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Les troubles affectant le langage écrit sont, parmi les troubles des apprentissages, ceux qui oblitèrent le plus fortement le succès scolaire. Pouvoir écrire en respectant les normes d’écriture, qu’il s’agisse de norme graphique, orthographique ou grammaticale, représente un atout non négligeable pour l’enfant, élève d’une société dominée par l’écrit. L’enfant ne débute l’étude de l’écriture de manière vraiment systématique qu’à l’école élémentaire, dès le Cours préparatoire. Mais, avant, il a beaucoup dessiné pendant ses années de scolarisation à l’école maternelle. Il est ainsi entré dans la possibilité de représenter un objet sur une feuille de papier et notamment

de représenter l’objet absent, car, comme le souligne Misès, le besoin de représenter l’objet est d’abord motivé par l’absence de celui-ci.

C’est dans l’absence de l’objet que se forme la représentation de celui-ci, à défaut, il ne peut être pensé sur le mode d’une présence imaginaire ou métaphorique, si ce n’est en secteur à travers des clivages durables et au prix d’amputations indéniables. (Misès, 1990, p.23)

Son développement sensori-moteur permet que lorsqu’il entre à l’école maternelle, l’enfant ait commencé, depuis quelques mois à parler et à déposer des traces qui, peu à peu, vont devenir dessin. Pendant les trois années qu’il passe dans cette école, il apprend à dessiner des formes puis des lettres. Il peut alors commencer à s’approprier le langage écrit qui lui servira de base de communication avec ses apprentissages scolaires ultérieurs. Mais, l’intention de déposer une trace ne peut, seulement, s’expliquer par l’aboutissement du développement neurocognitif de l’être humain. Pour dessiner, l’enfant ne doit pas seulement en avoir les capacités, il doit également en avoir le désir et ce désir semble porté par le besoin affectif de représentation pour accepter l’absence.

Un désinvestissement du dessin risque de se répéter dans l’écriture. D’autant qu’en entrant dans l’écriture, il est proposé à l’enfant de franchir une nouvelle étape dans le processus de séparation et d’autonomisation. En effet, l’écriture non seulement représente l’absence, mais elle s’adresse également toujours à l’absent. L’absence peut être douloureuse, mais elle doit avoir été acceptée à minima et donc gérée affectivement. L’on retrouve des signes d’opposition inconsciente à l’entrée dans la maîtrise de la langue écrite tant en ce qui concerne le graphisme que l’orthographe. Dans un des domaines et souvent dans les deux, l’enfant n’entre pas suffisamment dans les normes qui lient les éléments entre eux dans un sens progressif. Dans le domaine du graphisme, il va, par exemple, peiner à entrer dans le sens conventionnel de rotation des lettres qui facilite la fluidité de l’écriture cursive. Sa manière de former les lettres l’oblige à un retour permanent sur ce qu’il a tracé. Dans le domaine de l’orthographe, il persiste à écrire en restant fortement attaché à un mode d’assemblage de la langue,

reconstruisant chaque fois qu’il doit l’écrire le mot, et évite le mode d’adressage qui fait appel à ce qu’il a pu mémoriser.

Parmi tous les obstacles rencontrés par un enfant dans son parcours d’élève, la non- maîtrise de la langue écrite est, certainement, ce qui compromet le plus fortement sa réussite. Le temps passé par l’enfant à l’école maternelle est un temps durant lequel il se prépare, cognitivement et affectivement, à cet apprentissage de la lecture et de l’écriture. Pour l’écriture, cette « première scolarisation » lui permet, peu à peu, d’apprivoiser l’inquiétude liée à l’acte de déposer une trace écrite. Ainsi, du dessin, l’enfant passe progressivement à l’écriture. Mais, parfois, des préoccupations narcissiques trop vives rendent ce dépôt synonyme d’une perte inacceptable et viennent troubler ce processus. Se lancer dans la représentation implique d’avoir pu suffisamment faire face aux affects déplaisants liés à la perte, d’avoir pu les gérer. Un chemin mène du dessin à l’écriture non en termes de comportement adéquat ou de productions attendues, mais dans la liaison des affects aux représentations. Cette étape du dessin ne doit donc pas être réduite ou trop tôt abandonnée pour une étude plus systématique des signes dessinés qui représentent les lettres. À trop rapidement vouloir faire entrer l’enfant dans l’écrit, l’on prend le risque de compromettre le but ultime de l’écriture : se témoigner à soi-même d’une possibilité d’élaboration des affects liés à l’absence.

