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1.2 Applications cliniques

1.2.1 La phénylcétonurie (PCU)

1.2.1.7 Tryptophane et phénylcétonurie : état de l’art

Plusieurs points rapprochent le métabolisme du Trp à celui de la Phe, repris dans le Tableau 2.

Tout d’abord, le Trp nécessite le transporteur des L-acides aminés de type 1 (LAT1) pour franchir la BHE (151). Or ce transporteur est quasiment saturé à l’état physiologique (152) et possède une affinité bien plus élevée pour la Phe que pour le Trp. Comme évoqué ci-dessus, une augmentation des concentrations sanguines de Phe entraine une diminution du passage des autres acides aminés au niveau de la BHE (153). Chez les patients PCU, une diminution de la concentration cérébrale de Trp a été retrouvée lors d’autopsies (154). De plus, une diminution de 5HTP (155) et des métabolites du 5HT dans le LCR est réversible sous traitement diététique pauvre en Phe (156). Il est donc envisageable que les problèmes d’humeur présents en cas d’augmentation de la Phe sanguine soient provoqués par une diminution de synthèse de 5HT au niveau méningé (109). Ceci est corroboré par le fait que chez des adultes, une supplémentation en Trp et Tyr entraine une amélioration de la concentration, de l’humeur, et de réponse aux stimuli extérieurs (157). Le déficit en neurotransmetteur est maintenant considéré comme un facteur important sous-jacent à la dysfonction cérébrale présente chez les patients PCU (158).

En ce qui concerne l’origine de ce déficit en 5HT dans le LCR des patients PCU, plusieurs hypothèses existent (159). Celle que nous venons de citer engendre une diminution de la concentration cérébrale en Trp par saturation de LAT1 par la Phe (153), et est corroborée par le fait que l’administration de LNAA chez la souris PCU entraine une augmentation de 5HT au niveau cérébral aussi efficace qu’un régime diététique sévère (138), bien qu’aucune diminution des concentrations cérébrales de Phe n’ait été notée (160). Une autre hypothèse consiste en une inhibition de la TPH lors d’une forte concentration de Phe, ce qui a été montré in vitro (161) mais également chez la souris (155,162). A noter que dans le modèle murin, l’activité de la TPH a été restaurée par une restriction en Phe. Une autre publication évoque une inhibition de la 5HTP décarboxylase par les métabolites de la Phe (87). Enfin, une augmentation du catabolisme de la sérotonine ne peut être exclue, une équipe

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ayant mis en évidence de manière très inconstante une augmentation du 5HIAA dans le LCR de certains patients PCU lors de la levée du régime (163).

Ces hypothèses, dont les effets peuvent s’ajouter, sont basées sur des propriétés connues du 5HT. Elles permettraient d’expliquer le fait que certains adultes atteints de PCU présentent des dysfonctions neuropsychologiques inexpliquées par leur taux de Phe sanguin (164), et rejoignent l’hypothèse de l’existence d’autres mécanismes physiopathologiques dont l’importance varierait selon les patients (90,93).

L’autre point rapprochant le métabolisme du Trp à celui de la Phe est le BH4, cofacteur indispensable de la PAH, et également indispensable à une autre enzyme de la voie du Trp : la TPH, qui synthétise le 5HTP à partir du Trp (Figure 8) et qui est l’enzyme limitante de la synthèse de 5HT. Chez la souris PCU, l’administration de BH4 entraine une augmentation de 5HIAA cérébral, métabolite issu du 5HT (165), montrant une activation du métabolisme du 5HT par le BH4. De plus, une étude montre des effets bénéfiques du BH4 sur la concentration et les problèmes comportementaux de patients PCU non répondeurs au BH4 (i.e. chez lesquels l’administration de cette thérapeutique n’entraine pas de diminution significative de la concentration sanguine de Phe) (166). Ceci soulève la question d’un mécanisme d’action du BH4 indépendant de la Phe permettant l’amélioration des fonctions neurocognitives. Parmi les possibilités de ce mécanisme d’action, l’augmentation de l’activité de la TPH a été évoquée (167). Cependant, d’autres études ont montré, lors d’administration de BH4 chez la souris, une concentration en 5HT cérébrale plus ou moins augmentée mais sans augmentation de l’activité de la TPH (168,169). De plus, les concentrations sanguines et urinaires de mélatonine, reflet du 5HT cérébral, semblent ne pas être modifiées lors de l’administration de BH4 chez des patients PCU répondeurs ou non à cette thérapeutique, mais augmentent lors de l’utilisation synergique des LNAA (170).

