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Nier que des interactions comportementales, affectives ou fantasmatiques dans lesquelles l’enfant prend une part active puissent être pathogènes ne paraît guère plus scientifique que nier une éventuelle organicité. Par ailleurs, reconnaître une participation relationnelle dans la genèse ou la pérennisation d’un trouble n’implique nullement une culpabilisation des parents qui n’ont souvent pas besoin des cliniciens pour se sentir coupables. (Chagnon, 2009, p.38)

Berger insiste sur l’importance de la trace dans la dysorthographie. Faisant le parallèle avec l’approche neuropsychologique qui pointe la difficulté pour l’individu présentant ce trouble à pouvoir garder une trace mnésique des mots appris, l’approche psychodynamique s’intéresse à la difficulté de ces patients à se dégager de la surface des signes. « Ces enfants ont de la difficulté à se dégager de ce qu’on peut appeler la surface des signes, de leur littéralité. “La lettre exhibe sa propre matérialité” » (Berger, 2006, p.210). Le patient reste, en permanence, occupé à l’observation voire au contrôle de l’empreinte de la lettre ou du mot sur le papier. Il ne parvient pas à s’en dégager pour entrer dans la profondeur symbolique de ce qui est exprimé. Cet attachement au perçu renverrait à une difficulté rencontrée au cours des interactions précoces pendant lesquelles les repères essentiels n’auraient pu se mettre en place entraînant une confusion entre certaines grandes catégories « existentielles » qui représentent les repères essentiels de la vie. Il existerait alors chez le patient « un mélange sujet-objet, verbe-sujet, masculin-féminin, singulier-pluriel » (Ibid., p.215). L’inscription d’une trace mnésique serait rendue également difficile par le besoin chez ces patients de lutter contre l’oubli. « On serait alors dans le registre du perceptif : il faut rester en contact (tactile, visuel, auditif, etc.) avec l’autre, sinon on risque de l’oublier ou d’être oublié (Ibid., p.218). Alors que le fonctionnement représentatif permet la symbolisation de l’absence de différentes manières, dans le fonctionnement perceptif, l’objet doit être gardé à portée de main, sous le regard, tant la peur de le perdre est importante.

Jumel (2006) propose une étude sur une population d’enfants dyslexiques, âgés de dix à douze ans, à partir du TAT, chez lesquels il va tenter de mettre en évidence le sens

et la valeur des troubles émotionnels qui accompagnent la dyslexie. Il va s’interroger sur le lien entre le symptôme dyslexie/dysorthographie et une attitude relationnelle de dépendance fréquemment observée dans cette population.

Des sujets en difficulté dans le maniement de l’écrit, dyslexiques/dysorthographiques, sont le plus souvent décrits par leurs enseignants, comme des enfants recherchant le contact, la proximité spatiale, dépendants du regard, mais relativement efficients quand l’enseignant répond à leur recherche de proximité. (Jumel, 2006, p.341)

Cette dépendance interroge sur la construction psychique de la permanence de l’objet chez ces enfants. Dans leur rapport aux apprentissages, ces enfants semblent se comporter « comme si aucune empreinte durable n’était possible » (Ibid.). Il va constater que ces enfants vont prendre majoritairement appui sur la réalité visuelle du stimulus. « La problématique de séparation peut être mise en évidence dans les tests projectifs par une attitude prévalente de recherche d’appui sur une réalité visuelle consistante, par un impossible détachement de cette réalité visuelle » (Ibid.). Ils ne prennent en compte que très partiellement la notion de temps pour l’élaboration de leurs récits. L’effacement du temps conduit à des mises en scène pauvres dans lesquelles les personnages semblent isolés les uns des autres, les relations ne semblant pouvoir être évoquées que par accrochage par le regard. « Une absence de mise en relation des personnages peut traduire la défaillance dans l’appui sur la reconnaissance de la différence des sexes et des générations » (Ibid., p.342). Il en conclut à la présence d’une problématique de séparation qui viendrait perturber le lien au langage écrit. « L’organisation mentale actuelle de l’enfant dyslexique/dysorthographique accuse de façon outrancière les traits de la petite enfance : il apparaît dépendant de la présence de l’adulte, de sa proximité, dont il sait tirer le meilleur profit dans l’immédiat sans pouvoir conserver ce profit dans le temps » (Ibid., p.344).

