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État de l’art sur les corrélats acoustiques de la focalisation contrastive prosodique en

Les corrélats intonatifs acoustiques de la deixis prosodique ou focalisation contrastive prosodique en français ont été étudiés à de nombreuses reprises (e.g. Touati [1987], Di Cristo [1998], Clech-Darbon

et al. [1999], Di Cristo & Jankowski [1999], Rossi [1999], Jun & Fougeron [2000], Astesano [2001] et Delais-Roussarie et al. [2002]). Il est en effet à la fois plus naturel et plus facile expérimentalement d’étudier les corrélats acoustiques de la focalisation contrastive que les corrélats articulatoires. Ceci explique que tant d’études se soient penchées sur les corrélats acoustiques en français comme d’ailleurs dans d’autres langues. Ces études ont abordé aussi bien l’analyse de l’élément focalisé lui-même que de l’élément post-focal. L’élément pré-focal n’a quant à lui été que très peu étudié.

B.1. Constituant focalisé

Les nombreuses études menées sur le sujet s’accordent pour dire que le constituant focalisé est marqué par une augmentation forte et soudaine de la fréquence fondamentale (F0) et/ou de l’intensité sur le syntagme focalisé (Dahan & Bernard [1996], Di Cristo [1998], Rossi [1999] et Jun & Fougeron [2000]).

Certaines études mettent en valeur une augmentation de la durée des syllabes focales (e.g. Dahan & Bernard [1996]) avec allongement encore plus important de la syllabe portant la focalisation et plus spécifiquement de la consonne d’attaque du constituant focalisé. Néanmoins, d’autres auteurs trouvent qu’il y a invariance de la durée des syllabes focales (Rossi [1999]).

B.2. Séquence post-focale

De façon générale, les auteurs ayant étudié la séquence post-focale concluent à une compression globale de la plage de variation de F0 et de l’intensité de la séquence post-focale. De nombreuses études rapportent la réalisation d’un plateau de F0 bas jusqu’à la fin de l’énoncé. Ce phénomène est appelé désaccentuation dans la littérature : tous les accents ou tons sont supprimés.

Di Cristo & Jankowski [1999] ont ainsi observé une réduction drastique de l’amplitude des variations de F0 mais sans élimination des contrastes tonals. Les auteurs soulignent cependant que cette observation a surtout été faite pour des énoncés complexes ou des séquences post-focales relativement longues. En effet, quand les énoncés sont simples, ils observent également un plateau bas ou légèrement descendant sur la séquence post-focale.

D’après Delais-Roussarie et al. [2002] la « désaccentuation » post-focale ne correspond pas forcément à une séquence uniformément plate. En effet, leur étude met en évidence trois réalisations prosodiques possibles pour la séquence post-focale en français selon deux dimensions : la longueur de la séquence focale et le statut informationnel de cette séquence. Lorsque la séquence post-focale est relativement courte, syntaxiquement simple et non informative, la séquence post-post-focale est réalisée par un plateau bas. Si la séquence post-focale est complexe et/ou qu’elle apporte un élément informatif nouveau, les auteurs observent une compression par rapport au patron tonal qu’on observerait pour la même séquence dans le cas neutre17. Enfin, lorsque la séquence post-focale est courte mais qu’elle apporte une information nouvelle, il y a décroissance constante de F0 jusqu’à la fin de l’énoncé (Delais-Roussarie et al. [2002]). Dans la même lignée, Astésano et al. [2004b] constatent que « en position post-focale, les patrons de F0 seraient aplatis ».

Néanmoins, selon la plupart des auteurs ayant étudié la question, cette désaccentuation n’est pas forcément synonyme de réorganisation prosodique de la séquence en question : l’information de marquage prosodique est toujours véhiculée par les indices temporels comme par exemple l’allongement de fin d’unité (Di Cristo [1998], Di Cristo & Jankowski [1999], Jun & Fougeron [2000] et Delais-Roussarie et al. [2002]). Di Cristo & Jankowski [1999] précisent même qu’il y aurait une tendance à contre-balancer la désaccentuation par un allongement final aux frontières syntaxiques exagéré par rapport au cas neutre.

De façon générale, on observe donc une désaccentuation de la séquence post-focale mais les informations de marquages prosodiques sont conservées grâce aux informations de durée (allongements finaux). Cette caractéristique est différente de ce que l’on peut observer en anglais, par exemple, où tous les types d’information de marquage prosodique (F0 et durée) sont effacés (Erickson & Lehiste [1995]).

