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Travail psychothérapeutique

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Objectifs

Obtenir un renoncement à l’action violente

D’après les intervenants de notre panel, l’un des objectifs du travail psychothérapeutique effectué auprès des individus dits « radicalisés » serait d’obtenir non pas qu’ils renoncent à leurs croyances religieuses, ni même à leur idéologie, mais simplement à l’action violente. En effet, la religion constituerait l’une des ressources psychiques du sujet et, contrairement à une idée reçue, le fait de pratiquer une religion ne constituerait pas un facteur de risque d’engagement dans une radicalisation violente :

« La religiosité, donc la pratique d’une religion, qu’elle soit chrétienne, musulmane, bouddhiste ou hindouiste, protège de la sympathie pour la radicalisation violente, donc la religion est protectrice alors qu’elle est souvent vue et perçue uniquement comme facteur de risque » (intervention n°2).

Replacer l’individu dit « radicalisé » en tant que sujet

Selon les orateurs dont nous avons analysé le discours, un autre des objectifs du travail psychothérapeutique réalisé avec les individus dits « radicalisés » consisterait à les replacer en tant que sujet. Les idéologies totalitaires comme celle que mobilise la radicalisation dite « islamiste » tendraient en effet à dénier le « je » et à lui substituer un idéal totalitaire. Un autre risque serait de voir le sujet s’effacer derrière la figure du monstre ; pourtant, comme le rappelle l’un des intervenants :

« Il n'y a pas d'humains moins humains que les autres, même si des comportements sont inhumains » (intervention n°8).

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Permettre une réaffiliation du sujet

Enfin, l’un des objectifs majeurs du travail psychothérapeutique effectué auprès des sujets dits « radicalisés » consisterait, d’après les intervenants, à permettre leur réaffiliation.

En effet, selon ces orateurs, les individus dits « radicalisés » se présenteraient le plus souvent comme des individus désaffiliés, c’est-à-dire qu’ils ne feraient plus partie d’aucun groupe social. L’un des objectifs de la prise en charge psychothérapeutique de ces individus serait donc de recréer des liens sociaux, un maillage social autour d’eux. Cela pourrait passer, par exemple, par une prise en charge sociale ou encore par une approche sociologique, soutenue par l’intervention, au sein des équipes soignantes, d’un sociologue.

Si elle n’apparaît pas suffisante à elle seule, l’approche psychothérapeutique familiale constituerait également, selon les orateurs dont nous avons analysé le discours, une composante importante du travail visant à obtenir une réaffiliation de l’individu dit « radicalisé ». Selon ces orateurs, la famille représenterait en effet le premier lieu de développement des liens sociaux dans l’histoire du sujet, si bien que le travail sur les dynamiques relationnelles intrafamiliales serait susceptible de permettre à l’individu de développer de nouveaux modes de relations avec son environnement, moins sectaires, plus ouverts vers le monde extérieur. En s’ouvrant ainsi, l’individu disposerait alors de la possibilité de rencontrer des personnes auquel il serait susceptible de s’identifier, de nouvelles « voies identificatoires » répondant à la quête identitaire qui, comme nous l’avons vu un peu plus tôt, serait fréquemment associée à l’engagement dans un processus de radicalisation, en particulier chez les adolescents.

Enfin, d’après les intervenants de notre corpus, le travail de réaffiliation de l’individu dit « radicalisé » pourrait passer par une projection dans l’avenir et une utilisation constructive de l’énergie de contestation déployée par l’individu. En effet, d’après Cécile Rousseau, pédopsychiatre canadienne :

« La radicalisation des personnes et des groupes sociaux (nous parlons de communautés, en Amérique du Nord, vous n’aimez pas ce terme), des familles et des communautés peut mener aussi à d’autres outcomes, à d’autres résultats, dont les solidarités sociales » (intervention n°2).

Avec quels professionnels ?