En 2009 s’est tenue une journée organisée par l’Association clinique des Apprentissages intitulée « Regards cliniques sur les troubles dits “instrumentaux” ». Du Pasquier y a présenté une communication dans laquelle elle s’est centrée sur les difficultés d’écriture de l’enfant. Dans la présentation de la communication de du Pasquier, Emmanuelli souligne que « les troubles qui se manifestent dans ce domaine sont à entendre, selon elle, comme témoignage de très anciennes difficultés de séparation, et s’inscrivent bien souvent dans le registre des troubles limites de l’enfance » (Emmanuelli, 2009, p.35). du Pasquier reste dans le sillage de l’élaboration théorique proposée par Misès et va argumenter finement les raisons de ce lien entre trouble graphique et troubles limites. Le premier argument en faveur d’un registre limite

est en lien avec la nature même de la trace graphique. Historiquement, la création de la lettre est le produit de transformations successives dans lesquelles le niveau de symbolisation s’est élevé. Ainsi, un passage s’est opéré de l’objet au signe, du concret à l’abstrait, de l’image à la représentation, de la représentation des choses à la représentation de sons, et finalement à la séparation de l’écrit de l’oral. « Ces transformations d’un système en un autre chaque fois plus organisé et plus complexe et nécessitant donc des pertes et des détachements, ont sollicité des opérations mentales étayées, au plan psychique, par des mécanismes de refoulement » (du Pasquier, 2009, p.46).

du Pasquier s’intéresse alors à la manière dont l’enfant acquiert la lettre, et ce tant du côté de la symbolisation que de l’ancrage corporel, par l’intermédiaire du geste.

Apprendre à écrire c’est acquérir l’instrument écriture. Mais l’apprentissage de l’écriture se différencie des autres apprentissages qui visent l’acquisition d’un savoir intellectuel. L’écriture est une trace et à ce titre elle exige une participation motrice et corporelle, laquelle doit s’accorder avec la dimension symbolique du langage. (du Pasquier, 2009, p.44)

Cette implication corporelle spécifique à l’acte d’écriture est peut-être ce qui la différencie fondamentalement de la lecture. « Si la bouche avale des lettres, la main se doit de les restituer. Toute dérogation à cette règle dite orthographique est faute » (Ibid., p.46). Le rapport serein que l’enfant entretient avec son corps, la sécurité corporelle qu’un holding suffisant a pu installer sont des atouts certains pour une fluidité dans l’écriture. Mais, la capacité d’écriture peut souffrir d’une difficulté dans la gestion de l’analité et notamment dans la transaction avec l’angoisse de perte qui doit y être particulièrement faite par l’enfant. L’écriture exige l’engagement d’un corps libidinalisé, porteur de sens, construit psychiquement par l’enfant comme à l’intérieur d’une enveloppe qui le sépare de ce qui n’est pas moi. « Écrire, c’est parler avec sa main » (Ibid.). Si pour une raison quelconque cet engagement corporel se trouve entravé, l’écriture risque de ne pas parler, c'est-à-dire que les formes que l’enfant va tracer ne seront pas des signes symboliques. « Le travail de transformation, visible dans

la trace, est soutenu par une transformation métaphoriquement équivalente du geste. C’est par le geste que la transformation de la trace se produit » (Ibid., p.47). C’est la conscience de l’impact de son corps sur l’environnement qui permet que la trace que fait l’enfant soit une représentation et non pas l’expression d’un mouvement pulsionnel, une excitation, un plaisir sensori-moteur seulement. « En écrivant, le sujet s’engage dans le verbe avec tout son corps, avec tout ce que son corps porte de son histoire originaire inconsciente inscrite dans son tonus même. C’est pour cette raison que toute écriture est signature » (Ibid., p.49). Ainsi, toute trace est « une projection corporelle et à ce titre elle revêt une dimension identitaire. Il n’existe pas deux tracés produits par deux mains différentes qui soient identiques » (Ibid., p.46). Mais l’acte d’écriture exige aussi au-delà de la gestion de l’angoisse de perte la gestion de l’angoisse d’abandon. « L’acte d’écriture absente l’autre de sa présence immédiate puisqu’il exclut l’oral. L’écriture s’inscrit dans le silence » (Ibid., p.47).

Au travers l’étude des entretiens et des épreuves projectives proposés à une adolescente de quatorze ans, présentant une dyspraxie, Chagnon (2009) va, également, mettre en évidence une organisation état-limite et insister sur cette angoisse de l’absence. « L’enfant est touché dans ses capacités de symbolisation et de représentation, il échoue à penser l’objet absent et dans le processus d’intégration psyché-soma. Pourtant des capacités adaptatives peuvent se développer en secteur à travers un fonctionnement en faux self » (Chagnon, 2009, p.33). Le fonctionnement psychique de cette adolescente se caractérise par la présence de mécanismes de défense relevants de registres différents, tantôt élaborés, tantôt archaïques où dominent clivage, projection et idéalisation. Il évoque une capacité créative limitée notamment au TAT, nécessitant l’étayage de l’examinateur, par le biais de la relance. « L’ensemble évoque une certaine discontinuité sinon irrégularité du fonctionnement mental, propre aux organisations dites de caractère décrites par les psychomaticiens et qu’on peut considérer comme un aménagement des états-limites » (Ibid., p.35). Il pointe la possibilité d’expression d’affects tant agréables que désagréables, mais sans nuance.