17 Rappelons ici au lecteur que le terme cas neutre fait référence à ce que les linguistes nomment focalisation large (cf. la section Notes et indices de lecture au début de ce mémoire pour plus de détail sur ce choix de notation).

B.3. Autres corrélats

Dans la lignée des théories des linguistes du Cercle de Prague, Touati [1987] distingue, pour le français, focalisation et contraste comme deux cas de figure de la rhématisation18. Selon lui il existe des différences intonatives subtiles entre ces deux phénomènes pragmatiques. Dans les deux cas, il a analysé l’intonation de l’élément pré-focal (ou pré-contraste). Dans le cas de la focalisation, il observe une « montée de F0 d’ampleur réduite » pour l’élément directement pré-focal. Par contre, pour le contraste, il note que les montées tonales de l’élément pré-contraste « suivent la hiérarchie accentuelle mise en évidence dans l’énoncé neutre ». Astésano et al. [2004b] notent quant à eux une diminution de la durée de l’élément pré-focal. Jun & Fougeron [2000] observent de plus une réduction du nombre de frontières syntagmatiques.

Dans les langues en général, la focalisation contrastive prosodique semble donc mettre en valeur le constituant focalisé en rehaussant les paramètres prosodiques sur le constituant focalisé mais aussi en les diminuant sur les autres constituants voisins, stratégie notée par Lehiste [1970] et Erickson [1998] dans d’autres langues. Erickson [1998] (p. 166) écrit ainsi pour l’anglais:

It is as if emphasis were applied to the top of the prosodic hierarchy to affect everything in the sentence ; […] In acoustic studies, we see an increase of duration (among other things) on the unit receiving emphasis, and a decrease on the other ones. (« C’est comme si l’emphase [équivalent à notre focalisation contrastive] était appliquée au sommet de la hiérarchie prosodique pour tout affecter dans la phrase ; […] Les études acoustiques montrent une augmentation de la durée (parmi d’autres paramètres) de l’unité recevant l’emphase et une diminution pour les autres unités. »)

B.4. La focalisation constrastive dans le cadre du modèle

de Jun & Fougeron

Dans le cadre du modèle de Jun & Fougeron (Jun & Fougeron [2000]), la focalisation est marquée par un accent haut fort noté Hf (pour focalisation) suivi le plus souvent d’un plateau bas sur les syllabes de la séquence post-focale (jusqu’à la fin du SI). Hf remplace le plus souvent Hi comme dans le cas de la figure II.4 : dans le cas neutre (figure II.4.a) le SA central (i.e. le verbe ranima) est réalisé [LHiLH*] mais lorsque ce même SA est focalisé (figure II.4.b) il est réalisé [LHf] et on voit clairement que le pic Hf est porté par la syllabe [ni] comme le pic Hi du cas neutre. Néanmoins, selon Jun & Fougeron [2000], Hf peut également remplacer à la fois Hi et H* (i.e. la montée de F0 est portée par toutes les syllabes du syntagme et culmine sur la dernière syllabe). Après le ton Hf, la F0 diminue vers une cible tonale L le plus souvent atteinte sur la première syllabe du mot de contenu suivant. On voit ainsi assez clairement sur la figure II.4.b que la cible tonale L est atteinte sur la première syllabe du mot de contenu qui suit l’élément focalisé : le [ o] de jolie. La durée de la chute vers L est variable et dépend principalement de la position de Hf : elle est plus longue si Hf remplace Hi que s’il remplace H*.

18 La rhématisation est le processus par lequel un constituant de l’énoncé devient le rhème, autrement dit le focus ou commentaire ou encore prédicat psychologique.

Jun & Fougeron observent parfois une pause après la focalisation et la formation d’un nouveau SI aux variations de F0 identiques à celles observées dans le cas neutre. Il y a également parfois une réorganisation prosodique avec moins de frontières que dans le cas neutre. Enfin, Jun & Fougeron [2000] notent une conservation des informations de marquage prosodique de durée (allongements en fin de SA et de SI).

FIGURE II.4 - Suivi de F0 pour un SI comprenant 3 SA. a. (gauche) cas neutre. b. (droite) focalisation sur le SA verbal. On observe le remplacement de Hi par Hf, comme décrit par Jun & Fougeron.

L’énoncé est {[Romain]SA[ranima]SA[la jolie maman]SA}SI.

C. Analyse des corrélats acoustiques de la