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CHAPITRE II : LES BASES CEREBRALES DU LANGAGE ECRIT

III. NEUROIMAGERIE DE L’ECRITURE

III.3. Travaux récents : processus centraux de l’écriture

L’engouement pour l’étude des substrats cérébraux de la production écrite en neuroimagerie s’est récemment développé et a conduit à l’utilisation de paradigmes expérimentaux variés, guidés par des objectifs différents, Harrington, Farias, Davis, et Buonocore (2007) se sont ainsi par exemple intéressés à l’écriture « imaginée » qu’ils comparent à l’écriture

réelle ou au dessin. La différence observée entre écriture réelle et imaginée se situait principalement au niveau du cortex moteur, ce qui démontre que l’essentiel du vaste réseau de l’écriture classiquement observé (gyrus frontal inférieur, précentral, pariétal supérieur et inférieur, temporal postérieur, aire motrice supplémentaire) ne dépend pas de la réalisation effective ou non d’un mouvement. La comparaison avec le dessin mettait, elle, en évidence une plus forte latéralisation à gauche de l’écriture. Mais plutôt que de simplement chercher à isoler dans le réseau cérébral de l’écriture certaines de ses composantes les plus spécifiques par le biais de tâches contrôles à la fois langagières et motrices, plusieurs auteurs se sont intéressés aux comparaisons directes entre l’écriture et d’autres compétences langagières. L’implication du cortex pariétal supérieur serait ainsi un des principaux marqueurs de l’activité d’écriture par rapport à la parole, quand le cortex pariétal inférieur (gyrus angulaire) représenterait un centre « amodal » de la communication, commun à ces deux tâches (Brownsett & Wise, 2010). La seule étude qui ait, à notre connaissance, utilisé la méthode des potentiels évoqués en électro- encéphalographie pour étudier l’écriture, a en outre démontré une période d’activité cérébrale globalement « commune » à des tâches de dénomination à l’oral et à l’écrit (i.e. de 0 à 260 ms post-stimulus : traitements visuels et lexico-sémantiques), mais qui divergerait ensuite selon le type de tâche (selon l’amplitude de l’activité et la configuration topographique de celle-ci), suggérant ainsi des processus cognitifs sous-jacents différents (Perret & Laganaro, 2012).

La production écrite implique en effet différents processus au niveau central, que les modèles à double-voie ont tendance à dissocier entre processus phonologiques (i.e. voie phonologique et conversion phonème-graphème) et lexico-orthographiques (voie lexicale). L’étude des agraphies nous a effectivement démontré l’existence de sites anatomiques spécifiques pour ces deux classes de processus que l’on devrait pouvoir aussi mettre en évidence en utilisant la neuroimagerie. La tâche de lecture, qui implique des processus orthographiques similaires à l’écriture a ainsi pu être utilisée à cette fin. La comparaison d’une tâche orthographique (il ne s’agissait pas ici d’écriture mais de tâches de décision du type « cette lettre était-elle présente dans le mot précédemment présenté ») et d’une tâche de lecture de mots conclut à l’existence d’activations communes au niveau du gyrus frontal inférieur gauche et du gyrus fusiforme (Rapp & Lipka, 2011). Ce qui confirme notamment l’hypothèse du rôle de la région temporale postérieure et inférieure (gyrus fusiforme, correspondant à la « VWFA ») dans l’accès ou le stockage des représentations orthographiques. Cette aire, parfois associée à l’agraphie lexicale (voir plus haut ; Rapcsak & Beeson, 2004), a en effet souvent été observée en neuroimagerie lors de l’écriture, particulièrement lors de l’écriture de d’idéogrammes japonais (de Kanjis) (Nakamura et al., 2002; Nakamura et al., 2000). Une telle spécificité à cette forme d’écriture (par rapport au Kana) a ainsi été interprétée comme reflétant les plus grandes demandes envers une « mémoire visuelle graphique » qu’elle requiert (Matsuo et al., 2001).

