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Les troubles de la relation au père et de la fonction paternelle

Chapitre I. Le développement de l’enfant et les troubles de la personnalité

II. La relation au père

II.4. Les troubles de la relation au père et de la fonction paternelle

P. De Neuter31 pense que la fonction paternelle ou fonction de père réel est assumée par tout être qui, dans la réalité et par sa réalité amène d’une part l’enfant à renoncer à être le phallus de sa mère et d’autre part la mère à faire de son enfant son phallus. Cette castration

30 Porot, cité par E. Benoît, op.cit.

31 P. De Neuter, in A. de Mijolla et al. , 2003, Dictionnaire international de la psychanalyse. Paris, Calmann-

symbolique dit-il, déterminera la façon dont le garçon et la fille assumeront leur virilité et leur féminité. C’est ici le rôle du père dans le processus oedipien, celui-ci étant un repère identificatoire pour l’enfant. L’absence de stimulations paternelles adéquates crée donc des carences de tout genre et déséquilibre le développement de l’enfant. Lorsque le père ne remplit pas sa fonction, ou son rôle, les enfants présenteront le plus souvent des troubles caractériels. Ils seront instables, agressifs, hyper-émotifs, anxieux, impulsifs, excités, coléreux ou renfermés. Ils peuvent également manifester leur malaise à travers des passages à l’acte ; un mode réactionnel qui leur permet d’évacuer leurs conflits psychiques. Considérons l’histoire de ce cas de pathologie psychique consécutive à l’absence du père, rapportée par C.Hoffmann.

Dans une étude clinique sur les fondements de la violence des adolescents, C.Hoffmann32 retrace l’histoire d’un garçon qui, ayant vécu son enfance comme « substitut paternel » pour ses frères et sœurs, bascule dans la psychopathie à l’adolescence. L’auteur y voit alors un lien avec l’image absente (« invisible ») du père. Car, le jeune garçon n’a jamais connu son père depuis son enfance : « De son père il ne connaît que l’existence sans Nom et sans Image. Il sait qu’il existe, mais sa mère ne lui à ni « donné » son nom, ni…montré sa photo. », souligne C.Hoffmann. La seule image que le jeune garçon a de son père c’est sa propre image. Car il lui suffit de se « regarder dans le miroir » pour voir à quoi ressemble son père, lui a un jour rétorqué sa mère. A cet effet, C.Hoffmann conclue à une unité dans l’image entre le modèle et la copie où « être à l’image du père » définit un être immanent au visible de l’image à l’exclusion du symbole ; c’est-à-dire, un être immanent de l’invisible. A l’image de son père absent et « invisible » de la sphère familiale et symbolique, le jeune garçon a évolué sans réels repères symboliques et est donc demeuré « invisible » malgré sa présence active au sein de la famille. Ce garçon a été « nié » au sein de sa sphère de développement et de l’environnement familial tel que le fut son père. Car, « …qui nie le père nie le fils », ajoute l’auteur citant C.Alexandrie in Dialogue sur la Trinité.

Selon C.Hoffmann en effet, la confusion entre le modèle et la copie ; c’est-à-dire, entre l’image du père et celle du fils, forclos la place du père et celle du fils. Dès lors, dit-il, l’impossible médiation d’un Père Réel mettant l’enfant à sa juste place de fils traduit

32 C.Hoffmann, « Au cœur des ténèbres : l’amour du prince », in A.Houbballah, R.Gori et C.Hoffmann,

Pourquoi la violence des adolescents ? Voix croisées entre Occident et Orient. Ramonville Saint-Agne, Editions

l’absence dans la structure de l’image phallique et du Père Idéal. Ici, sans père réel le fils ne peut se structurer une image phallique, et encore moins un père idéal.

Si, dans ce cas, l’absence et la défaillance symbolique du père se prolongent et se traduisent dans le fils du fait de leur « ressemblance » (image= copie), on peut de la même façon supposer une défaillance symbolique chez des auteurs de passages à l’acte ayant vécu l’absence du père durant leur enfance ; même si la ressemblance physique n’est pas notée chez ces derniers. Car, on retient dans la « négation du père », celle du fils ; une véritable métaphore psychopathologique.

Cette absence du père (sur le plan symbolique ou réelle) est prépondérante et manifeste chez nos sujets. Qu’ils soient adolescents, adultes, filles, ou garçons, hommes ou femmes, tous ont connu dans leur enfance l’absence du père. Soit de façon symbolique, avec un beau père ou autre adulte (exemple : l’oncle dans le cas de Wally ; le beau père dans le cas de Koumba, Sylvain et Moutou ; et le père dans le cas de Brel, Brave et Ben …) faisant office de père dans la réalité, mais ne remplissant pas réellement ce rôle ; c’est-à-dire un « pseudo père » sans fonction symbolique paternelle. Soit par une absence réelle, et ce fut le cas de Koumba, Moutou, Ben, Sylvain et Tara. Certains d’entre eux vivent doublement l’absence du père. En effet, après le décès, ou l’abandon du père géniteur (par cause de divorce ou de simple rupture relationnelle), Koumba, Moutou, Sylvain et Ben vont vivre une autre absence du père en la personne d’un beau père tyrannique, méchant, ou d’un oncle non affectueux. Cette absence réelle et/ou symbolique de la fonction paternelle qui a sans doute été néfaste à leur développement psychoaffectif et comportemental.