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La voie du Trp pourrait également agir sur la synthèse de BH4. En effet, une étude récente prête à la molécule AX la capacité d’inhiber la sépiaptérine réductase (SR), une des enzymes nécessaires à la synthèse du BH4 (Figure 8) (171).

Cette imbrication des 2 voies métaboliques via leur cofacteur commun est d’autant plus renforcée qu’elles partagent également une molécule chaperonne. En effet, la DNAJC12 (DnaJ heat shock protein family member 12) est nécessaire au fonctionnement de la PAH ainsi qu’à celui de la TPH (172).

En ce qui concerne l’implication de la voie des kynurénines dans la PCU, très peu de données sont connues. Quelques travaux ont été effectués dans les années 1960 par un groupe allemand, mais dont la traduction n’a pas été réalisée (173,174), ainsi que par une équipe française (175). Le seul élément à notre disposition est le fait que sous régime pauvre en Phe, les patients PCU excrètent une quantité anormalement élevée d’AK dans les urines (176), tandis que le profil urinaire des métabolites du Trp semble modifié chez certains patients PCU non traités (174). Une autre équipe a montré une diminution de la concentration sanguine de Trp chez 3 patients atteints de PCU cliniquement atypiques (177). Récemment, des recherches concernant l’utilisation de GMP ou de mixtures d’acides aminés dans la PCU, ont mis en évidence des différences dans la cascade métabolique des kynurénines (178). Cependant aucune population non PCU d’une part, et PCU ne consommant ni GMP ni mixture d’acides aminés d’autre part, n’a été étudiée dans l’étude. Malgré cela, cette recherche a clairement mis en lumière le fait que le passage du Trp ingéré dans la circulation sanguine constitue un phénomène modulable.

Nous avons vu ci-dessus que dans la PCU, la concentration cérébrale en 5HT semble diminuée. Or la principale régulation de la synthèse de 5HTP (et donc de 5HT) réside dans la disponibilité de son substrat, le Trp (179). Comme nous l’avons vu précédemment, celui-ci est métabolisé majoritairement en KYN et l’IDO, enzyme limitante de la voie, peut être positivement régulée par certains facteurs, notamment l’inflammation (11). L’activité de l’IDO modifie la biodisponibilité du Trp et donc

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potentiellement l’activité de la TPH. Ces relations entre la voie de la KYN et celle du 5HT sont la raison de l’approche métabolomique de la présente étude. Une étude récente montre d’ailleurs ces relations étroites entre Phe, 5HT et kynurénines, une surproduction de la voie des kynurénines et de la Phe étant observée chez la souris déficiente en TPH2 (180).

Enfin, certains mécanismes physiopathologiques entrainant l’atteinte cérébrale de la PCU restent à ce jour insuffisamment compris. Une des voies à explorer davantage est l’accumulation cérébrale de métabolites neurotoxiques. Or, plusieurs kynurénines possèdent des propriétés neuroactives, que ce soit par l’action neurotoxique du 3HK, du 3HA et de AQ, ou par l’action neuroprotectrice de AK (3).

Tableau 2 : Interactions entre les métabolismes de la Phe et du Trp

Ces différentes données nous ont donc conduits à nous interroger sur les modifications du métabolisme du Trp (voie des kynurénines et voie du 5HT) dans la PCU. Cela est d’autant plus important qu’avec l’arrivée de la thérapie par LNAA, une augmentation des concentrations cérébrales des acides aminés essentiels et des neurotransmetteurs (181) impactera cette voie métabolique.

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