Une étude, menée, à l’aide du Rorschach, sur un échantillon d’enfants présentant une dyslexie/dysorthographie, par Stavrou (2002) relève une difficulté d’accès à leur monde interne et notamment une participation limitée des affects dans la représentation.

Le caractère syncrétique du contenu dans la majorité des protocoles ne signe pour ces enfants une forte capacité d’élaboration, mais apparaît plutôt comme une tentative de dégagement. « L’appréhension de la tache est faite d’un coup et avec un temps de latence très court, comme si donner une réponse G primaire procurait un soulagement au sujet » (Stavrou, 2002, p.117). Les différentes réponses indiquent souvent chez l’enfant dysorthographique « une incapacité à désagréger les ensembles, perçus d’une façon sommaire et schématique » (Ibid.). L’étude du type de résonnance intime, qui précise le caractère et le mode de perception permet de mettre en évidence dans son échantillon un nombre important de TRI coarté. L’absence de kinesthésies ou de réponses couleur laisse envisager un fort attachement au perceptif qui ne laisse la place ni à une représentation très interprétative ni à une coloration affective. « Cette coartation pourrait exprimer l’expression d’une pauvreté et d’une inaptitude à manier les symboles. Cette attitude est plus représentée chez les enfants d’âge 8-9 ans, enfants qui se trouvent au début de l’apprentissage des normes orthographiques » (Ibid., p.120). Cette faible différentiation perceptive rappelle le fonctionnement de l’enfant plus jeune par une gestion affective insuffisamment élaborée. « Rarement, nous avons observé une attitude de recherche appliquée de manière méthodique face au matériel proposé. La plupart des Dd sont infantiles exprimant, peut-être, une régression affective » (Ibid.). Ce résultat peut être mis en lien avec un pourcentage de réponses animal élevé (A%) qui pourrait venir signer une certaine « stéréotypie de la pensée, relevant ainsi une pensée pauvre et infantile […], d’un grand conformisme social pouvant aller à la limitation de la production imaginaire » (Ibid., p.121). Il dégage ainsi l’hypothèse majeure d’un contrôle trop rigide de la vie émotionnelle, une mise à distance des aspects affectifs de la personnalité par un attachement au perçu.

Le F% élevé peut être interprété comme un étouffement de la vie affective et d’un manque de contact spontané avec le monde ambiant. Les enfants dysorthographiques s’attachent au caractère objectif des planches en cherchant à contrôler leur participation par une sorte d’inhibition. (Ibid., p.118)

Mais cette perception ne semble pas pouvoir être organisée, élaborée, pour prendre en compte le vécu affectif. Le nombre de réponses F+% inférieur aux normes vient

témoigner du fait que « les sujets dysorthographiques manquent des capacités à organiser et à planifier leur perception » (Ibid.).

Au terme de ce premier chapitre quelle avancée pour la compréhension de notre problématique ?

- L’approche neuropsychologique nous a permis de mettre en évidence que le trouble dysorthographique ne se lie pas de manière systématique à un trouble de la lecture. Il ne peut être entendu dans bien des cas comme un seul trouble spécifique d’une fonction cognitive. Le rôle joué par l’émotion dans les processus cognitifs engage à penser qu’elle peut aussi être à la source de ce trouble.

- L’approche psychanalytique en partant du principe qu’écrire engage le corps et que l’écriture est toujours une trace laissée par le corps nous a conduit vers l’idée qu’écrire exige un fonctionnement psychique qui puisse avoir une gestion minimale de l’angoisse de perte et plus généralement de la vie affective.

L’étude menée dans ce premier chapitre nous engage donc à tenter de comprendre ce qu’est l’affect, son origine, son rôle dans le fonctionnement psychique.

L’affect est l’un des concepts les plus complexes de la psychanalyse, en cela qu’il engage la pulsion, son rapport au corps et à l’objet, in fine la psychanalyse en son ensemble (Carton, 2011, p.24)

I.1. L’affect dans la théorie freudienne