D’après certains des intervenants de notre corpus, le travail psychothérapeutique réalisé avec les individus dits « radicalisés » devrait être effectué par des équipes spécialisées pluridisciplinaires incluant non seulement des psychiatres et des psychologues, mais également des travailleurs sociaux

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ou encore des référents cultuels. L’un des orateurs dont nous avons analysé le discours formulait toutefois une mise en garde concernant le caractère pluridisciplinaire des prises en charge :

« Ce n'est pas uniquement pour des raisons intellectuelles que je dis ça, c'est parce qu’en faire une question philosophique, c'est peut-être le seul moyen d'avoir des réponses politiques plus complexes, parce que si on reste sur des niveaux disciplinaires qui s'interpénètrent entre la socio, l'anthropo, la psychanalyse, la psychiatrie, on va avoir des réponses disciplinaires et je trouve qu'on a des réponses trop disciplinaires (« disciplinaires », d'ailleurs, je l'emploie aussi bien au propre qu’au figuré » (intervention n°7).

Comment procéder ?

Mais comment procéder pour permettre la mise en place de ce travail psychothérapeutique auprès des individus dits « radicalisés » ?

Tout d’abord, pour plusieurs des intervenants de notre corpus, il conviendrait de proposer une prise en charge globale de l’individu, et non uniquement psychiatrique ou psychologique, incluant notamment un accompagnement psycho-social, éducatif et cultuel. Il s’agirait également de multiplier les modalités de prise en charge proposées (entretiens individuels ou collectifs, thérapie familiale, etc…) ainsi que les voies d’accès aux soins, de sorte que les individus concernés puissent bénéficier d’une prise en charge adaptée indépendamment du fait qu’ils consultent initialement aux urgences d’un hôpital, dans un Centre Médico-Psychologique (CMP) ou encore chez leur médecin traitant.

Par ailleurs, plusieurs des orateurs dont nous avons analysé le discours ont insisté sur le fait que le psychiatre doit selon eux mettre en place des conditions d’échange permettant la rencontre avec le sujet dit « radicalisé », notamment en lui offrant un espace de parole bien délimité et protégé. En termes de cadre thérapeutique, si certains des intervenants du corpus sélectionné disaient trouver souhaitable de proposer le même cadre aux patients dits « radicalisés » qu’aux autres, d’autres orateurs soutenaient en revanche qu’il est nécessaire d’adapter le cadre thérapeutique à ces prises en charge, en proposant un cadre beaucoup plus souple et adaptable au sujet accompagné, afin de permettre notamment l’émergence d’une demande de soins :

« Bouger nos cadres habituels, transporter le cadre en nous en visite à domicile, au café du coin, au Mc Do, c'est ce qui nous a permis de ne pas laisser Chloé se perdre et faire émerger sa demande à elle » (intervention n°5).

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Plusieurs des intervenants de notre corpus ont également souligné la nécessité d’un engagement réel du psychiatre dans ces prises en charge :

« Pour terminer, je voudrais soutenir une posture fondamentale, finalement, qui est une posture que je nommerai une clinique engagée, une clinique engagée nécessaire face à ce à quoi nous sommes en réalité confrontés. Il en va de notre responsabilité à tous » (intervention n°5).

Enfin, selon l’un des orateurs du panel, il conviendrait, dans la prise en charge psychothérapeutique des individus dits « radicalisés », de veiller à éviter le recours à d’éventuels contre-discours, qui ne pourraient avoir pour effet que de renforcer l’adhésion de l’individu à l’idéologie qu’il défend.

Les limites : le manque de moyens

Enfin, plusieurs des intervenants dont nous avons analysé le discours pointent le manque de moyens humains comme limite du travail psychothérapeutique susceptible d’être mené auprès d’individus dits « radicalisés », et soulignent en particulier le manque de relais psychiatriques et psychologiques disponibles dans les CMP ainsi que le manque de médecins-coordonnateurs dédiés au suivi des injonctions de soins.

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