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Chapitre 4: Synthèse orientée vers la diversité de diols peptidomimétiques

5.1 Travaux réalisés et perspectives

L'ensemble des projets présentés dans cette thèse concerne, de manière générale, la synthèse de molécules organiques. Elles peuvent être d'origine naturelle ou encore synthétique et présentent des intérêts tant au point de vue de leurs activités biologiques, leurs architectures rares et attractives ou bien leurs importances structurelles pour la communauté scientifique. Au travers de ces idées, nous avons observé la synthèse de plusieurs produits naturels comme le paracaséolide A, l'isofugomycine, les amomaxins A et B puis ottensidione. La nouvelle méthodologie a permis d'offrir une alternative verte à la synthèse des γ‑hydroxybuténolides qui sont des motifs fréquemment observés parmi les produits naturels possédant des activités biologiques diverses. Enfin, la synthèse des peptidomimétiques ciblant l'inhibition de la protéase du VIH a ouvert une nouvelle voie d'accès à ce type de molécules non naturelles. Elle a permis la formation de diols non-symétrique ayant le potentiel d'être fonctionnalisé à plusieurs endroits de la molécule afin d'établir une librairie de composés pouvant être, au besoin, impliqués dans une étude SAR. Malgré les problèmes rencontrés au cours de ces projets, la grande majorité d'entre eux ont été achevés avec succès permettant d'en retirer pleine satisfaction. Ils font appel à des principes fondamentaux de la synthèse totale, présentés lors de l'introduction, comme la confirmation de structure, la découverte ou l'utilisation de nouvelles réactions ou encore l'application des différents types de synthèse (divergente, biomimétique, orientée sur la diversité). Le but ultime étant de se rapprocher de l'idéalité d'une synthèse.

Tout d'abord, nous avons débuté avec la synthèse totale du paracaséolide A 8 (Schéma 68). L'intérêt grandissant de plusieurs groupes de recherche pour cette molécule, se présentant comme un rare exemple de dimérisation naturel d'une unité γ‑hydroxybuténolide, nous a conduit à apporter une hypothèse supplémentaire à la synthèse. En effet, nous avons envisagé une voie biomimétique faisant intervenir l'akolactone A 83 comme prédécesseur du produit naturel. Ce dernier, isolé de Litsea akoensis, a pu être oxydé en γ‑hydroxybuténolide 9, précurseur de la dimérisation menant au paracaséolide A 8, via l'oxyfonctionnalisation du 2‑silyloxyfurane 97 correspondant grâce au diméthyldioxirane (DMDO). L'intervention de l'oxygène en lieu et place du DMDO a permis de renforcer notre hypothèse de biomimétisme. Cette synthèse, à la fois courte et efficace, a débuté à partir de produits commerciaux comme l'α‑angélica lactone 71 et le myristaldéhyde 84 permettant de générer le paracaséolide A 8 en 5 étapes avec un rendement global de 28%. Cette synthèse aura permis la découverte de trois nouvelles réactions telles que : (i) la conversion de l'α-alkylidène-buténolide 96 en γ-hydroxybuténolide 9 en

présence d'oxygène (non représenté ici, voir Schéma 28), (ii) la silylation du composé 96 en 97, et (iii) l'oxydation aérobie du 2‑silyloxyfurane 97 en γ‑hydroxybuténolide 9.

Schéma 68. Synthèse biomimétique du paracaséolide A isolé de Sonneratia paracaseolaris126

La découverte de l'oxydation aérobie aura permis de donner naissance à un nouveau projet de méthodologie pour la synthèse verte des γ‑hydroxybuténolides 11 à partir des buténolides 48 correspondants (Schéma 69).285 Leurs conversions rapides et souvent à hauts rendements en

2‑silyloxyfuranes 10 permet sous l'action de l'oxygène moléculaire, dans son état triplet, et d'une présence catalytique d'acide de Brønsted de générer les (Z)‑4‑oxo‑2‑alcénoates de triisopropylsilyles 49 qui s'hydrolysent instantanément en milieu aqueux acide pour former les γ‑hydroxybuténolides 11.

