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J’ai évoqué plus haut que dans le CMPP dans lequel je travaille, la première consultation de l’enfant et de sa famille a lieu avec le médecin psychiatre. Le médecin peut à l’issue de ce premier entretien solliciter un ou plusieurs des professionnels du centre pour un bilan avant qu’une proposition de soin ne soit pensée en réunion de l’équipe pluridisciplinaire. Dans le cas de Jeanne, les parents ont donné lors de cette première consultation un compte rendu de suivi rédigé par l’orthophoniste qui a adressé la famille au centre. Le médecin a donc proposé un bilan psychopédagogique et un bilan psychologique pour construire un projet de soin pour cette jeune patiente.

Le bilan de l’orthophoniste

Jeanne consulte donc sur les conseils de son orthophoniste pour un trouble des apprentissages dans le domaine de la langue qui ne cède pas malgré plusieurs années de

rééducation. L’orthophoniste joint un compte rendu du suivi qui vient soutenir sa demande. Ce suivi a débuté en grande section de maternelle pour des difficultés de graphisme et se poursuit depuis cette date sans interruption. Jeanne ayant redoublé le cours élémentaire première année, il dure donc depuis plus de quatre ans. Les parents remettent ce document au psychiatre du centre, lors de la première consultation, avec une certaine solennité qui semble venir témoigner de leur inquiétude devant le trouble que présente leur fille, mais également de la confiance à l’égard de la rééducatrice dont ils suivent les conseils.

Dans ce document, l’orthophoniste évoque d’abord le langage oral de Jeanne. « L’examen du langage oral fait apparaitre une homogénéité des performances entre les versants expression et réception ». Elle insiste sur le fait que ces performances sont en lien avec ce qui est attendu chez un enfant de cet âge. Jeanne ne présente pas au niveau de la parole de trouble articulatoire, ne fait pas d’erreurs d’inversion ou de confusion sémantique. Elle possède un stock lexical correct et entre dans les normes du langage (structuration correcte des phrases, utilisation de la conjugaison, respect du genre et du nombre). La compréhension est de qualité. Ses réponses sont en cohérence avec ce qui est demandé. Elle précise également qu’elle n’a pas présenté de retard dans l’acquisition du langage oral, ce qui ne sera que très partiellement confirmé par les parents au cours de l’élaboration de l’anamnèse.

« Les difficultés dans le langage écrit sont en revanche importantes ». La lecture courante n’a été acquise qu’après deux années d’apprentissage. Jeanne a longtemps privilégié l’assemblage de graphèmes et faisait insuffisamment appel au mode d’adressage basé sur la mémorisation de mots dans leur globalité. Elle devait, en quelque sorte, redécouvrir à chacune de ses lectures le mot. Mais l’orthophoniste souligne que contrairement à ce qui peut se produire face à de telles difficultés pour lire, la compréhension du message lu n’a jamais été massivement altérée chez Jeanne. La restitution d’un texte lu a toujours été possible, et ce même au début de l’apprentissage lorsque la lecture était particulièrement laborieuse. Cette restitution a toujours d’ailleurs témoigné d’une compréhension particulièrement fine de ce qu’elle lisait.

Jeanne reste en grande difficulté pour la transcription, pour écrire. Elle montre une grande méconnaissance dans les correspondances graphème/phonème. Elle ne possède pas un stock suffisant d’orthographe d’usage, ce qui peut être rapproché de ce qui a pu être observé en lecture concernant la difficulté d’adressage. Le langage écrit est donc « très peu structuré » et elle est en très grande difficulté pour s’en approprier le code.

L’orthophoniste insiste sur le peu d’impact de la rééducation sur les difficultés de Jeanne. Les notions acquises ne le restent pas dans le temps. Elles sont à reconstruire en permanence comme si « rien ne s’imprimait en elle ». Jeanne montre pourtant de la bonne volonté, participante et toujours d’accord pour le travail qui lui est proposé. Elle vient avec beaucoup de régularité à ses séances et est agréable avec la professionnelle. Elle ne semble jamais se décourager, peut-être parce qu’elle n’est pas « réellement lucide » de l’écart de ses résultats par rapport à la norme.

L’orthophoniste s’interroge donc sur les raisons qui peuvent venir empêcher cette « enfant intelligente » à entrer dans le langage écrit et à dépasser une « dysorthographie résistante ». Elle demande de l’aide au centre pour y « voir plus clair » et tenter d’orienter différemment son travail avec sa jeune patiente.

La présentation qui est faite par l’orthophoniste du trouble orthographique de Jeanne me semble rejoindre de manière assez conforme ce qui peut être relevé dans la description faite dans l’approche neuropsychologique du trouble. Le suivi a débuté depuis suffisamment de temps pour nous permettre de constater que ce trouble orthographique semble se loger dans un trouble plus global dans l’accès au langage écrit avec une acquisition de la lecture qui a été laborieuse.

Mais, il semble que les « outils techniques » habituellement utilisés par les rééducateurs que sont les orthophonistes ne permettent pas la réduction du trouble qui montre une forte résistance. Dans la manière dont la demande est formulée, nous pouvons même penser que l’orthophoniste a l’impression qu’il s’agit d’un « blocage psychologique ».