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Quelques troubles réactifs à la carcéralité

Chapitre III. Le vécu de la carcéralité et les troubles associés

III.1. Quelques troubles réactifs à la carcéralité

Si quelques détenus semblent se conforter dans l’état de détenu ou de prisonnier, plus de la moitié de la population carcérale souffre des troubles psychopathologiques durant leur séjour en prison ; et pour certains, il se passe même une réactivation ou une paroxysité des troubles antérieurs (cf. tableaux 1 et 2 p. 19). Dans son ouvrage intitulé Psychiatrie de liaison en

milieu pénitentiaire, J.L Senon (1998) notifie par exemple un taux élevé de troubles anxieux

et du sommeil, chez les détenus, dont l’insomnie qui s’élève à 70% et qui représenterait l’une des plus grandes demandes de consultation. Il note aussi un fort taux de conduites additives dont la toxicomanie et l’alcoolisme ; le suicide, quant à lui, s’impose de manière farouche en

145 Idem, p.78 146

prison. D.Gonin signalait déjà que la prison est un réservoir d'individus médicalement fragilisés147. Sur ce, comme troubles réactifs à la carcéralité chez les détenus on note : les automutilations, la psychose, la dépression, le suicide et les tentatives de suicide…

ΙΙΙ.1.1. Les automutilations

Plusieurs auteurs ont démontré que l’incarcération favorise certaines pathologies chez le détenu, en ce sens qu’elle réprime l’agressivité et puisque les manifestations agressives ne peuvent plus s’exprimer, la tension trouve d’autres voies de décharge à travers les automutilations, les tentatives de suicides, les grèves de la faim, les maladies digestives et les crises clastiques148. De son côté, J.L. Senon a relevé que les automutilations étaient fréquentes chez les détenus et seraient le fait des personnalités pathologiques ou narcissiques. Il cite A. Kinsley pour qui 18% des automutilations en prison viendraient en réaction contre la rupture familiale ; 16,8% contre l’intolérance de la détention ; 15,5% contre le climat relationnel en détention149. Dans l’univers carcéral, pense C. Balier « la toute puissance qui terrorisait l’entourage devient dépression ; la violence comportementale devient angoisse ; la possessivité devient peur panique de l’abandon. Il est évident que la qualité de la prison, tant par son environnement architectural qu’humain, joue un rôle dans la répétition ou la sédation des manifestations bruyantes, ainsi que l’importance de la régression et de la passivité »150.

ΙΙΙ.1.2. La Psychose

La plus habituelle des psychoses, retrouvée au sein de la population carcérale serait la schizophrénie (cf. tableaux 1 et 2), présente sous toutes ses formes, souligne J.L.Senon. La forme hébéphrénique, de diagnostic difficile, est parfois confondue avec la dépersonnalisation ressentie par le jeune incarcéré durant les premiers jours de détention. Elle serait marquée par le repli sur soi et la limitation de la communication chez le sujet. La forme paranoïde, elle est d’un diagnostic plus aisé et surviendrait tardivement chez les détenus de la trentaine ; se manifesterait par des délires et des troubles de comportements répétés.

147D.Gonin. La santé incarcérée. p.84 148 Idem, p.19

149 J.L.Senon, op.cit, p.65 150

Il existerait aussi une autre forme de schizophrénie dite « déficitaire », très souvent mise en relief dans les troubles de la carcéralité et dans les établissements pour peine. Elle se manifeste par un repli sur soi, un manque d’initiative, de l’apragmatisme, l’athymhormie ou l’athymie et l’aboulie, voire l’autisme. Le détenu atteint de cette forme de schizophrénie serait susceptible de se laisser mourir tant sur le plan psychologique que physique avec altération grave de l’état général151.

ΙΙΙ.1.3. La dépression (cf. tableaux 1et 2)

La dépression est très présente dans les pathologies carcérales survenant chez les détenus, elle serait due au désemparement devant lequel se heurte le sujet en prison. Cette dépression serait parfois à l’origine de certaines psychoses aiguës chez quelques détenus.

ΙΙΙ.1.4. Les suicides et tentatives de suicide

Certains auteurs ou presque tous s’accordent à reconnaître une « sursuicidalité » en détention, qui serait due aux contraintes imposées par la réorganisation spatiale, temporelle et relationnelle ; l’individu ayant une personnalité fragile et étant aux prises avec ce que lui renvoie sa mise en détention. A.Kinsley, cité par J.L.Senon avait déjà remarqué cette augmentation du taux de suicide en prison ; lequel passait de 12,5 en 1990 à 19,6 en 1995.152 Et, depuis 2001 jusqu'en 2004, on a enregistré un taux assez élevé de suicide au sein de la population pénale; lequel serait de 40% chez les hommes détenus et 62% chez les femmes (voir tableau 1 et 2 p.19).

