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Chapitre 5 : Méthodes et programmes d’éducation auditive

1. Les méthodes d’éducation auditive

La littérature française dans le domaine de la prise en charge des déficiences auditives

de l’enfant fait état de deux courants théoriques et pédagogiques : la méthode Borel-Maisonny

d’une part, et la méthode Verbo-tonale d’autre part. Dans la méthode Borel-Maisonny, l’éducation auditive constitue un volet de la prise en charge globale et pluridisciplinaire. La rééducation comporte ainsi des séances en groupe et des séances individuelles d’éducation auditive, langage, articulation, psychomotricité. La méthode verbo-tonale ne conçoit pas l’éducation auditive en tant que phénomène auditif mais dans un acte de parole. Ces deux méthodes ont vu le jour dans les années 1950 et sont toujours utilisées aujourd’hui. Le déroulement temporel de l’une et l’autre approche s’étale sur de nombreuses années (généralement jusqu’à l’adolescence).

1. 1. La méthode Borel-Maisonny

Cette méthode suit une progression rigoureuse mais adaptée au profil clinique de chaque individu. Le premier stade a pour objectif l’émergence et la maîtrise de la réaction d’alerte qui permet à l’enfant de comprendre qu’un évènement vient de se produire dans son environnement. Elle est entraînée avec des jeux auditivo-moteurs, comme danser ou mouvoir son corps lorsque de la musique est diffusée et stopper les mouvements lorsque la musique est arrêtée. Le matériel sonore utilisé est varié : musique, bruits de l’environnement, voix et bruits du corps (toux, éternuements). Lorsque la fonction d’alerte est obtenue et fiable, deux

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opérations cognitives sont ensuite entraînées chez les enfants : la discrimination et l’identification.

Pour l’entraînement de la discrimination, l’enfant est soumis à des situations sonores identiques ou différentes. La première étape a pour objectif l’acquisition du concept « pareil/différent ». Les enfants sont invités à des réponses corporelles adaptées aux stimuli, comme une marche lente ou rapide en fonction du tempo. Lors de la seconde étape, la discrimination acoustique est matérialisée par une représentation de plus en plus symbolisée (ex : flèche ascendante pour une gamme ascendante et flèche descendante pour une gamme descendante).

Dans l’entraînement de l’identification, la tâche est d’apparier un son entendu à son

image, ou encore à le dénommer. L’identification est travaillée d’abord en liste fermée (sans

intrus) puis en liste ouverte (choix multiple). La désignation ou dénomination en liste ouverte s’appuie sur l’existence d’un lexique auditif.

Pour ces 2 opérations de discrimination et d’identification, le matériel sonore utilisé est d’abord holistique et fortement contrasté puis des traits acoustiques particuliers seront abordés comme le timbre, la hauteur, l’intensité, la durée. Dès que les paramètres acoustiques sont correctement et fiablement discriminés et identifiés, les sons langagiers (phonèmes vocaliques puis consonantiques) sont introduits dans l’objectif de soutenir le développement

de la conscience phonologique et/ou la correction de l’articulation. La progression implique

des oppositions vocaliques isolées, au départ très différenciées par leur mode articulatoire et leurs composantes fréquentielles, puis de plus en plus proches. Les consonnes sont introduites ensuite. Les oppositions portent également sur leurs caractéristiques acoustiques et articulatoires (fricatives vs occlusives, voisées vs non voisées etc.….). La progression intervient dans la longueur du matériel à discriminer et/ou identifier (syllabes, mots unisyllabiques, plurisyllabiques) de même que dans la position du phonème dans le mot (position initiale, médiane ou finale). L’étape ultime de l’éducation auditive de la parole s’effectue à l’aide du téléphone qui filtre certains indices spectraux.

Borel-Maisonny a également créé, à l’usage des dyslexiques, des signes très iconiques pour chacun des 36 phonèmes du français. Par exemple, le phonème [a], ouverture de la main, suggère le degré d’aperture de la bouche. Le [z] est représenté par un rapide mouvement de droite à gauche de l’index, rappelant le vol de l’abeille. Ces gestes sont effectués pour soutenir la perception des phonèmes difficiles pour les enfants. Combinés séquentiellement, ils permettent de signaliser l’ordre d’apparition des sons dans des syllabes. L’utilisation des gestes Borel-Maisonny est toutefois inconstante dans la prise en charge des enfants sourds.

Nous observons plusieurs limites théoriques à cette approche. D’une part, la plasticité neuro-cognitive est liée au type de tâches effectuées. D’autre part, la perception auditive repose sur la simultanéité et la séquentialité de plusieurs opérations cognitives. Nous questionnons donc quelle adaptation neuronale une stimulation de deux opérations cognitives (discrimination et identification) de bas niveau de traitement peut produire. Sont-elles

suffisantes pour permettre une généralisation ou un transfert d’apprentissage ? Les sons sont

fragmentés selon leurs paramètres acoustiques qui sont « travaillés » systématiquement. Or, les paramètres acoustiques isolés n’existent pas, ils font nécessairement partie d’un son. Nous interrogeons également sur le type de représentations auditives construites par les enfants à partir de paramètres fragmentés. L’activité corporelle (au cours des phases initiales de la prise en charge) est subordonnée à la perception et à la représentation des caractéristiques acoustiques isolées de l’input sonore que l’enfant acquiert par apprentissage. La motricité est peu utilisée à des fins de production sonore. Dans un deuxième temps, les gestes phonétiques symboliques soutiennent perception et/ou production phonétique.

