10 fois [152] [153.] et il s'agit de la première cause de mortalité à long terme hors rechute.

Malgré les progrès réalisés afin de cibler leurs effets aux cellules cancéreuses, les traitements anti-néoplasiques (chimiothérapie, radiothérapie. . .) peuvent altérer les cellules saines et avoir un effet cancérogène. De nos jours, de plus en plus d'études rapportent également le rôle de la greffe de cellules hématopoïétiques.

Les taux de guérison de la plupart des cancers de l'enfant et de l'adolescent ont remarquablement progressé au cours des trente à quarante dernières années. Les données américaines récentes rapportent un taux de survie à 5 ans de 79 % parmi les enfants atteints d'un cancer diagnostiqué entre 1999 et 2002. La survie à 5 ans des enfants traités en France entre 2000 et 2008 dépasse actuellement 80% [154]. Du fait du jeune âge auquel ces patients atteints de cancer sont traités et de ce fait de leur longévité potentielle, les effets tardifs des traitements sont susceptibles d'avoir un impact plus important sur leur propre vie, sur leur famille et sur la société en général que les complications aiguës des traitements reçus pour la prise en charge du premier cancer. Ce risque a pu être précisé grâce à l'étude de 5 grandes cohortes (tableau V) :

Tableau V : Résumé des études de cohorte et des résultats de survenue d’un 2ème cancer chez les survivants d’un cancer dans l’enfance [181] [182] [183] [184] [185]

Nom de la cohorte CCSS Etats Unis CCSS Etats Unis Pays nordiques France/

Royaume Uni Royaume Uni Pays Bas

Auteurs Neglia et al. Meadows et al. Meadows et al. DeVathaire et al.

Jenkinson et al. Cardous-Ubbink et al. Année de publication 2001 2009 2007 1991 2004 2006 Source de données 26 institutions Canada et Etats Unis Idem Registres généraux 5 pays nordiques 8 institutions Royaume Uni/ France Registre national des cancers de l’enfant Royaume Uni Mono-centrique Amsterdam Cohorte Survivants à 5 ans Idem Tous patients Survivants à 3 ans Survivants à 3 ans Survivants à 5 ans Nombre de patients 13581 14363 30880 4400 16541 1368

Années du diagnostic 1970-1986 1970-1986 1943-1987 Avant 1985 1926-1987 1966-1996

Age maximal au

diagnostic

< 21 ans < 21 ans < 20 ans < 17 ans < 15 ans < 18 ans

Diagnostic inclus Tous

cancers primitifs Idem Tous cancers Tumeurs solides

Tous cancers Tous cancers

Localisation du primitif SNC 13,1 % 21,3 % 16,4 % 24,2 % 8 % Os 8,4 % 6,2 % 6,6 % 3,9 % 8,6 % Lymphome 20,9 % 12 % 18,9 % Hodgkin : 7,8 % 18,7 % Néphroblastome 8,6 % 4,7 % 18,6 % 7,8 % 14 % Leucémie 33,7 % 27,9 % 0 % 24 % 24,5 %

Sarcome tissus mous 8,7 % 6,6 % 13,4 % 6,6 % 10,7 %

Age médian au

diagnostic

6 ans 6,8 ans np 6 ans 5,8 ans 5,9 ans

Durée médiane du suivi 15,4 ans 22 ans 18 ans 15 ans 10 ans 16,8 ans

Pourcentage de radiothérapie initiale 68,1 % 67 % np 70,7 % np 44 % Taux d’incidence standardisée (SIR) 6,38 6,4 3,6 9,2 6,2 9,45 (méningiomes exclus) Risque absolu (sur 1000

personnes/an) 1,88 np 0,95 1,88 1,2 3,2 Risque cumulé 20 ans 3,2 % 2,6 % 3,1 % 4,4 % 25 ans 4,9 % 4,2 % 30 ans 9,3 % 7,7 % 45 ans 12,8 % np* : non précisé

Aucune de ces cohortes n'a plus de 30 ans de suivi moyen et l'âge moyen des sujets reste encore inférieur à 40 ans correspondant à une incidence des cancers encore très faible dans la population générale de même âge.

