Au total, 33 psychiatres ont été contactés par mail. Quatre praticiens ont refusé de participer, deux faute de disponibilités, un car il estimait être trop impliqué dans le travail de recherche mené par la Fédération Française de Psychiatrie concernant la radicalisation, et un car il n’avait aucune expérience clinique en matière de radicalisation (et bien qu’il lui ait été précisé que cela n’était pas nécessaire). Onze psychiatres n’ont jamais répondu au mail de contact. Parmi les 21 praticiens restants, deux ont initialement fait part de leur accord pour participer mais ont cessé de répondre avant qu’un rendez-vous ait pu être programmé, et deux autres ont demandé des informations supplémentaires (sur la durée de l’entretien et la possibilité d’accéder à la grille d’entretien avant la rencontre) sans donner suite. Un praticien n’a donné ni réponse claire ni explication, mais nous a suggéré de contacter l’un de ses collègues.
Un rendez-vous a ainsi été prévu avec 13 praticiens. L’un d’entre eux a malheureusement dû être annulé en raison d’un imprévu. Au total, 12 entretiens ont donc été réalisés en face-à-face entre janvier et mars 2019, dans plusieurs villes de France. Nous ne présentons toutefois ici que des résultats intermédiaires, portant sur 8 de ces douze entretiens. Les huit entretiens analysés pour ce travail ont été sélectionnés grâce à un tirage au sort effectué par l’investigatrice principale.
La durée moyenne d’entretien était de 58.6 minutes [24 – 97]. Notre échantillon comptait 5 femmes et trois hommes. Sur ces huit psychiatres, cinq avaient déjà eu à prendre en charge des individus dits « radicalisés ». Cette expérience clinique était toutefois très variable en termes de nombre de patients pris en charge (moins de cinq à plusieurs dizaines). Enfin, sur les huit praticiens interrogés, quatre avaient d’ores et déjà participé à un projet de recherche concernant la radicalisation et/ou les individus dits « radicalisés », un en tant que participant et trois en qualité d’investigatrice.
Le tableau 3 présente les caractéristiques démographiques des psychiatres interrogés, ainsi que la durée de l’entretien réalisé. Le tableau 4 résume les résultats de l’analyse qualitative menée sur les entretiens semi-directifs réalisés.
74
Tableau 3 : Caractéristiques démographiques des participants et durée des entretiens réalisés
N° Age
(ans) Sexe
Durée de
l’entretien Mode(s) d’exercice
Nombre d’années d’exercice Exercice hospitalo-universitaire Surspécialité(s) Expérience dans le domaine de l’expertise psychiatrique pénale Expérience dans l’évaluation et/ou la prise d’individus dits « radicalisés » Participation antérieure à des projets de recherche concernant la radicalisation et/ou les individus dits « radicalisés »
1 56 F 1h30
Mixte : hospitalier (civil), CMP,
médico-social et libéral
30 Non Pédopsychiatrie Non Non Non
2 38 F 1h37 Hospitalier (militaire) 9 Non Psychiatrie adulte
Psychotraumatologie Non Non Non
3 53 H 1h16 Milieu carcéral 15 Non Pédopsychiatrie
Psychiatrie carcérale Oui Oui
Oui (sujet inclus)
5 68 H 0h40 Hospitalier (civil) 39 Non Psychiatrie adulte Oui Oui Oui (investigatrice)
6 47 F 0h41 Hospitalier (civil) 20 Oui Gérontopsychiatrie Non Non Non
7 57 F 0h57 Hospitalier (civil) 27 Oui Pédopsychiatrie
Psychotraumatologie Oui Oui Non
9 48 H 0h24 Hospitalier (civil) 18 Oui Pédopsychiatrie Oui Oui Oui (investigatrice)
10 39 F 0h44 Hospitalier (civil) 10 Oui
Pédopsychiatrie Psychiatrie transculturelle Psychotraumatologie
75
Tableau 4 : Résultats de l’analyse qualitative menée sur les entretien semi-directifs réalisés Représentations de la radicalisation La rencontre du patient dit « radicalisé » Le psychiatre dans le réseau
institutionnel
Le psychiatre au sein de la société
Une notion assez floue
Une définition complexe
Des liens variables entre radicalisation et religion
Existence éventuelle de profils et/ou de parcours types
La radicalisation comme construit clinique extérieur à la nosographie psychiatrique La radicalisation comme symptôme
Réponse à une problématique d’ordre psychopathologique
Désaffiliation et recherche d’un ailleurs fantasmatique
Processus révélateur d’un besoin psychique lié à la nature-même de l’être humain
Une situation d’emprise Une transgression
Crime
Rupture avec la société dans laquelle l’individu évolue
« Modèle d’inconduite »
Une étiquette stigmatisante
Croyances erronées autour de la radicalisation
Une situation somme toute assez banale
Accueillir le patient radicalisé comme tout autre patient Le sujet radicalisé comme sujet en souffrance
Utiliser son savoir pour procéder à une évaluation psychiatrique Le langage comme outil de travail
Risque lié à la banalisation
Permettre au patient de s’approprier la prise en charge qui lui est proposée
Nécessité d’une demande de soins de la part du patient Permettre l’élaboration d’une demande de soins propre de la
part du patient
Importance de la présence de la famille La barrière du silence
Soins sous contrainte
Entreprendre un travail psychothérapeutique auprès de l’individu dit « radicalisé »
Les doutes sur la possibilité de mettre en œuvre un travail psychothérapeutique efficace
Permettre une réaffiliation du sujet et obtenir un renoncement à l’action violente
Une prise en charge pluridisciplinaire spécialisée dispensée dans des structures de soins classiques par des professionnels disposant d’un savoir spécifique
La temporalité : agir dans l’urgence
Une prise en charge globale, centrée sur l’individu en tant que sujet
Assurer la diffusion du savoir et des informations sur la radicalisation
Des relations complexes entre le psychiatre et l’institution judiciaire
Distinguer la prise en charge médicale de la procédure judiciaire
Le psychiatre : un professionnel soumis à une loi qu’il connaît mal
Le risque d’instrumentalisation du psychiatre
Ne pas perdre de vue le patient
L’exercice professionnel du psychiatre : un cadre défini par l’institution de soins
Travail en réseau et pluridisciplinarité
Limites liées à l’organisation des soins
De la nécessité de dissocier la prise en charge des individus dits « radicalisés » de celle des victimes d’actes terroristes
Psychiatres militaires : entre engagement au service de la sécurité nationale et loyauté envers les camarades blessés
Le psychiatre en tant que personne
Affects Mécanismes de défense Représentations stigmatisantes Croyances religieuses Convictions politiques Désir du psychiatre Limites personnelles
Dépasser l’émotion : le travail d’élaboration du psychiatre
Motivations de la décision médicale : l’émotion au premier plan
Un travail de supervision nécessaire… pour les équipes de soin
La répartition des responsabilités
Responsabilité du psychiatre : protéger le patient et la sécurité nationale
Responsabilité de l’individu dit « radicalisé »
Responsabilité de la famille de l’individu dit « radicalisé » Responsabilité de l’institution
scolaire
76