Cette méthode ne requière aucun catalyseur métallique, de chauffage ou de lumière, mais la simple présence d'oxygène naturellement abondant. Les substrats étudiés ont démontré une tolérance large quant aux substitutions des différentes positions des 2‑silyloxyfuranes 10, on retrouve tout type de groupements carbonés (sp3, sp2, sp) qu'ils soient aromatiques ou aliphatiques. Ceux n'ayant pas subis

l'oxydation désirée se retrouvent hydrolysés en buténolides 48 qui sont tout bonnement les produits de départ, il y a donc peu de perte de produit ce qui renforce ainsi le caractère vert qu'adopte cette transformation. Toutefois, la méthode au DMDO reste la tactique la plus efficace en termes de rendement, mais nous souhaitons que cette méthode soit envisagée comme une alternative verte pour l'oxydation des buténolides 48 en synthèse totale. Le potentiel de cette méthode a pu être démontré avec la synthèse totale de l'isofugomycine 12 isolé de Pseudomonas aureofaciens. L'oxydation aérobie a été réalisée à différentes étapes de la synthèse permettant de former le produit naturel en cinq étapes à partir de produits commerciaux (Chapitre 2, Schéma 42). Une évolution possible pour cette méthode serait de l'adapter à la chimie en flux continu (en anglais, flow chemistry), en effet, l'utilisation seule de l'oxygène sans aucun autre réactif rend le procédé suffisamment simple et serait potentiellement une tactique efficace pour la synthèse des γ‑hydroxybuténolides à grande échelle.286

Au cours de l'étude de l'oxydation aérobie, nous avons envisagé l'utilisation du TEMPO afin de piéger un intermédiaire radicalaire pouvant potentiellement intervenir dans le mécanisme de la réaction.287 À

notre grande surprise, il a été découvert une nouvelle transformation comme étant une version modifiée, voire même améliorée, de la méthode originale (Schéma 70). En effet, dans les conditions habituelles avec deux équivalents de TEMPO, l'oxydation du composé 10m suivi de la migration du groupement silylé a été observée avec un rendement quantitatif permettant la formation de composé 256.288 Là où la

même transformation sans le TEMPO offrait le γ‑hydroxybuténolide et le γ‑hydroperoxybuténolide avec des rendements respectifs de 77 et 12%, cette méthode a l'avantage de donner accès quantitativement aux γ‑hydroxybuténolides protégés ce qui permettrait, dans le cadre d'une synthèse totale, de travailler sur le reste de la molécule (voir spectres RMN 1H et 13C du brut réactionnel en

annexes à la fin du document). On rappellera que les γ‑hydroxybuténolides sont en équilibre avec leurs formes ouvertes pouvant subir une multitude de réactions via le carbonyle. Dans le cas présent, ce carbonyle serait inexistant puisque la molécule serait verrouillée sous sa forme cyclique. Une étude plus approfondie sera menée afin de mieux comprendre la réactivité engagée et d'éclaircir certains points.

Par la suite, nous nous sommes engagés dans un projet de synthèse totale unifiée de trois produits naturels, amomaxins A 14 et B 15 isolés d'Amomum maximum et ottensidione 13 de Zingiber ottensii (Schéma 71). L'utilisation d'un synthon chiral tel que le sclaréolide 92 en début de synthèse a permis d'obtenir les cibles désirées de manière énantiomériquement pures. En effet, la stéréochimie trans- décaline qu'il possède se retrouve également dans le motif bicyclo[7.4.0]tridécane présent au cœur même des produits naturels. La synthèse fait appel à des réactions importantes en chimie organique comme la réaction de Bayer-Villiger pour former le diol 179, la fragmentation de Grob/Wharton pour cliver le lien C‑C engendrant ainsi l'ouverture du cycle ou encore la réaction de Negishi pour l'obtention de l'acétylène terminal 186. La fonctionnalisation des chaînes latérales via des réactions d'ozonolyse, hydrogénation de Lindlar, Wittig et Pinnick ont permis la formation du composé clé 197. Ce dernier a subi une double addition du Grignard permettant d'installer les doubles liaisons de la molécule 174a,b.