Dans la cohorte nord-américaine, les membres ont été suivis pour la survenue d'un deuxième cancer jusqu'à la fin de 1999, puis ré-analysés à la fin de 2005. Durant cette période de 6 à 29 ans de suivi correspondant à la publication initiale, 314 cancers secondaires avaient été observés chez 298 participants. Dans la mise à jour publiée en 2009, ce chiffre a augmenté de 2,3 fois. Les cancers secondaires observés dans la CCSS sont principalement des cancers du sein, suivis de cancers thyroïdiens, de tumeurs du système nerveux central, puis de sarcomes des parties molles, et osseux, de leucémies et lymphomes, de mélanomes et de carcinomes digestifs. La CCSS a également analysé la mortalité de cette cohorte de survivants (tableau VI) [124]. Parmi les 1727 survivants à 5 ans d'un cancer dans l'enfance et qui sont secondairement décédés et pour lesquels les certificats de décès ont pu être revus, la principale cause de décès a été la récidive de la maladie initiale (67 % des patients). Le décès a été attribué à une cause relative au traitement du premier cancer dans 21% des cas, dont 13 % étaient un second cancer.

Tableau VI : Répartition des localisations des tumeurs primaires versus localisation tumeurs secondaires chez 1160 patients de la cohorte CCSS ayant développé un cancer

secondaire [124]

Diagnostic Nombre Cancers secondaires initial de patients sein Thyro ïde Cerve au Sarco me Os Leucé mie Mélan ome Lymp home Diges tif Autre Lymphome d’Hodgkin 247 94 36 7 19 6 14 11 14 14 32 Leucémie 152 16 23 45 4 4 9 9 10 2 28 Sarcome tissu mou 80 10 7 3 18 12 3 6 2 2 17 Sarcome os 74 21 9 3 5 9 6 5 1 7 8 Tumeur cérébrale 68 3 12 18 6 5 3 4 4 2 11 Lymphome non hodgkinien 43 6 7 4 2 5 2 2 4 2 9 Neuroblastome 33 2 8 1 4 0 4 0 0 1 0 Néphroblastome 33 5 2 0 7 5 2 3 0 4 5 Total 1160 157 104 81 65 46 43 42 36 33 123

 Les facteurs de risque

Le taux d'incidence des seconds cancers chez les sujets guéris par chirurgie seule est un peu supérieur à celui de la population générale, avec des risques relatifs de 2 à 3 selon les études. En revanche, selon ces études, ce risque après radiothérapie seule s'avère 3 à 10 fois plus élevé que celui de la population générale pendant les 30 années au moins suivant le traitement.

 Rôle de la chimiothérapie

Il est actuellement établi qu'il y a au moins deux familles de chimiothérapie qui sont associées au risque de tumeurs secondaires : les agents alkylants et les inhibiteurs de la topo-isomérase II :

Les agents alkylants : les plus utilisés sont le cyclophosphamide, l'ifosfamide, le melphalan, le busulfan, les nitrosurées et le procarbazine. Ces agents rentrent dans le traitement de la majorité des tumeurs solides, des hémopathies et dans le conditionnement de la greffe de cellules

hématopoïétiques. Dans une étude de la CCSS, les agents alkylants représentent un facteur de risque de tumeurs secondaires important avec un RR (risque relatif) de 1,4–2,2 et concernent essentiellement des leucémies myéloïdes aux caractéristiques cytogénétiques spécifiques (monosomie ou une délétion partielle des chromosomes 5 et 7) [124] [125]. Elles surviennent généralement dans les 5 ans qui suivent le début de la chimiothérapie. Le risque est majoré par l'utilisation concomitante des épipodophyllotoxines et augmente avec la dose des traitements mais pas avec la modalité et le schéma thérapeutique [126].

Les inhibiteurs de la topo-isomérase II : comprenant les anthracyclines, anthracènediones (par exemple, mitoxantrone) ainsi que les épipodophyllotoxines, telles que l'étoposide et le ténoposide augmentent le risque de leucémie myéloïde. Ce risque dépendait plus des modalités d'administration (risque plus élevé si administré en discontinue) que de la dose cumulée. Il s'agit essentiellement de LAM 4 et LAM 5 selon la classification de Farber survenant précocement dans les 2– 3 ans du traitement avec translocation fréquente impliquant le gène MLL [127]. D'autres classes d'antinéoplasiques sont rapportées dans la littérature comme facteur de risque de leucémies avec des anomalies caractéristiques (t (8;21) (p11; p13.3)) après traitement par anthracycline [128]. Le risque de tumeurs solides est également majoré après chimiothérapie. Par exemple, dans une étude portant sur plus de 2800 patients traités à l'âge pédiatrique pour un ostéosarcome ou un sarcome d'Ewing entre 1976 et 2005, le taux d'incidence cumulée de secondes tumeurs solides à 10 ans de recul est de 1,4 % [129]. Il s'agissait de cancers du sein (3 cas), de sarcomes des tissus mous ou osseux (8 cas), de carcinomes (poumon, rein, indifférencié (3 cas)), de carcinome papillaire ovarien (1 cas) et d'un astrocytome anaplasique (1 cas).

