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Rôle des psychiatres

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Accueillir l’individu en souffrance

L’un des principaux rôles confiés aux psychiatres, comme l’évoquaient plusieurs des intervenants dont nous avons analysé le discours, consisterait à accueillir l’individu en souffrance. Or, dans l’ensemble des cas cliniques portant sur des individus dits « radicalisés » que décrivaient ces intervenants, le sujet dit « radicalisé » présentait une souffrance psychique importante qui, même si elle n’était pas toujours accessible d’emblée, finissait néanmoins par se dévoiler au fur et à mesure de la prise en charge psychothérapeutique.

Savoir

La question du savoir des psychiatres apparaissait particulièrement importante puisque, sous une forme ou sous une autre, l’ensemble des 13 intervenants dont nous avons analysé le discours l’ont évoquée.

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Utiliser leur savoir clinique psychiatrique

En premier lieu, les orateurs de notre panel évoquaient le savoir clinique psychiatrique des médecins psychiatres. Selon eux, les psychiatres peuvent utiliser ce savoir, dans le cadre de la prise en charge médicale des individus dits « radicalisés », pour éliminer un trouble psychiatrique constitué. Dans cette optique, la question de la frontière entre croyance et délire semblait particulièrement importante, et le psychiatre était présenté comme le mieux armé pour tenter de la dénouer en identifiant, dans le discours de l’individu dit « radicalisé », ce qui relève de ses croyances religieuses ou d’un processus délirant constitué. Certains des intervenants ont également souligné la fréquence des antécédents traumatiques chez les individus dits « radicalisés » ou encore le questionnement que soulèvent les « attentats-suicides » en termes d’intentionnalité suicidaire, et ont rappelé que les psychiatres disposent d’un savoir concernant le psychotraumatisme et la suicidalité.

Enfin, plusieurs des orateurs dont nous avons analysé les interventions ont indiqué que si la radicalisation ne semble pas constituer un trouble psychiatrique, elle s’inscrirait néanmoins dans divers processus psychopathologiques concernant lesquels, du fait de sa formation, le psychiatr e possède également un savoir clinique.

Construire un savoir spécifique sur la radicalisation

Par ailleurs, neuf des treize intervenants de notre corpus ont mis en avant la nécessité, pour les psychiatres, de construire un savoir spécifique concernant la radicalisation. Selon les orateurs dont nous avons analysé le discours, ce savoir spécifique serait rendu nécessaire notamment par le fait que la radicalisation ne s’inscrit dans aucune des nosographies psychiatriques actuelles, et devrait être construit à partir des observations cliniques, dans une approche résolument pluridisciplinaire et grâce, notamment, à l’appui du savoir existant concernant la violence ou encore les processus d’emprise sectaire. Il apparaissait ainsi que la radicalisation constituerait une thématique de recherche très actuelle, et que le savoir recherché serait susceptible de se construire au contact direct des individus dits « radicalisés », dans une perspective d’inversion d’expertise :

« Troisième principe, nous rencontrons les sujets et leur problématique, donc, dans une posture d'inversion d'expertise. […] L’essentiel se trouve donc à ce niveau de postulat que le sujet est porteur d'un savoir d'une expertise sur lui-même, qu'il est inducteur de savoir et qu'il convient d'apprendre à l'entendre sur son terrain »

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En matière de recherche, l’un des intervenants soulignait d’ailleurs qu’il lui semble important d’accorder une attention particulière à la méthodologie utilisée, car la variabilité des résultats obtenus sur certaines questions (notamment celle des liens éventuels entre radicalisation et antécédents de délinquance) pourrait être en grande partie expliquée par les méthodes utilisées, en particulier pour constituer l’échantillon de population étudié. De plus, selon certains des intervenants de notre corpus, ce savoir spécifique qui est à construire serait susceptible d’avoir un impact majeur, notamment - mais pas seulement - en matière de politique pénale :

« Et la meilleure connaissance des phénomènes que nous avons grâce à vos travaux nous amène aussi à faire évoluer notre politique pénale, parce que grâce à vous et grâce à la meilleure connaissance, nous avons évolué dans notre approche judiciaire des phénomènes. Un exemple : au début, nous avons assez peu poursuivi les femmes » (intervention n°13).