Les liens entre lecture et écriture ont aussi été étudiés par Purcell et al. (2011a) au moyen d’une tâche l’écriture sur clavier d’ordinateur. Le réseau mis en évidence, dans ce premier travail en IRMf ayant étudié cette forme moderne d’écriture, était très similaire à celui l’écriture « classique » observé par leurs prédécesseurs, et incluait notamment l’aire frontale au niveau du gyrus frontal supérieur/moyen (i.e. la GMFA). La comparaison avec la lecture les a conduit à un résultat en partie semblable à celui de Rapp et Lipka (2011) ; une région du gyrus frontal inférieur gauche (BA 44) était en effet la seule aire d’activation commune entre la tâche de production orthographique et une tâche de lecture (après des contrastes utilisant des tâches contrôles non langagières). Les auteurs ajoutent cependant qu’une portion de cette aire démontrait une activation spécifique à la modalité écrite.

Afin d’identifier l’aire du stockage ou des représentations orthographiques de la voie lexicale (i.e. lexique orthographique ou « mémoire à long-terme orthographique »), Rapp et Dufor (2011) ont manipulé dans une tâche d’écriture sous dictée en IRMf la fréquence lexicale des mots écrits, arguant que les mots fréquents sont souvent les plus préservés lorsque le lexique orthographique est endommagé. C’est là encore la région frontale inférieure (jonction frontale inférieure, proche de BA 44) qui démontre une sensibilité à la fréquence lexicale et qui serait le siège du lexique orthographique (en réalité, on observe aussi le putamen, le thalamus et le cortex cingulaire antérieur ; une analyse en région d’intérêt suggère que ce soit aussi le cas pour la région temporale postérieure-inférieure). Pourtant, c’est un résultat en apparence contradictoire, concernant la même aire frontale inférieure, qui était rapporté par Omura, Tsukamoto, Kotani, Ohgami, et Yoshikawa (2004). En combinant plusieurs tâches, d’écriture sous dictée de phonogrammes japonais sans signification, d’écriture de symboles sans signification, ou de répétition orale, ces auteurs ont en effet localisé l’aire de la conversion des phonèmes en graphèmes justement dans une région prémotrice ventrale proche de l’aire de Broca (BA 6 / BA 44). Dès lors, l’effet de fréquence obtenu par Rapp et Dufor (2011), d’une aire davantage activée lors de l’écriture de mot rares, pourrait en réalité refléter une plus grande demande sur la voie de conversion phonème-graphème que la production de ce type de mots requiert. Il se confirme donc qu’une région frontale inférieure présente des activations qui en font une bonne candidate pour supporter certains processus centraux à l’œuvre dans la production écrite. Pourtant, les questions de sa localisation (cortex prémoteur, BA 6 ; ou cortex frontal inférieur, BA 44), de sa fonction précise (conversion phonème-graphème ou lexique orthographique) et de son éventuelle spécificité à la production doivent encore être élucidées.

Enfin, certaines données de neuroimagerie récentes, utilisant des techniques d’analyses de la connectivité fonctionnelle, permettent de proposer un rôle du lobule pariétal supérieur dans l’écriture plus complexe (et plus central) qu’envisagé auparavant. Par le biais de cette

méthode, qui étudie les modulations, au travers de différentes tâches, de la corrélation de l’activité BOLD entre différentes régions distantes (psychophysiological interactions ; voir Friston et al., 1997), Segal et Petrides (2012) ont en effet observé que l’activité d’un voxel représentant une portion du lobule pariétal supérieur, activé lors de l’écriture, présentait des corrélations d’activité avec différentes aires selon la tâche réalisée. Cette activité était par exemple corrélée avec le gyrus supramarginal antérieur, une région associée aux traitements phonologiques, lorsque l’orthographe du mot était récupérée à partir d’une image (i.e. dénomination), mais était plutôt corrélée avec le gyrus angulaire, une région associée à la lecture, pendant la copie de mots. Les auteurs en ont conclu que cette aire restreinte (partie rostrale du lobule pariétal supérieur, aire PE), plutôt qu’un « centre de l’écriture » proprement dit, jouerait un rôle de contrôle moteur de haut-niveau, interagissant avec les aires du langage et les aires motrices pendant l’écriture.