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Chapitre 3 : Développement du langage, compétences linguistiques et cognitives des

3. Autres troubles perceptifs

Les caractéristiques technologiques des appareillages, particulièrement des implants cochléaires, limitent les richesses acoustiques des inputs sonores, et par là, la perception de certains indices extra-linguistiques qui pourraient soutenir et/ou affiner la compréhension du

contenu langagier, comme la prosodie ou les voix. L’environnement sonore ne se limite pas au

langage, et ces limites technologiques affectent également le traitement de la musique.

3. 1. Traitement de la prosodie par les enfants sourds porteurs d’implant cochléaire

La prosodie correspond aux faits phonétiques relatifs aux paramètres principaux que sont l’accentuation, l’intonation, le ton. Leurs variations jouent un rôle très important dans la compréhension de la parole en fournissant des renseignements sur le locuteur, comme son état émotionnel, ses intentions, ou encore le degré d’importance d’un mot ou d’une idée. Si l’utilisation de l’implant cochléaire, comparativement aux prothèses auditives, permet de meilleurs niveaux langagiers en réception et en production (en fonction de l’âge d’implantation, de sa durée d’utilisation et du degré d’implication familiale dans la prise en charge des enfants), il n’en est pas de même pour la perception des aspects suprasegmentaux. Most & Peled (2007) ont étudié un groupe de 30 enfants âgés de 8 à 15 ans (10 enfants porteurs d’un implant cochléaire et 20 enfants appareillés avec des prothèses auditives dont 10 enfants sourds sévères et 10 enfants sourds profonds. Tous les enfants ont été éduqués oralement et scolarisés en milieu ordinaire. L’étude comportait 4 tâches: 1) découpage syllabique 2) reconnaissance de la forme de la phrase (interrogative ou affirmative) 3) identification de l’accentuation syllabique dans des paires de même structure phonémique 4) identification de l’accentuation d’un mot dans une phrase. Pour chaque condition, les enfants devaient choisir la bonne étiquette écrite parmi plusieurs choix. Pour les épreuves de reconnaissance de forme de la phrase et d’identification d’accentuation syllabique, les enfants implantés ont présenté des performances inférieures à celles des 2 groupes d’enfants appareillés. Les groupes ne diffèrent pas pour les 2 autres épreuves (découpage syllabique et identification d’accentuation d’un mot). Les mêmes auteurs (Most & Aviner, 2009) ont examiné la reconnaissance des émotions à travers 3 situations expérimentales (visuelle, audio-visuelle et auditive). Des courtes vidéos mettaient en scène des personnes prononçant une même phrase de contenu sémantique neutre associée à des expressions faciales et prosodiques testant 6 émotions (colère, peur dégoût, joie, surprise et tristesse). Les vidéos étaient muettes pour la condition visuelle et sonorisées pour la condition audio-visuelle. La bande sonore (variations de la prosodie) était utilisée pour la condition auditive. L’étude impliquait 30 adolescents sourds répartis selon leur mode d’appareillage et la date d’implantation et un groupe contrôle de 10 participants normo-entendants. Les adolescents déficients auditifs ont montré des scores inférieurs à ceux des contrôles dans toutes les conditions. Le mode d’appareillage ne permet pas de différencier les participants sourds. Par contre leurs

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performances sont hiérarchisées en fonction des modes de présentation (respectivement dans l’ordre, visuelle plus favorable qu’audio-visuelle, elle-même plus favorable qu’auditive).

3. 2. Reconnaissance des voix

Le signal acoustique de la parole, outre le contenu linguistique, fournit des indices concernant le locuteur, comme son sexe, son âge ou encore son état émotionnel. Pour l’auditeur, ces informations sont encodées de façon simultanée mais doivent faire l’objet

d’extraction séparée. Une étude préliminaire menée chez des enfants sourds moyens et

sévères appareillés avec des prothèses démontrait une bonne habileté à identifier le sexe du locuteur (Jerger, Martin, Pearson, & Dihn, 1995). L’aptitude des enfants sourds implantés à

juger la similarité des voix a été évaluée dans l’étude de (Cleary & Pisoni, 2002).

Quarante-quatre enfants âgés de 8 à 9 ans ont été recrutés pour l’étude. Les enfants devaient écouter deux phrases puis indiquer si elles étaient prononcées par le même locuteur. La moitié des essais étaient formés de 2 phrases de même contenu linguistique alors le contenu linguistique des phrases variait dans l’autre moitié des essais. La longueur des phrases était comprise entre 8 et 11 syllabes, pour une durée de 1,61 à 2,16 secondes. Les phrases étaient lues par 3 locutrices dont les voix étaient caractérisées par leur différence de timbre et de hauteur. Les enfants ont démontré de meilleures performances lorsque les phrases à comparer comportaient le même contenu sémantique (68%), comparativement à la condition dans laquelle le contenu sémantique variait (57%) tandis que des enfants normo-entendants de même durée d’audition fonctionnelle (soit un âge chronologique de 5 ans et demi) obtenaient 89% de réussite.