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1. 2. La Méthode verbo-tonale

La méthode verbo-tonale (Ferard, 2006) a été conçue et élaborée en 1954 pour l’apprentissage des langues étrangères par le Professeur Guberina à Zagreb qui avait constaté chez ses étudiants (entendants) des difficultés, voire l’impossibilité, de discriminer des phonèmes appartenant aux langues qu’ils apprenaient. Elle a été adaptée à l’enfant sourd dans les années 60. Cette méthode se veut « naturelle » c’est-à-dire que son fondement principal est de permettre à l’enfant sourd de traverser les mêmes stades d’acquisition du langage que

l’enfant entendant, ce qui est normalement entravé par la surdité : imprégnation de sons, de

mots que l’enfant va reproduire par imitation. La signification de ces productions dépend de la

réponse de l’entourage.

L’objectif principal de la méthode verbo-tonale est de développer des capacités fonctionnelles des zones non atteintes pour permettre la réception et la production de la parole. Les sujets sourds profonds présentent généralement des possibilités perceptives (même réduites) dans les zones fréquentielles basses appartenant cependant au champ dynamique de la perception de la parole, susceptibles de fournir des renseignements rythmiques et intonatifs. L’ensemble du système perceptif est sollicité car tous les organes sensoriels interviennent dans la perception de la parole : l’organe vestibulaire (qui participe au traitement fréquentiel des sons et renseigne sur la position du corps dans l’espace) et la voie somatosensorielle (perception vibrotactile de paramètres acoustiques comme hauteur de la fréquence fondamentale, variations de durée et d’intensité. L’enfant sourd est donc stimulé de manière multisensorielle.

Afin d’identifier ces zones de perception non atteintes, l’audiométrie clinique est complétée par une audiométrie verbo-tonale dont l’objectif est d’évaluer le champ optimal du sujet (zone de champ auditif dans laquelle la sensibilité à la parole est la plus fine). L’audiométrie verbo-tonale découle des travaux de Guberina qui a mis en évidence que les phonèmes vocaliques et consonantiques sont plus facilement identifiés s’ils sont présentés dans des bandes d’octaves spécifiques (les optimales). Les réponses des sujets à des séries de logatomes filtrés sur la bande passante de l’octave qui leur est spécifique (verbo) permettent d’obtenir la sensibilité à la parole en fonction des fréquences (tonal). L’évaluation couvre les fréquences de 269 à 11313 Hz.

La supériorité de scores en audiométrie verbo-tonale (vs audiométrie tonale classique) permet de déterminer dans quelle zone fréquentielle la perception de la parole est la meilleure (optimale).

Une fois cette évaluation effectuée, l’éducation auditive individuelle chez les enfants porteurs de prothèses auditives est réalisée à l’aide d’un matériel spécifique, le SUVAG,

amplificateur qui permet d’amplifier sélectivement à l’aide de filtres passe-bas et passe-haut,

les bandes fréquentielles du champ optimal de chaque individu afin de l’élargir progressivement. La partie électronique de cet appareil est capable de traiter les signaux infrasonores (à partir de 1Hz). La bande passante des micros et casques est bien sûr adaptée à cette caractéristique. L’utilisation du vibrateur est essentielle au début de la prise en charge (vibrateur tactile ou plancher vibrant) permettant par la conduction osseuse la perception de fréquences non amplifiées. Le SUVAG n’est pas utilisé chez les enfants implantés en raison des réglages spécifiques de chaque électrode.

La méthode verbo-tonale met en œuvre la participation corporelle comme médiateur de l’apprentissage de la parole par des activités particulières : la rythmique phonétique décomposée en stimulations rythmiques corporelles et stimulations musicales. Les fondements des stimulations de rythmiques corporelles reposent sur la synchronisation entre

la perception auditive et l’action: l’enfant est amené à écouter les sons qu’il produit par tous

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est utilisé pour parvenir à une bonne régulation tonique indispensable à la production de la parole, la recherche de la maîtrise tonique se faisant par des activités de polysensorialité

sonore. L’affectivité en tant qu’élément fondamental de la communication est également

favorisée. Les traits caractéristiques des sons ont été analysés selon les paramètres inhérents à une gestuelle optimale pour la prononciation des phonèmes (macromotricité), comme un mouvement tendu et rapide pour le phonème [p], tandis que le mouvement correspondant au [b] sera beaucoup plus relâché, plus long et allant vers le bas, favorisant la micromotricité (articulation). La rythmique phonétique permet également la perception de la parole de façon polysensorielle par la voie kinesthésique (proprioception), par la voie visuelle (lecture corporelle), par la voie tactile (plancher vibrant) et par la voie auditive. La reconnaissance auditive est travaillée sans lecture labiale. Les composantes rythmiques et intonatives du langage sont stimulées par la rythmique musicale. Des comptines sont créées en respectant une progression phonétique adaptée à l’audiométrie optimale de l’enfant. Les rythmes des comptines correspondent à la durée des phonèmes qui la composent (rapide pour les consonnes brèves). Le mouvement est subordonné au rythme musical, accompagne sa durée et l’intonation de la composition et s’affinent au fil du temps. Les comptines, parlées ou chantées sont destinées à affiner la production de la parole.

Le point fort de cette méthode réside dans le fait que le couplage perceptivo-moteur est central dès le début de la prise en charge. C’est par son action sur l’environnement que l’enfant va percevoir les sons. Par la rythmique phonétique, l’activité corporelle perme

d’incarner les caractéristiques de la production phonétique pour construire des représentations

phonétiques polysensorielles. Cependant, l’objectif de production de la parole restreint l’utilisation de l’audition et permet peu le développement d’un lexique auditif écologique nécessaire et adapté à l’environnement. Cette méthode est très coûteuse en temps, de 2 à 3 heures quotidienne.