Chez les filles auteurs d’homicides c’est encore le père qui fait absence. Aworè, 22ans, vit avec sa famille paternelle à la suite du décès de son père. Wally, 19ans, vit avec son oncle maternel, séparée de son père depuis son enfance. Ce qui rapproche ces jeunes filles c’est non seulement la nature de leurs crimes ou passages à l’acte, mais aussi « l’amour passion » qu’elles manifestent à l’égard de leurs pères en dépit de leur absence ; et leur relation conflictuelle à la mère jusqu’à la post-adolescence. Aworè entretient une véritable dissociation affective à l’encontre de sa mère ; elle ne la considère d’ailleurs pas comme sa mère. Car, dit-elle, « c’est pas ma mère… ». Chez Wally, c’est le même portrait affectif et relationnel avec la mère. « Il n’y a pas d’entente entre maman et moi ; en tout cas mon père

avant tout ; papa d’abord… ». Ces filles « souffrent » affectivement de l’absence du père. Par ailleurs, on peut voir dans l’attitude de ces deux dernières les « restes » du Complexe d’Œdipe non accompli ; un amour exprimé pour le père (parent de sexe opposé) et de la haine pour la mère (parent de même sexe). Mais, l’absence paternelle ne facilite pas le processus et semble amplifier la haine des filles vis-à-vis de leurs mères.

Cette absence détériore également leur comportement. Ces filles sont très impulsives. En effet, nous avons vu avec Smirnoff qu’une défaillance de la fonction paternelle empêchait la réalisation de la féminité chez la jeune fille à cause de la non réalisation oedipienne que cette absence occasionne chez cette dernière. Et, P. de Neuter parle quant à lui, de troubles caractériels tels que l’impulsivité, la colère, l’agressivité, l’excitation et l’instabilité, dans chez ce genre d’enfants subissant une défaillance de la fonction parentale.

Quelle que soit leur origine culturelle, l’histoire de ces sujets et l’absence frappante du père dans leur vie a sans nul doute été néfaste à leur bon développement et à leur comportement. En référence à ce qui précède, on comprend bien que l’absence du père aura aussi une influence sur le développement sexuel de l’enfant ; c’est-à-dire qu’elle peut-être un facteur déterminant dans l’étiologie des troubles de la sexualité et des déviances sexuelles. Comment cette absence trouble-t-elle le développement sexuel, social et comportemental de l’enfant ? En effet, certains auteurs pensent, et à juste titre, que trop d’absence paternelle peut gêner par exemple le processus identificatoire ; et les efforts de la mère d’assumer les deux rôles paternel et maternel seront en général perturbateurs pour l’équilibre de l’enfant. Nous verrons dans nos analyses comment cette absence du père a pu être un élément déterminant dans l’étiopathogénie des troubles de comportements chez ces sujets. Mais nous allons revenir sur le rôle du père et de la fonction paternelle chez l’enfant. Les études statistiques, reprises dans un article du CIDP (Centre d’Information sur les Droits (et devoirs) des Pères (et des parents)) ont par exemple révélé que 75% des délinquants provenaient de familles dont les parents étaient séparés. C’est dire donc tout l’intérêt de la fonction paternelle à côté de la mère pour le plein épanouissement de l’enfant.

En définitive, la déformation ou la déviation des relations objectales consécutives à l’absence d’un ou des deux parents occasionnera fort probablement la détérioration de la personnalité ou

du caractère, influençant ainsi les rapports sociaux. P.Benghozi pense d’ailleurs qu’un enfant qui ignore qui est son père est confronté avec l’énigme de ses origines ; confronté à la fois à une rupture du lien de filiation mais également à un trou dans la transmission entre lui, sa génération et les générations qui le précèdent. La psychopathologie des auteurs de passages à l’acte confirmera certainement ces analyses.

Chapitre II. La psychopathologie et la clinique du passage à l’acte. Aspects psychanalytiques.

Traiter du passage à l’acte, nous l’avons vu, c’est traiter du pathologique ; de l’anormal. Car, le passage à l’acte renvoie souvent à un agissement qui sort du registre du normal ; ce qui le rapproche du « pathologique ». On y voit un trouble de l’agir, puisqu’il résulte, pour certains auteurs, d’une incapacité à supporter la tension inhérente au respect du principe de réalité ; (C.Balier, 1988). Et, on sait combien de pathologies mentales relèvent d’une incapacité à respecter le principe de réalité ; incapacité qui, elle-même, relève d’un dysfonctionnement au niveau du dynamisme intrapsychique entre les trois instances, ça, moi et surmoi.

Normalement, pense G. Bayle, les relations entre le moi et le ça sont gérées par le processus de refoulement. Le refoulement renvoie vers le ça les représentations réprimées par la conscience ; il enrichit par ailleurs le moi en énergie pulsionnelle grâce à des processus de symbolisation qui permettent la subjectivation et l’objectalité. A son tour, le surmoi se construit grâce au renoncement des désirs oedipiens (renoncement de la possession sexuelle et du meurtre du père ou d’un rival) qui interviennent dans la dynamique familiale entre l’enfant, le père et la mère. Le surmoi est, à cet effet, chargé de représenter les objets (et comportements) auxquels on doit renoncer ou aux quels on a renoncé. (G.Bayle, in A. Ciavaldini et al, 2003, p.99). Ainsi, lorsque le psychisme fonctionne « normalement », le surmoi porte et définit la censure face aux débordements pulsionnels du ça, et le moi est chargé de gérer et filtrer ces pulsions dans son commerce avec l’environnement ou la réalité externe. Ce qui permet à l’individu d’être à l’abri de toute attitude ou comportement déviant et, à l’abri du passage à l’acte. Jusqu’au moment où ce dynamisme psychique rencontre une perturbation sous l’influence de quelques événements extérieurs créant chez le sujet une conflictualité intra psychique. Sur ce, nous allons revenir sur quelques travaux consacrés aux auteurs de passage à l’acte qui nous dévoilent les profondeurs du comportement déviant et antisocial selon la conception psychanalytique moderne.

II.1. Aspects psychanalytiques et psychopathologiques du passage à l’acte. Travaux