3. 3. Perception de la musique

Les caractéristiques de l’input auditif fourni par les implants cochléaires sont très différentes de celles des stimuli naturels (voir chapitre 1), rendant la perception de la musique plus difficile que chez les sujets de même déficit auditif mais appareillés conventionnellement (Looi, McDermott, & McKay, 2008) et très insatisfaisante chez les adultes sourds qui possédaient déjà une culture musicale (Gfeller et al., 2000a, voir McDermott, 2004 pour revue). En revanche, les enfants sourds prélinguaux ne peuvent évaluer la musique en référence aux standards acoustiques. De plus, ils évoluent souvent dans un environnement dans lequel la musique est très présente et apprécient des activités qui mettent la musique en jeu, comme la simple écoute, la danse, le chant, voire la pratique instrumentale (Gfeller, Witt, Spencer, Stordhal, & Tomblin, 1999). De plus, tout comme chez les entendants, la musique aurait le pouvoir de modifier leur humeur (Hopyan-Misakyan, Gordon, Dennis, & Papsin, 2009). Dans une étude préliminaire, Nakata et collaborateurs (2005) ont évalué les capacités d’enfants âgés de 4 à 9 ans pour reconnaitre les jingles familiers d’émissions télévisées. Chez des enfants implantés précocement, les performances sont correctes si les paroles sont associées aux mélodies, en revanche la version instrumentalisée ne permet pas la reconnaissance (Nakata, Trehub, Kanda, Shibasaki, & Schellenberg, 2005 ; Mitani, Nakata, Trehub, Kanda, Kumagami, Tabasaki et al., 2007). Ces derniers auteurs ont également introduit une tâche de répétition de 25 mots fréquents et ont trouvé une corrélation positive entre la précision de la répétition (liée à la précision de la perception auditive) et l’inclinaison des enfants pour l’écoute de la musique. Chez des enfants plus âgés également implantés (de 8 à 18 ans) la reconnaissance de chansons populaires est correcte pour la version originale, plus difficile pour la version instrumentalisée mais très faible pour les versions piano et rythmique (Vongpaisal, Trehub, Schellenberg, & Papsin, 2004 ; Vongpaisal, Trehub, & Schellenberg, 2006). Les auteurs suggèrent donc que les indices verbaux ne sont pas

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indispensables mais facilitent l’identification des chansons familières. Le succès relatif de reconnaissance des chansons présentées en version instrumentalisée suggère que malgré des difficultés d’identification des timbres, l’utilisation de ces indices acoustiques contribue à la reconnaissance musicale. Nous supposons pour notre part une forte contribution du traitement des informations temporelles.

Une des caractéristiques fondamentales de la musique est son fort pouvoir émotionnel. La co-variation du mode (majeur ou mineur) et du rythme rend compte de l’identification émotionnelle d’une pièce musicale (Dalla Bella, Peretz, Rousseau, & Gosselin, 2001). Compte-tenu des difficultés des enfants sourds à identifier les émotions véhiculées par les

variations prosodiques du langage, qu’en est-il de l’appréciation du contenu émotionnel des

séquences musicales ? Pour tenter de répondre à cette question Hopyan et collaborateurs (Hopyan, Gordon, & Papsin, 2011) ont étudié l’identification de la valence émotionnelle (opposition gaité-tristesse à l’aide de smileys très expressifs) chez des enfants de 7 à 13 ans implantés et utilisateurs de la langue orale. Ils se distinguent du groupe contrôle entendant par des performances inférieures (toutefois au dessus du hasard) et par une asymétrie des patterns de reconnaissance en faveur de la valence gaie, que les auteurs attribuent aux limitations de résolution spectrale des implants mais un traitement efficace des informations temporelles. Cette étude comporte toutefois des limites. Les enfants ne pouvaient choisir qu’entre deux

types d’émotions musicales qui pouvaient se différencier essentiellement par leur tempi (Dalla

Bella et al., 2001). Il serait intéressant de vérifier si la reconnaissance de la valence gaie persiste dans des oppositions émotionnelles manifestées par des patterns plus proches, comme gaité et colère ou gaité et peur.

L’évaluation des habiletés perceptives des sourds réhabilités dans le domaine de la

musique souffre actuellement d’un manque d’outil, certaines tâches du MBEA (Montreal

Battery of Evaluation of Amusia, Peretz, Champod, & Hyde, 2003) n’étant pas adaptées pour les implantés (Cooper, Tobey, & Loisou, 2008). Des simulations de signal tel que délivré par un implant cochléaire menées chez des participants normo-entendants montrent que la reconnaissance de mélodies familières nécessiterait entre 32 et 64 électrodes (Kong, Cruz, Jones, & Feng, 2004).

La surdité impacte les caractéristiques du chant des enfants implantés. L’étendue vocale des enfants sourds de 5 à 12 ans est considérablement plus limitée (76,58 Hz) que celle des enfants entendants (238,83 Hz). Le contour mélodique n’est pas respecté, les changements de hauteur seraient perçus mais pas leur direction, de sorte que leur chant ressemble à celui

d’amusiques (Nakata, Trehub, Mitani, & Kanda, 2006). En contraste, les patterns rythmiques

sont aussi bien produits que chez les enfants entendants (Xu et al., 2009).

En résumé, des difficultés perceptives liées aux caractéristiques techniques des appareillages limitent la perception des éléments extralinguistiques que sont la prosodie et les caractéristiques des voix. Ce phénomène permet peu aux enfants de tirer bénéfice de la redondance des informations linguistiques et extralinguistiques pour affiner leur compréhension. De plus, les enfants sourds présentent des difficultés pour reconnaitre les émotions présentées auditivement mais également selon une modalité audio-visuelle et visuelle. Si les enfants sourds apprécient l’écoute de la musique, la reconnaissance correcte des chansons implique que tous les constituants soient présents (paroles et mélodie). La surdité (et/ou les appareillages) affectent également la reconnaissance des émotions musicales et les enfants sourds obtiennent des performances inférieures à celles des enfants normo-entendants.

De plus, le langage étant impliqué dans le développement de compétences cognitives comme les fonctions exécutives, en particulier la mémoire de travail, les performances des enfants sourds seront affectées par leur niveau langagier. Enfin, les enfants sourds présentent

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des difficultés spécifiques pour traiter les informations séquentielles. La section suivante rend compte de ce champ de recherche.