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PARTIE III : DE LA SUR-MEDIATISATION A LA SUREXPOSITION

Section 1 : Un rappel à la déontologie

Entre objectifs idéologiques et réalités commerciales, les médias se situent au coeur de la polémique en ce qui concerne l’intrusion des journalistes dans l’instruction des affaires criminelles et leur médiatisation excessive. « Le secret de l’instruction, pourtant inscrit dans la loi, est mort. Les journaux publient ce qui s’est passé la veille dans le cabinet du juge. La justice travaille sous les feux de la rampe. Tout le monde déplore cette situation de non-droit, chacun y trouve son compte. Magistrats, avocats, politiciens, gendarmes, prévenus utilisent à leur profit la médiatisation de la justice.»1. En effet, comme le démontre l’extrait précédent, les textes juridiques ne sont plus ni adaptés, ni appliqués afin d’assurer le bon déroulement

1 J.-M. Charon et C. Furet, Ibid., quatrième de couverture.

des procès, surtout, ceux destinés à juger les tueurs en série. Particulièrement intéressés par ce type de criminel, les journalistes suivent avec attention chaque étape de la procédure policière et judiciaire pour informer en exclusivité ses lecteurs. Par conséquent, de nombreux détracteurs des médias remettent en question leur rôle et leur pouvoir. En effet, les journalistes cherchent, à tout prix, à lever le voile sur des enquêtes non élucidées pour apporter de nouveaux indices et reconsidérer le dénouement de l’affaire. Pour atteindre leurs objectifs, ils sont prêts à détourner le secret d’instruction et à enfreindre la loi. De plus, n’étant pas contraints comme la justice d’instruire à charge et à décharge, les médias bénéficient d’une « large liberté » mais pas forcément d’une « réelle objectivité » pour traiter les affaires criminelles. L’ensemble de ces articles diffusés ne risque-t-il pas d’influencer le public et, par la même occasion, la cour pour déterminer la culpabilité d’un criminel ? D’ailleurs, Blandine Kriegel, professeur à l’université Paris X – Nanterre, s’interroge précisément sur les limites de la liberté d’information des journalistes. « Le journaliste peut-il, et doit-il, tout dire et tout montrer ? Les personnes privées peuvent-elles protéger la sûreté de leur intimité et l’espace de leurs droits propres sans restreindre le besoin légitime d’information de la société et, surtout, sans porter atteinte à la liberté d’expression qui constitue l’un des droits les plus précieux comme le dit la Déclaration des Droits de l’Homme ? »1. Dans ce contexte, comment aborder les faits divers relatifs aux tueurs en série ? « Les médias ont à informer les citoyens avec précision de la réalité des faits, mais en veillant à ne pas ajouter au désarroi du public, et à ne pas aggraver la souffrance des victimes ou la peine de leurs proches. »2. Comme le souligne François-Xavier Alix, parfois, la satisfaction de la curiosité des lecteurs avides de toujours plus de détails passe avant le respect aux droits des victimes et les considérations morales et éthiques auxquelles devraient se souscrire tout journaliste.

Cette frontière entre la liberté d’information et le respect des victimes concerne directement les problèmes déontologiques. Claude-Jean Bertrand définit la déontologie dans les médias comme « un ensemble de principes et de règles, établis par la profession, de préférence en collaboration avec les usagers, afin de mieux répondre aux besoins des divers groupes dans la population. »3. De cette manière, la déontologie apparaît comme une volonté collective des employés d’une publication de fixer des conditions par rapport à la diffusion des informations. Ces règles peuvent relever de multiples domaines comme, par exemple, la

1 Colloque Presse – Liberté, La presse et la justice, Presses Universitaires de France, 1999.

2 F.-X. Alix, Ibid., p. 138.

3 C.-J. Bertrand, Opcit., p. 7.

non divulgation d’informations susceptibles de nuire au déroulement d’une enquête, la protection des victimes et des témoins ou encore le non-recours à la dramatisation. Les journalistes doivent être soumis à un contrat moral car « la responsabilité individuelle des journalistes est la contre partie de la liberté qu’ils jouissent. »1.

Cependant, le domaine de la presse constitue une exception en matière de réglementations législatives. En effet, les journalistes refusent toute réforme de l’Etat qui aboutirait, selon leurs revendications, à une atteinte à la liberté de la presse et d’informer, nuisible au travail des journalistes mais aussi aux attentes du public. « La presse est libre quand elle ne dépend ni de la puissance gouvernementale, ni des puissances d’argent, mais de la seule conscience des journalistes et des lecteurs. »2. Ainsi, les professionnels de la presse reconnaissent principalement la loi de 1881, texte qui pose les fondements de l’éthique avec pour points principaux la liberté d’expression, l’exigence de vérité et le respect des personnes.

D’autres chartes viennent la compléter comme celle des devoirs du journaliste élaborée par le Syndicat National des Journalistes de 1918 et revu en 1938. Ensuite, c’est à la charge de chaque support d’information de fixer ses propres règles déontologiques. Compte tenu des bouleversements qui sont intervenus sur les dix dernières années dans la communication, il devient légitime de s’interroger sur l’adéquation de ces textes fondateurs.

Cette attention démesurée accordée aux tueurs en série choque une partie de la société.

Pour relater ces événements, les journalistes ne sont, en aucun cas, contraints de décrire minutieusement la violence et la cruauté des crimes dans l’ensemble des médias car cela n’apporte pas d’éléments permettant d’affiner la compréhension des informations. Donc, les médias doivent se responsabiliser par rapport aux impacts éventuels de leurs publications. En fait, la difficulté du métier consiste à traiter avec justesse les informations brutes et à savoir anticiper et mesurer les répercussions qu’elles peuvent provoquer sur la société. Au lieu d’entretenir cette concurrence et de poursuivre cette course effrénée aux profits, les différents organes d’information devraient peut-être se concerter sur la façon de traiter des affaires aussi sensibles et délicates que celles des tueurs en série.

1 F. Balle, Les médias, Presses Universitaires de France, 2004, p. 59.

2 F.-X. Alix, Ibid., p. 100.