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D. Les effets de la focalisation prosodique sur l’articulation

D.6. Les travaux de Erickson et collègues

Les travaux les plus exhaustifs et les plus détaillés sur l’influence de la focalisation prosodique sur l’articulation ont été effectués par Donna Erickson et ses collègues. Ils ont ainsi analysé l’influence de la « contrastive emphasis » (emphase contrastive) selon leur terminologie qui est l’équivalent du terme focalisation contrastive utilisé dans ce mémoire, sur l’ouverture de la mandibule en anglais américain (Erickson [1998, 2004], Erickson et al. [1994], Erickson & Fujimura [1996], Erickson & Honda [1996], Erickson et al. [1998] et Erickson et al. [2000]).

Leurs premiers travaux (Erickson et al. [1994], Erickson & Fujimura [1996], Erickson & Honda [1996]) suggèrent que l’emphase contrastive sur un chiffre (corpus constitué de chiffres focalisés ou non) est accompagnée d’une augmentation de l’amplitude de l’ouverture de la mandibule. L’étude de Erickson et al. [1994] suggère que c’est la portion VC (voyelle-consonne) de la syllabe CVC (consonne-voyelle-consonne) qui est la plus sensible à l’emphase contrastive pour les mouvements de la mandibule.

L’étude de Erickson [1998] est celle qui est la mieux détaillée. Cette étude porte sur l’anglais américain et permet d’avoir une idée assez précise des conséquences de l’emphase contrastive sur les mouvements de la mandibule. Trois locuteurs de l’anglais américain ont lu un texte pour lequel ils devaient focaliser les mots écrits en lettres majuscules. Ces mots correspondaient à des chiffres placés soit au début, soit au milieu, soit à la fin d’une séquence de trois chiffres incluse dans une phrase porteuse comme dans l’exemple : « I work at 959 Pine Street » (Je travaille au 959 Pine

Street.). Pendant cette lecture, des images obtenues par rayons X ont été enregistrées alors que des bobines en or avaient été placées sur les articulateurs du locuteur, ainsi que le montre la figure I.2. Après validation acoustique du corpus, l’ouverture de la mandibule a été calculée comme étant la coordonnée verticale correspondant au déplacement maximal (i.e. à la valeur maximale correspondant à l’ouverture maximale) à partir du plan occlusal.

FIGURE I.2 – D’après Erickson et al. [1998] : emplacement des bobines en or sur la langue, les lèvres, la mâchoire et deux points de référence.

Les mesures effectuées ont montré que l’emphase contrastive correspond systématiquement à une ouverture significativement plus grande de la mandibule par rapport à une référence pour laquelle le même chiffre n’était pas sous emphase contrastive. Cette observation a été faite chez tous les locuteurs sauf un pour lequel les résultats n’étaient pas significatifs.

L’auteur a également mesuré un effet significatif de la position du chiffre sous emphase contrastive dans la séquence, sur l’amplitude du geste articulatoire. Il apparaît en effet que l’augmentation de l’ouverture de la mandibule par rapport au cas neutre est plus importante en position centrale, puis en position initiale et enfin en position finale.

Erickson a donc observé des effets de l’emphase contrastive sur l’articulation des mouvements de la mandibule du mot sous emphase contrastive. Néanmoins, elle a également remarqué qu’il y a des effets sur le mot qui suit directement le chiffre sous emphase contrastive et de façon plus générale sur toute la séquence qui suit ce même élément. En ce qui concerne le mot qui suit directement le mot sous emphase contrastive, l’auteur observe une réduction significative de l’amplitude des mouvements de la mandibule. Il apparaît que la tendance à la réduction articulatoire post-emphase dépend de l’emplacement du chiffre sous emphase contrastive dans la séquence de trois chiffres. Si l’emphase contrastive a lieu en position initiale, la réduction de l’amplitude des mouvements de la mandibule sur le mot qui suit le chiffre sous emphase contrastive est moins importante que si l’emphase a lieu en position médiane puis en position finale.