Deux enquêtes ont été alternativement menées sur la santé mentale des détenus. La première enquête date de 1997 et portait sur l'accueil des personnes entrant en détention; et la seconde réalisée en 2001 par les psychiatres des SMPR concernait les troubles mentaux des détenus. Les deux enquêtes ont démontré une prévalence de troubles mentaux oscillant entre 30 et 50% au sein de la population pénale. De fait, la moitié de la population pénale serait atteinte de troubles psychiatriques (dont la dépression en majorité); et ¼ serait atteinte de troubles psychotiques153. Quelques années plus tard, en 2004, un rapport du journal Libération dressé

151 J.L.Senon. op. cit, p.33-34 152 Idem, p.63-64

153

par D. Simonnot vient presque confirmer les travaux de 1997 et 2001 sus cités. Selon ce rapport, on retrouverait au sein de la population pénale :

-40% de risques suicidaires chez les hommes -62% de risques suicidaires chez les femmes

-7% de schizophrénie, soit sept fois plus que dans la population générale -40% de troubles dépressifs

-7% de paranoïa et de PHC (Psychose Hallucinatoire Chronique) -33% d'anxiété généralisée

-17% d'agoraphobie -38% de toxicomanie -33% d'alcoolisme

-28% ayant des antécédents de maltraitance -16% ayant des antécédents psychiatriques...

Sur ce, le Dr. B. Falissand psychiatre en prison, précise : « ... ces troubles traduisent la souffrance de la prison. (Car), on y fait en effet, le deuil de ses amours, de son travail, de ses amis et, entre le deuil et la dépression, il n'y a qu'une feuille de papier de cigarette. Et puis le contexte carcéral est évidemment anxiogène »154. Parallèlement, une enquête de C. Prieur révèlera quant à elle que la majorité des détenus souffrent des troubles psychiques; huit hommes incarcérés sur dix présenteraient une pathologie psychiatrique. Et, pour près de 10% d'entre eux il s'agirait d'une schizophrénie; d'où le rapport des troubles suivant :

-troubles anxieux (56%) -troubles dépressifs (47%)

-dépendance aux substances illicites ou alcool (34%) -troubles psychotiques (24%)

-maltraitances physiques, psychologiques ou sexuelles antérieurs (28%) -antécédents psychiatriques (16%)

154D. Simonnot « La prison un monde de détenus muré dans leur folie. Un rapport accablant sur le nombre des

-suivi en structure (centre) de lutte contre la toxicomanie (6%) -suivi en centre d'alcoologie (8%)

-schizophrénie (8%)

-psychose chronique non schizophrénique (8%)

-schizophrénie dysthymique, avec trouble de l'humeur (3%) -Psychose ou pathologies atypiques (type non précisé) (5%)

-suicides (22,4 pour 10 000; taux le plus élevé en Europe depuis 2002)155. Ces données sont rangées dans les tableaux de la page suivante :

Tableau 1. Les troubles psychiatriques au sein de la population pénale Française

Année 2004

Troubles Taux de prévalence

Risques suicidaires chez les hommes 40%

Risques suicidaires chez les femmes 62%

Schizophrénie 7% Troubles dépressifs 40% Paranoïde et PHC* 7% Anxiété généralisée 33% Agoraphobie 17% Toxicomanie 38% Alcoolisme 33% Maltraitance 28% 155

Source : D. Simonnot. Rapport libération. Décembre 2004

*PHC : Psychose Hallucinatoire Chronique

Tableau 2. Evaluation des troubles psychiques chez les détenus de prison (en France)

Année 2004

Troubles Taux de prévalence

Troubles anxieux 56%

Troubles dépressifs 47%

Dépendance aux substances illicites ou alcool 34%

Troubles psychotiques 24%

Maltraitances 28%

Antécédents psychiatriques 16%

Suivi en CLT* 6%

Suivi en centre d’alcoologie 8%

Schizophrénie 8%

Psychose chronique non schizophrénique 8%

Schizophrénie dysthimique 3%

Psychose atypique 5%

Suicide 2.4 pour 10000

Source : C.Prieur. Rapport du journal Le Monde. Décembre 2004 *C.L.T: Centre de Lutte contre la Toxicomanie