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CHAPITRE V : ORGANISATION TEMPORELLE DES PROCESSUS COGNITIFS DE L’ECRITURE

I. EXPERIMENTATION PRELIMINAIRE : EFFETS DE REGULARITE EN ECRITURE DE MOTS SOUS DICTEE

I.2. Matériel et Méthode

I.2.1. Participants

Vingt-six étudiants de l’Université Toulouse II – Le Mirail, âgés de 19 à 23 ans (moyenne : 20,7 ± 1,2) ont participé à cette expérimentation. Tous étaient droitiers, de langue maternelle française, avec une audition et une vision normale ou corrigée. Aucun d’entre eux n’a rapporté de troubles neurologiques ou psychologiques, ni de trouble du langage écrit ou oral.

I.2.2. Stimuli

Les mots utilisés en tant que stimuli auditifs étaient 64 noms monomorphémiques : 32 mots courts, monosyllabiques, avec une longueur moyenne de 4,9 lettres (± 1,0), et 32 mots longs, trisyllabiques, avec une longueur moyenne de 8,3 lettres (± 0,8). Ces mots ont été choisis en fonction de la régularité de l'orthographe de leur premier ou de leur dernier phonème (la régularité étant définie comme la correspondance phonème–graphème la plus fréquente dans la position considérée, données issues de (Soum, 1997)). Ces mots étaient appariés de manière à associer chaque mot contenant la forme régulière d'un phonème avec un mot contenant l'une de ses formes irrégulières. Ainsi, le phonème /ɔ/ à l’initiale d'un mot était présent dans sa forme régulière (préséante) dans orge et dans une de ses formes irrégulières dans horde. De même, le phonème /a/ dans la position finale était régulier dans tapioca et irrégulier dans syndicat. Autant que possible, nous avons cherché à faire correspondre la structure syllabique et segmentale des mots « réguliers » et « irréguliers », en particulier au niveau de la séquence d’intérêt lors de la constitution des paires. Ainsi, au sein de chaque liste de mots courts et longs, huit paires « réguliers/irréguliers » concernaient le premier phonème (position initiale) et huit paires concernaient le dernier phonème (position finale). La liste des stimuli utilisés est fournie en annexe (Annexe 2.1).

La fréquence lexicale, issue de la base de données LEXIQUE 3.71 (New, Pallier, Brysbaert, & Ferrand, 2004), a été contrôlée au sein de chaque sous-ensemble de mots. Elle était, en unité par million d’occurrences, pour les mots courts de 10,8 pour les irréguliers contre 10,5 millions pour les réguliers, et pour les mots longs de 12,4 pour les irréguliers contre 11,7 pour les réguliers. Les mots de fréquence élevée étaient évités. Les caractéristiques linguistiques de ces items en fonction de leur longueur et leur régularité sont rapportées dans la Table V-1. Les mots courts et longs différaient significativement (test T de Student) au niveau de leur nombre de lettres, de phonèmes, de syllabes, de leur durée acoustique, de leur nombre de voisins ainsi que de leur point d’unicité phonologique (i.e. rang du phonème à partir duquel le mot peut être identifié sans ambiguïté). Conformément à nos attentes, aucune différence significative n’était observée en classant les items selon leur régularité (les mots réguliers et irréguliers étaient correctement appariés sur toutes les caractéristiques considérées incluant le nombre de lettres et la fréquence lexicale).

Table V-1 : Caractéristiques linguistiques des items utilisés dans la tâche d’écriture sous dictée de l’expérimentation préliminaire (n = 64) en fonction de leur longueur puis en fonction de leur régularité (la valeur présentée correspond à la moyenne pour la catégorie). Les valeurs en gras indiquent

une différence significative à un test T de Student. *** : p < .0001).

Courts Longs Réguliers Irréguliers Nombre de lettres 4,9*** 8,3*** 6,4 6,8 Nombre de phonèmes 3,5*** 6,4*** 5,1 4,8 Nombre de syllabes 1*** 3*** 2 2 Fréquence Films 5,8 8,8 8,0 6,5 Fréquence Livres 9,8 12,1 10,6 11,2 Fréquence de trigrammes (token) 778 996 931 843 Fréquence de trigrammes (type) 1899 2479 2179 2199 Fréquence de bigrammes (token) 6380 7639 6640 7379 Fréquence de bigrammes (type) 18314 21337 18685 20966 Voisins phonologiques 13,4*** 1,0*** 6,0 8,4 Voisins orthographiques 4,5*** 0,3*** 3,1 1,7 Point d'unicité phonologique 3,5*** 5,7*** 4,8 4,4 Durée Acoustique (ms) 546*** 677*** 626 598

Quatre listes de présentation ont été construites de manière pseudo-aléatoire, dans lesquelles les mots étaient organisés de façon à éviter toute proximité entre la version régulière et irrégulière d’un même phonème. Tous les stimuli étaient prononcés par une locutrice de langue maternelle française avec un accent neutre, dans une cabine d’isolation acoustique à double paroi (http://petra.univ-tlse2.fr). Les mots étaient enregistrés à 44.1 kHz/24bit avec un microphone Sennheiser MD 42 (Sennheiser Electronic, Wennebostel, Allemagne), une console de mixage numérique Tascam DM-3200 et un Mac Pro sous Mac OS X (10.5.8).

