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PARTIE III : DE LA SUR-MEDIATISATION A LA SUREXPOSITION

Section 2 : Les tueurs en série font-ils des émules ?

En France, en juin 2002, Blandine Kriegel a été chargée par le ministre de la Culture de mener une étude sur la violence à la télévision. Après cinq mois d’audit, le bilan a démontré, comme le prouve l’extrait suivant du rapport « la montée indifférenciée et indistincte de la violence et de la délinquance dans tous les secteurs de notre société » et le rapprochant d’un « déferlement de spectacles de plus en plus violents, à des heures de plus en plus ouvrées, à la télévision »2, qu’il existe un lien de cause à effet entre l’augmentation de la délinquance et la médiatisation de la violence. Ainsi, ce problème de la société incite les politiques et les sociologues à s’interroger sur les répercussions de la représentation des tueurs en série dans les oeuvres culturelles et artistiques. Plus concrètement, quelle est l’influence de la sur-médiatisation sur la prolifération de la violence et des crimes ?

« A regarder divers films récents, on assiste à une double figuration de l’excès. La première tendance génère une excroissance de la violence dont la finalité peut être paradoxalement son éradication (excès dans l’accumulation), et la seconde se nourrit de la

1 Polémique autour de la confession d’un tueur en série à la TV, www.toutelatele.com, 27 avril 2004.

2 M. Ozanam, Violence : faut-il censurer la télé ?, www.doctissimo.fr.

dérision (excès dans le simulacre). »1. Cette citation d’Olivier Mongin pose le problème de l’impact des images violentes sur les spectateurs, tout en cherchant à minimiser son impact.

Au terme de son analyse, il considère que le caractère excessif relativise la portée du message.

Exacerbation de la violence ou exutoire, cette contradiction fait actuellement débat, surtout aux Etats-Unis, depuis qu’un adolescent a tué un de ses camarades en s’inspirant d’un thriller,

« Scream ». Selon la maxime populaire, la violence engendre la violence. Même les passages des tueurs en série à la télévision sont une occasion de décupler la violence des actes par celle des images. Cette spirale médiatique de la folie meurtrière peut parfois avoir des conséquences dramatiques. Certains films ont influencé, d’une manière plus ou moins indirecte, des meurtriers. Par exemple, suite à la diffusion du téléfilm « The Deliberate Stranger », Ted Bundy s’est inspiré du scénario de cette fiction pour commettre ses crimes.

Dans la réalité, le tueur en série incarne le mal absolu. La cruauté et la sauvagerie de ses crimes glacent le sang et nous confrontent instantanément avec ce monde composé de violence et d’horreur où nous vivons. Par conséquent, à chaque diffusion d’une œuvre cinématographique provocante mettant en scène un tueur en série, cette interrogation primordiale revient à l’ordre du jour : « est-ce qu’une image peut tuer, est-ce qu’une image rend tueur ? »2. En d’autres termes, la brutalité de ces scènes peut-elle engendrer des répercussions négatives sur les spectateurs et, en particulier, sur les spectateurs plus vulnérables psychologiquement comme les adolescents ? « Karl Popper souligne que « ceux qui se laissent abuser par la télévision ne possèdent pas toujours un niveau de formation et de maturité suffisant pour faire la distinction entre réalité et fiction. » (Popper, Condry, 1994) »3. Les avancées technologiques permettent aux producteurs de réaliser des films avec des mises en scène de plus en plus réalistes. Dans ce contexte, il semble difficile pour des spectateurs en bas âge ou ne possédant pas le recul nécessaire de faire la différence indispensable entre la réalité et la fiction. Ce décalage accentué par le manque de maturité peut-être la source d’un éventuel passage à l’acte.

A l’opposé de la littérature, les images imposent cette immédiateté visuelle. Alors, la violence nous parvient instantanément sans aucune possibilité de recul ou de réflexion.

2 M. J. Mondzain, L’image peut-elle tuer ?, Bayard, 2002, p.25.

3 F. Jost, Opcit., p. 8.

4 M. J. Mondzain, Opcit., pp. 32-33.

énième corps tué par un tueur en série, le public ne prend pas conscience de toute la cruauté de cet acte, car même, l’imaginaire possède ses limites. Les représentations cinématographiques nous imposent cette vision insupportable comme dans le film de Cédric Kahn où le spectateur regarde cette baignoire de sang où flottent deux corps : Roberto Succo vient de tueur ses parents. En accordant une telle importance au tueur en série, en le glorifiant et en considérant les victimes comme de simples corps mutilés et torturés, cette vision apocalyptique de la société – certes, un peu caricaturale – prendra un tout autre sens. Les réalisateurs se doivent de faire attention aux messages qu’ils transmettent en raison de la puissance de persuasion des images. Ils ont un devoir moral et éthique vis-à-vis du public.

Par exemple, « Natural Born Killers » d’Oliver Stone met en scène la cavale d'un couple de « Serial Killers » afin de dénoncer la responsabilité des médias dans leurs destins meurtriers. En mélangeant tous les genres (noir et blanc, couleur, images subliminales, morceaux de clip, dessin animé, etc.), Oliver Stone propose une réalité ultra violente et abrupte pour traiter justement des répercussions de ces images et du cinéma en général. Ainsi, la prolifération de ces représentations peut engendrer des monstres qui agiront par mimétisme.

Finalement, les répercussions de ce type de représentation cinématographique dépendent considérablement du spectateur et de sa manière de percevoir et de regarder ces images. En faisant la différence entre soi et l’autre, aucune confusion ne peut exister dans l’esprit du spectateur. S’il fallait une phrase pour résumer cette prise de distance, nous pourrions choisir celle ci « ne faire qu’un avec ce qu’on voit est mortel et ce qui sauve, c’est toujours la production d’un écart libérateur. »1. En effet, si une personne éprouve des envies de meurtre suite à la projection d’un film, ceci est étroitement lié à un problème d’identification. A la question « l’image risque-t-elle d’inciter au meurtre ? », Marie José Mondzain répond que le spectateur perçoit l’image représentant la violence de manière totalement passive. Donc, l’image ne peut déclencher un acte. Un individu se met à tuer pour exprimer sa part d’animalité et non pas sous l’impulsion d’une représentation télévisuelle de la violence. Ainsi, tout varie en fonction de l’état d’esprit dans lequel le spectateur se trouve lors du visionnage du film.

Par la citation suivante, Olivier Mongin exprime toute l’ambiguïté qui existe dans la projection de la violence sur les écrans. « S’opposent aujourd’hui deux écoles, on le sait : la première reproche au spectacle de la violence de favoriser le passage à l’acte de certains individus et d’acclimater la sensibilité du public à la violence, la seconde reconnaît au

1 M. J. Mondzain, Ibid., p. 29.

déferlement d’images violentes une vertu quasi cathartique, une protection contre ses propres démons. »1. Devant la complexité de l’être humain et de ses pensées inconscientes, il est difficile d’apporter une réponse définitive et précise à cette question.