« Donc aujourd'hui, dans le Maghreb, les démocrates écoutent attentivement ce que nous faisons, ça il faut que nous le sachions, c'est extrêmement… Et des islamistes, aussi, sont très attentifs, au sud, à ce qui se passe aujourd'hui ici »

(intervention n°12).

Evaluer la dangerosité

Enfin, dans leurs interventions respectives, plusieurs des orateurs de notre corpus ont abordé la question de l’évaluation du risque qu’un individu dit « radicalisé » est susceptible de représenter pour lui-même et pour les autres. D’après ces intervenants, cette évaluation de la dangerosité des individus serait classiquement confiée aux psychiatres.

Protéger

Un autre des rôles attribués au psychiatre par les intervenants de notre corpus était celui de protection. Selon plusieurs de ces orateurs, le psychiatre aurait le devoir de protéger son patient, non seulement de lui-même mais également, le cas échéant, d’éventuelles dérives judiciaires et sécuritaires (cf. « Risque de dérives », p. 58). De plus, pour deux des intervenants de notre corpus, protéger les patients impliquerait, pour les psychiatres, d’être conscients du pouvoir qui est le leur en matière de privation de libertés :

« Il faut savoir que la psychiatrie est très mobilisée sur aussi deux principes constitutionnels qui sont extrêmement importants : c'est la liberté d'aller et venir,

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et la protection de la santé. Vous savez que quand on hospitalise quelqu'un, enfin les psychiatres, on a un pouvoir redoutable, c'est qu'on peut proposer la privation de liberté quelqu'un. Elle est décidée par le directeur d'établissement s'ils sont hospitalisés, elle est décidée par le Préfet etc. sur proposition d'un médecin, et puis c'est nous qui allons proposer qu'il puisse sortir de l'hôpital et retrouver sa liberté. Ce n’est pas rien ! C’est une responsabilité énorme, et tout ça, elle doit s'articuler avec la protection de la santé, hein, c’est dans le bloc de constitutionnalité de la France, c'est des principes constitutionnels extrêmement importants que nous devons respecter » (intervention n°9).

Si le psychiatre a le devoir de protéger son patient, il devrait également, selon certains des orateurs dont nous avons analysé le discours, intervenir – lorsqu’il en a la possibilité – pour protéger la sécurité nationale grâce à un signalement aux autorités :

« Le signalement d'une situation de radicalisation est utile voire nécessaire quand il permet d'une part de protéger nos concitoyens, voire la personne reçue, et d'empêcher notamment qu'il parte sur les zones de conflit » (intervention n°7).

Pourtant, comme l’a indiqué le Dr Michel David, qui s’exprimait alors en qualité de psychiatre et de vice-président du Syndicat des Psychiatres des Hôpitaux (SPH), d’autres psychiatres considèreraient au contraire que leur rôle ne doit pas être sécuritaire :

« Nous on se dit ben non, la psychiatrie ce n'est quand même pas la police, ce n'est pas une force de sécurité » (intervention n°9).

Vers une extension du champ de compétence des psychiatres ?

D’après Mme Agnès Buzyn, Ministre des Solidarités et de la Santé, lors de son allocution, les questions qui se posent actuellement autour de la radicalisation seraient susceptibles de conduire, à terme, à une extension du champ de compétence des psychiatres, extension que, selon elle, certains revendiquent tandis que d’autres la redoutent :

« Les psychiatres et les psychologues se sont pour la plupart montrés d’une grande prudence face aux appels à expliquer ce phénomène et à mettre surtout en œuvre des remèdes pour déprogrammer les radicalisés, je les comprends. Cette réserve est légitime, tant il convient dans ce domaine de se préserver des amalgames comme

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de toute simplification. Mais tout aussi légitime est la volonté de certains d’entre eux de sortir des frontières de la clinique. Vous avez, je le crois, un rôle éminent à jouer avec l’ensemble des disciplines qui peuvent contribuer à une meilleure compréhension du phénomène » (intervention n°1).

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