I.2.3. Dispositif

Le participant était assis face à un ordinateur portable HP EliteBook 8440p (Windows 7, écran14’’, 1366*768), à une distance d’environ 60 cm. Les stimuli auditifs étaient présentés via un casque audio Sennheiser HD 280 Pro. Afin de recueillir les temps de réponses, les durées de production et la dynamique du tracé graphique, le participant écrivait sur une tablette graphique Wacom Intuos®3 A4 (Wacom, Krefeld, Germany) installée devant lui. Le stylo numérique utilisé était muni d’une mine à encre permettant au participant d’écrire sur une feuille disposée sur la tablette (Ink pen ZP-130, Wacom), donc dans des conditions d’écriture usuelles. Une feuille de papier présentant 16 cases rectangulaires (correspondant aux 16 essais de chaque bloc expérimental), placée sur la tablette, permettait de recueillir les réponses (quatre feuilles étaient

donc suffisantes pour écrire les 64 mots requis). La position de la tablette était réglée afin que le participant soit dans une position confortable pour écrire en restant face à l’écran. Il avait la possibilité d’ajuster cette position avant le début de l’expérience si nécessaire. Un enregistrement continu de la production (à une fréquence de 200 Hz) était réalisé grâce au logiciel Eye and Pen 1.1 (Alamargot, Chesnet, Dansac, & Ros, 2006; Chesnet & Alamargot, 2005), aussi utilisé pour délivrer les stimuli, permettant une récupération ultérieure des latences et des durées d’écriture à la milliseconde près, ainsi que des mesures de la distance couverte par le stylo.

I.2.4. Procédure

La tâche proposée était une tâche de production écrite sous dictée de mots isolés. Dans chaque essai, un mot était présenté auditivement via le casque. Les participants devaient l’écrire dans l’espace prévu sur la feuille en commençant le plus rapidement possible. Un symbole « écrire » s’affichait à l’écran dès la fin de la présentation du stimulus et restait affiché 4500 ms (voir Figure V-1). Sa disparition indiquant aux participants la survenue de l’essai suivant (ils n’étaient cependant pas invités à interrompre leur production), après 1500 ms. Il y avait donc un intervalle de 6000 ms entre la fin de la présentation d’un mot et le début de la présentation du mot suivant. Les participants avaient pour consigne d’adopter une position « prêt à écrire » dès qu’ils avaient terminé l’écriture d’un mot, de sorte que les temps de réaction mesurés soient au minimum affectés par le mouvement initial de la main. Ils étaient invités à écrire de façon usuelle (écriture cursive, en minuscules), en évitant de faire des fautes d’orthographes, mais d’écrire chaque mot d’une traite, sans jamais revenir dessus. Les participants étaient informés qu’ils auraient à effectuer une tâche d’écriture conçue pour étudier la dynamique de la production écrite grâce à une tablette graphique. Nous n’avons pas présenté l’étude comme étant conçue pour explorer les compétences d’orthographe.

Figure V-1 : Schéma du dispositif utilisé

Après un bloc d’entraînement de 8 items, les 64 stimuli étaient présentés en blocs de 16 stimuli. Le participant déclenchait le début de chaque bloc en pressant une touche sur le clavier (le premier essai de chaque bloc débutait après un délai de 1000 ms). Les latences (ou temps de réaction), définies comme le temps écoulé entre le moment d’apparition du stimulus et la première pression par le stylo sur la tablette, étaient extraites des enregistrements Eye and Pen. Les durées d’écriture et les mesures de distances (en unités tablette, converties en centimètres) étaient aussi exportées pour chaque mot écrit. La vitesse moyenne d’écriture de chaque mot était ensuite calculée en divisant simplement la distance par la durée.

I.2.5. Analyse des données

Pour évaluer l’effet de nos différentes variables sur le taux d’erreur global (Longueur, Régularité, Position), des tests non paramétriques pour échantillons appariés ont été appliqués (test de Wilcoxon et ANOVA de Friedman). Lorsque nécessaire, les valeurs de p étaient corrigées par la procédure d'ajustement de Bonferroni-Holm (Holm, 1979).

Les latences d’écriture, puis les vitesse moyennes d’écriture ont été analysées sous R (R Development CoreTeam, 2009) en utilisant le package lme4 (Bates & Maechler, 2009). Les analyses ont été réalisées en utilisant les modèles linéaires mixtes en incluant les facteurs Sujet et Item en tant qu’effets aléatoires (cf. Chapitre IV.III). En tant qu’effets fixes, les facteurs Longueur, Régularité, Position et toutes leurs interactions ont été inclus. Pour l’analyse des

latences uniquement, la durée acoustique du stimulus était incluse dans le modèle en tant que covariable continue2. En effet une tâche d’écriture sous dictée où les latences sont mesurées à

partir de l’apparition du stimulus, un simple délai dans les latences peut résulter de durées de présentation (ou durées acoustiques) plus longues.

Une table de F (ANOVA de type III) incluant la valeur de p pour chacun des facteurs fixes et leurs interactions était calculée via le package lmerTest (Kuznetsova, Christensen, & Brockhoff, 2013) (degrés de liberté calculés selon l’approximation de Satterthwaite). Des procédures post-hoc sur les résultats du modèle linéaire mixte étaient ensuite réalisées via le package lsmeans (Lenth, 2013), permettant de réaliser des comparaisons des moyennes ajustées, en procurant une valeur de p (méthode de Tukey HSD).