Schéma 71. Synthèse unifiée des amomaxins A et B isolées d'Amomum maximum217

La formation du cycle central à neuf membres de la molécule a été rendue possible grâce à une métathèse de fermeture de cycle avec le catalyseur de Grubbs-Hoveyda de deuxième génération, il s'en est suivi une hydrogénation de la double liaison ainsi formée donnant accès à l'intermédiaire commun 200a,b de cette synthèse divergente permettant l'obtention rapide de ottensidione 13. Une série de réactions clés ont par la suite permis la synthèse des deux produits naturels restants. Tout d'abord, une condensation de Claisen puis une cyclisation 6‑endo‑dig catalysée à l'argent ont offert l'amomaxin A 14 et la réaction de Tanabe associé à l'oxyfonctionnalisation, développée au sein de notre groupe, ont apporté l'amomaxin B 15. Nous sommes heureux de rapporter, à ce jour, la première synthèse totale de ces trois produits naturels.289 L'obtention de l'amomaxin B a permis la réassignation structurelle du groupement hydroxyle

de la molécule confirmée par l'obtention d'un cliché cristallographique. Par ailleurs, les amomaxins A et B ont été isolés en faible quantité donnant accès à des tests biologiques restreints. Malgré cela, l'amomaxin B a révélé des activités inhibitrices de la production de NO dans les macrophages RAW264.7. Bien que l'oxyde nitrique soit un composant essentiel au développement cellulaire, il a été démontré qu'une surexpression engendre des lésions tissulaires associées à des inflammations aiguës et chroniques.290 Par conséquent, une attention accrue est maintenant accordée au développement de

nouveaux médicaments comme inhibiteurs puissants de la production de NO en relation avec le traitement des maladies inflammatoires chroniques.291 Ainsi, l'obtention d'une quantité suffisante

pourrait nous permettre d'effectuer des tests supplémentaires afin de déterminer leurs profils biologiques. De plus, l'obtention relativement efficace de l'intermédiaire commun offre la possibilité de synthétiser des analogues en tirant parti des fonctions carbonyle et alcool protégé. La présence d'un carbocycle à neuf membres, peu fréquent dans les produits naturels, présente une architecture structurelle attractive en faisant un bon candidat pour des études biologiques.

L'isolation de produits naturels permet grâce à des études spectroscopiques intensives de déterminer leurs structures chimiques et dans certains cas leurs stéréochimies absolues. L'un des objectifs de la synthèse totale est de confirmer sans nul doute la structure de ces composés en comparant les données spectrales et physicochimiques obtenues à ceux rapportées dans la littérature. La structure du labdane 222 nouvellement rapportée de Alpinia officinarum et Alpinia oxyphylla a attiré notre attention (Schéma 72). En effet, l'erreur structurelle commise dans le cas de ottensinin nous a conduits à analyser les spectres RMN de la molécule naturelle. La similitude flagrante quant aux déplacements chimiques observés sur les spectres 1H et 13C nous a amené à émettre l'hypothèse d'un cycle γ‑pyrone représentée

par la molécule 223 comme réelle structure du produit naturel. Une étude computationnelle est actuellement en cours permettant la prédiction des déplacements chimiques d'une molécule choisie. Ainsi, les structures des composés 222 et 223 seront analysées et les données théoriques obtenues seront comparées à celles obtenues lors de l'isolation permettant d'établir laquelle des deux structures a le plus