 Le rôle de la radiothérapie

Bien que de nombreux progrès aient été réalisés en radiothérapie, aucune technique ne peut à ce jour restreindre l'irradiation aux seuls tissus tumoraux. Le rôle de la radiothérapie dans la carcinogenèse et comme un facteur de risque de cancer secondaire a été bien décrit dans la littérature. Dans l'étude CCSS, l'irradiation a été le plus fort facteur indépendant et a été associée à un RR de développer un cancer secondaire de 2,7 (95 % IC 2,2–3,3) [153] [155]. Similairement, dans une étude cas témoin du German Childhood Cancer Registry portant sur 328 cas de cancer secondaire chez l'enfant versus 639 contrôles, la radiothérapie a été associée à un Odds ratio de 2,05 (95 % IC 1,45– 2,91) de développer un cancer secondaire même après ajustement selon les différentes chimiothérapies [156]. Le temps de latence de développement d'un cancer secondaire post irradiation, est de l'ordre de 10–15 ans après le premier traitement [129]. Les tumeurs secondaires habituellement vues après un cancer dans l'enfance sont de nature bénigne (méningiomes) ou maligne avec par ordre de fréquence les cancers de la peau, du sein, de la thyroïde, les cancers des os et des tissus mous (sarcomes). Il est important d'identifier et de déterminer le risque de seconde tumeur pour chaque enfant traité par radiothérapie afin d'organiser au mieux son suivi sur le long-terme. Par exemple, le risque de cancer secondaire du sein augmente avec la dose de radiothérapie reçue au niveau du bourgeon mammaire, une dose/séance importante, un champ d'irradiation large, un jeune âge (diminution progressive après la puberté pour devenir non significatif après 30 ans), un traitement par radiothérapie à proximité (1 mois) ou pendant une grossesse, un statut hormonal conservé, un antécédent de lymphome de Hodgkin, des antécédents du cancer du sein

apparentés au 1er degré [157]. Dans l'analyse rétrospective de Metayer portant sur environ 6000 patients traités pour une maladie de Hodgkin à l'âge pédiatrique, les auteurs ont montré que les patientes âgées de 10 à 16 ans au diagnostic ont un risque 23 fois plus élevé de développer un cancer du sein par rapport aux patientes traitées à un âge plus avancé et pour ceux traités à un âge inférieur à 10 ans un risque 50 fois plus important de tumeurs thyroïdiennes et respiratoires par rapport aux autres [158]. Le risque de sarcome osseux augmente avec la dose de radiothérapie [159]. Dans l'étude cas témoin de Henderson le traitement par radiothérapie constitue un facteur de risque de sarcome secondaire avec un OR de 15,6 (95 % CI, 4,5–53,9) pour 10–29,9 Gy qui augmente jusqu'a 114,1 (95 % CI, 13,5– 964,8) pour des doses > 50 Gy [160]. Les survivants de cancers pédiatriques sont également à risque de cancers digestifs, en particulier coliques spécialement en cas de traitement par radiothérapie abdominale et de traitement par agents alkylants [161]. Le risque de cancers cutanés hors mélanome est augmenté chez les patients ayant eu de la radiothérapie. Pour ceux ayant une irradiation corporelle en totalité et allogreffe, le risque augmente avec le jeune âge et s'il y a eu une réaction (aiguë ou chronique) de GVHD (Graft Versus Host Disease) [162].

En conclusion, il existe un réel contraste entre le nombre d'études décrivant les effets secondaires liés au traitement et les risques de seconds cancers imputables à ces traitements, ainsi que celles décrivant l'état de santé des personnes guéries d'un cancer dans l'enfance par rapport à celles apportant des données scientifiques pouvant être utilisées pour fonder des recommandations de dépistage. L'identification des personnes à risque est l'élément primordial et ceci nécessite des comptes rendus détaillés de fin de traitement et la poursuite de

suivis sur le long terme pour appréhender dans l'avenir les effets secondaires des nouvelles thérapeutiques actuelles. Afin de bien identifier et estimer le risque de seconde tumeur chez les enfants traités pour un cancer, il est important de prendre en considération l'âge au diagnostic, l'âge lors des différents traitements et surtout les caractéristiques précises des traitements (dose cumulée de chimiothérapie, mode d'administration, dose et champ de radiothérapie, histogramme dose-volume sur les organes sains à proximité).

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