L’auteur note également un fait très intéressant : le locuteur qui n’augmentait pas l’amplitude des mouvements articulatoires correspondant au chiffre sous emphase contrastive est aussi celui qui la diminue le plus sur le mot qui suit (comparer les graphiques des figures 8 et 9 dans Erickson [1998]). Quel que soit le locuteur, il existe donc une différence significative (diminution) entre l’amplitude des mouvements de la mandibule correspondant au chiffre sous emphase contrastive et le mot qui le suit. Néanmoins, cette diminution est relative à l’augmentation mesurée pour le digit sous emphase contrastive et peut en réalité ne donner lieu à aucune diminution par rapport à l’articulation du même

mot dans la version neutre de l’énoncé. Il apparaît en effet que, selon les locuteurs, cette diminution forte peut être due soit à une augmentation forte sur le chiffre sous emphase contrastive suivie d’un retour à une articulation d’amplitude « normale » pour l’élément suivant, soit à une diminution forte de l’articulation sur le mot qui suit le chiffre sous emphase contrastive (par rapport au même mot dans la version neutre de la phrase), soit à une combinaison des deux phénomènes. En ce qui concerne la totalité de la séquence qui suit le mot sous emphase contrastive, l’auteur observe une tendance à la diminution globale des amplitudes des mouvements de la mandibule. Celle-ci commencerait sur le mot qui suit directement le chiffre sous emphase contrastive et se poursuivrait jusqu’à la fin de l’énoncé. L’auteur ne peut cependant pas conclure de façon certaine, les énoncés analysés dans cette étude étant trop courts.

La conclusion générale de cette étude est que, non seulement l’emphase contrastive a un effet localisé sur le mot contrasté (augmentation de l’amplitude des mouvements de la mandibule), comme ce à quoi on aurait pu s’attendre, mais aussi un effet global sur le mot suivant le chiffre sous emphase contrastive et de façon plus générale certainement sur toute la séquence qui suit ce même chiffre (réduction soudaine de l’amplitude des mouvements de la mandibule par rapport au chiffre sous emphase contrastive puis graduelle jusqu’à la fin de l’énoncé). Or une étude précédente (Erickson & Lehiste [1995]) sur les variations de durée liées à l’emphase contrastive en anglais, avait montré que la durée du mot sous emphase contrastive augmentait par rapport au cas neutre alors même que celle des autres mots de l’énoncé diminuait. Il apparaît ainsi que le patron d’évolution lié à l’emphase contrastive est le même pour la durée et pour les mouvements de la mandibule. Erickson propose ainsi que l’emphase pourrait être appliquée au sommet de la hiérarchie prosodique et affecterait donc l’énoncé dans son intégralité.

Les résultats d’une étude qui a suivi (Erickson et al. [1998]) ont permis de confirmer les observations décrites ci-dessus pour les mêmes chiffres et les mêmes phrases mais cette fois en situation de dialogue (tâche de correction) et non plus pour de la parole lue. La situation était donc plus naturelle et on peut penser qu’elle a donné lieu à des mises sous emphase également plus naturelles. Cette étude a montré pour quatre locuteurs de l’anglais américain, que l’augmentation de l’ouverture de la mandibule était un corrélat qui véhiculait de façon efficace l’emphase contrastive. Le croisement des données articulatoires mesurées avec des tests de perception auditive a en effet montré que plus l’augmentation de l’ouverture de la mandibule était importante plus la perception acoustique de l’emphase était bonne.

On pourra simplement regretter le fait que toutes ces études aient été effectuées pour le même jeu de phrases prononcées certes par des locuteurs différents mais dans lesquelles seuls deux mots différents (chiffres five et nine i.e. cinq et neuf) ont été analysés. Les analyses n’ont donc porté que sur deux mots différents aux propriétés syntaxiques identiques et variant simplement de position dans un groupe nominal décrivant un nombre à trois chiffres. Ces études n’ont donc pas couvert un grand domaine des possibilités de variabilité de l’anglais.

L’étude Erickson et al. [2000] remédie en partie à ce problème puisqu’elle confirme les résultats obtenus mais pour un nouveau corpus. Le but de cette étude était de comparer deux voyelles (avant ou arrière) sous emphase contrastive : /i/ et /æ/. Cette étude est d’autant plus intéressante qu’elle a été menée pour un grand nombre de locuteurs de l’anglais américain (45). Deux analyses ont été réalisées en parallèle : une acoustique et une articulatoire. Il en ressort que les pics de F0 et l’ouverture de la mandibule sont les seuls paramètres pour lesquels il y a une différence significative entre voyelles dans les cas avec et sans emphase contrastive. Il apparaît que l’emphase est toujours accompagnée d’une augmentation de l’amplitude de l’ouverture de la mandibule sur la voyelle quelle

que soit sa nature (avant ou arrière). Enfin, les auteurs mettent en avant deux types de stratégies utilisées par les locuteurs. Certains locuteurs utilisent à la fois F0 et l’ouverture de la mandibule pour signaler l’emphase contrastive et d’autres n’utilisent que F0. Les pics de F0 obtenus pour ces derniers sont plus importants que pour les locuteurs utilisant aussi l’articulation pour signaler la focalisation.