de chance de correspondre au produit naturel rapporté. Les résultats préliminaires ont conclu à une plus grande probabilité quant à la structure 223 possédant la fonction γ‑pyrone et une synthèse sera potentiellement envisagée par la suite afin de confirmer ces résultats. Une voie de synthèse possible est présentée faisant appel à des transformations observées lors de la synthèse d'ottensinin et de l'amomaxin A. La conversion du sclaréolide 92 en composé 143 permettra d'envisager une réaction d'hydroboration sur la double liaison exo-cyclique afin d'installer l'alcool qui sera protégé sous forme d'éther avec le groupement SEM. Les tentatives d'hydroboration sur ottensinin ont conduit majoritairement à de la dégradation due principalement à la réactivité de la γ‑pyrone vis-à-vis des boranes étudiés. Par la suite, la réduction de l'amide de Weinreb avec l'hydrure de diisobutylaluminium permettra la formation de l'aldéhyde 257 qui sera engagé dans une réaction d'homologation de Wittig pour former l'aldéhyde 258 correspondant. Le passage par l'énolate correspondant puis traitement subséquent avec l'ester 259 permettra de générer le précurseur 260 dont la fonction a déjà été observée précédemment.

Schéma 72. Stratégie de synthèse totale pour l'étude structurelle du nouveau labdane isolé de Alpinia officinarum et Alpinia oxyphylla250

La réaction menant à la fonction γ‑pyrone sera étudiée et optimisée comme le cas de l'amomaxin A afin de déterminer les conditions optimales de cyclisation. Enfin, l'enlèvement des groupements protecteurs suivi de l'oxydation de l'alcool en acide permettra l'obtention de la structure soupçonnée 223 du produit naturel.

Pour finir, un dernier projet consistait en l'élaboration d'une nouvelle voie de synthèse donnant accès à une librairie de composés peptidomimétiques comme inhibiteurs potentiels de la protéase (Schéma 73). L'utilisation d'un glycoside simple tel que le pentaacétate de glucose 17 comme produit de départ a permis de générer aux positions 4 et 5 les diols non-symétriques 253-255. La transformation de 17 en glucal est une procédure bien établie faisant appel à l'installation d'un brome en position anomérique puis l'élimination de l'acétate a été effectuée par l'intervention du zinc. La mise en place de l'azoture en position 6 a permis d'installer l'azote de la partie gauche des produits finaux. La conversion du glucal 238 en lactone 233 a été rendue possible grâce à l'action de l'acide métachloroperbenzoïque suivi d'une manipulation de groupement protecteur. Enfin, l'addition conjuguée du chlorure de benzylmagnesium a permis de générer un nouveau centre chiral en position 5 avec une diastéréosélectivité modeste de 2:1 en faveur du composé trans (le ratio a été confirmé par isolation ultérieur des diastéréoisomères et caractérisation par diffraction des rayons X). La fonctionnalisation de cet intermédiaire commun a permis de générer les six premiers exemples de cette librairie de peptidomimétiques. Tout d'abord, l'ouverture de la lactone avec une variété d'amines a formé la fonction amide suivie de la modification de l'azote présent en bout de chaîne avec une succession d'étape impliquant la déprotection de l'alcool benzylé, l'hydrogénation de l'azoture et double fonctionnalisation de l'amine primaire.

Schéma 73. Synthèse orientée vers la diversité de diols peptidomimétiques comme inhibiteurs potentiels de la protéase du VIH271

Ces composés pourront par la suite être testés afin de déterminer leurs potentiels en tant qu'inhibiteur de la protéase du VIH. Une étude de relation structure-activitée (SAR) pourra ensuite être réalisée permettant ainsi de déterminer l'importance des groupements fonctionnels en passant par la compréhension des interactions qu'ils engendrent. La synthèse subséquente de nouveaux exemples permettrait théoriquement de développer le meilleur candidat pouvant dans un cas utopique se rendre jusqu'aux essais cliniques.