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3 | DES TRAVAILLEUR.SE.S À BAS SALAIRES MOINS NOMBREUX.SES ET MIEUX RÉMUNÉRÉ.E.S Cette entrée par le haut de la hiérarchie des salaires au travers du positionnement relatif des plus

de réduction des inégalités Christophe Barret Arnaud Dupray

3 | DES TRAVAILLEUR.SE.S À BAS SALAIRES MOINS NOMBREUX.SES ET MIEUX RÉMUNÉRÉ.E.S Cette entrée par le haut de la hiérarchie des salaires au travers du positionnement relatif des plus

hauts diplômés ne rend pas compte des évolutions qui touchent ceux qui, à l’autre extrémité, sont les plus mal lotis. Il est ainsi intéressant d’étudier si la part des travailleurs à bas salaires9 s’est plutôt réduite ou a augmenté d’une génération à l’autre. Par rapport à l’ensemble d’une cohorte et conformément à la définition usuelle (Insee), on qualifie de travailleurs à bas salaires ceux dont le salaire net, primes incluses, est en deçà des deux tiers de la médiane de la distribution des revenus au sein de la génération.

Premier constat, la part de ces travailleurs a diminué entre 1997 et 2015 : alors qu’elle représentait 13,3 % des salariés occupés, elle se réduit à 9,4 % dans la dernière génération (tableau 3). Ce constat est à l’image de la réduction de la proportion des bas salaires observée sur l’ensemble de la population active entre la seconde moitié des années 1990 et les années 2010-2011 (Demailly, 2012). Deuxième observation, par rapport au seuil de bas salaires, le salaire médian de l’ensemble des jeunes à bas salaires est plus élevé en 2015 qu’en 1997 – en retrait de 26 % contre 33 % dix-huit ans plus tôt.

9 - À ne pas confondre avec la notion de travailleur pauvre qui fait référence à un individu qui travaille et qui appartient à un ménage pauvre. La pauvreté du ménage prend en compte l’ensemble des revenus perçus par ses membres (activité, patrimoine) en tenant compte de la redistribution (y compris prestations sociales) et net des impôts directs rapporté à la composition du ménage (en tenant compte des unités de consommation).

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Tableau 3 | Proportion de travailleurs à bas salaire par niveau de diplôme Taux de bas salaires par

Plus haut diplôme initial obtenu 1992 2010 1992 2010

Non diplômé-brevet seul 21,9 21,7 33,2 27,4

CAP-BEP-MC 17,9 15,9 34,5 26,8

Bac général 16,1 12,7 6,6 10,8

Bac pro techno 14,8 10,3 16,5 21,7

DEUG-BTS-DUT 4,6 3,7 5,7 5,7

Source : Céreq, enquêtes comparables Génération 1992, 1998, 2004 et 2010, interrogations à 5 ans.

Note de lecture : Pour la génération 1992, parmi l’ensemble des bas salaires, 33,2 % sont des non-diplômés et parmi l’ensemble des non-diplômés salariés, 21,9 % sont en dessous du seuil de bas salaire.

La réduction du volume des travailleurs à bas salaire peut s’expliquer en partie par la baisse des travailleurs à temps partiel dont la proportion passe de près de 33 % en 1997 à 26 % en 2015, affectant principalement les femmes. On peut estimer que la loi sur les 35 heures a également affecté ce mouvement, une partie des temps partiels à quotité horaire élevée ayant basculé à temps plein.

Dans chaque génération, la majorité des bas salaires se concentre dans les plus bas niveaux de formation : les non-diplômés et les niveaux V. Ceux-ci représentaient 68 % des jeunes à bas salaires en 1997, encore 54 % en 2015. La massification de l’accès au bac et la montée en puissance des bacs professionnels entre les deux générations, font que le poids des bacheliers parmi les bas salaires s’est considérablement accru d’une génération à l’autre. Dans la dernière, respectivement 11 et 22 % des bas salaires sont titulaires d’un bac général et d’un bac professionnel ou technologique, cas de seulement 7 et 16 % des travailleurs à bas salaires en 1997. Pour autant, le taux de bas salaires parmi les titulaires d’un bac professionnel ou technologique a fortement chuté (de 15 % à 10 %), alors qu’il concerne environ 22 % des non-diplômés en 2015 comme en 1997. Le poids des diplômés de DEUG-DUT-BTS parmi les bas salaires reste modeste à moins de 6 % et le contingent des diplômés de niveaux II et I est marginal que l’on se situe en 1997 ou en 2015.

D’une génération à l’autre, on observe des constantes dans les caractéristiques de ces salariés. Pour leur très large majorité, ils travaillent à temps partiel et le plus souvent subi, de 64 à 68 % selon la génération, enfin, avec un contrat précaire (emplois à durée déterminée). Pour plus de quatre sur dix, ils étaient employés d’une entreprise de moins de 10 salariés en 1997, cas encore de 28 % des salariés à bas salaires en 2015. Un cinquième est d’origine étrangère par au moins l’un des parents au sein de la dernière génération, c‘est-à-dire dans une plus forte proportion que dans l’ensemble de la population des jeunes actifs et que dix-huit ans auparavant parmi les bas salaires.

L’évolution la plus notable concerne la part des femmes, en retrait de 10 points en 2015 comparativement à la situation qui prévalait en 1997 où cette catégorie de travailleurs faiblement rémunérés était féminisée à près de 77 %.

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CONCLUSION |

À l’aune de l’ensemble d’une génération de sortants du système éducatif, le salaire réel médian a augmenté significativement en deux décennies, consécutivement à la translation vers le haut des niveaux de diplômes détenus, puisque plus de la moitié de la hausse relève de cet effet de structure.

Toutefois, on peut supposer que cette hausse aurait été encore amplifiée en l’absence d’une élévation du déclassement professionnel dans l’intervalle qui pénalise particulièrement les diplômés du supérieur (di Paola et Moullet, infra).

Par ailleurs, la différenciation des situations salariales en fonction du niveau de diplôme après cinq ans de vie professionnelle est moins marquée qu’elle ne l’était presque deux décennies auparavant.

Le mouvement de massification de l’accès à l’enseignement supérieur, combiné à un contexte économique peu dynamique depuis la crise de 2008, s’exprime dans un resserrement des salaires proposés aux jeunes débutants. Les plus diplômés ont perdu en pouvoir d’achat alors que les non et peu diplômés y ont plutôt gagné, constat pouvant relever en partie d’un effet de sélection accrue de ces derniers dans l’emploi pour la génération 2010. Par ailleurs, la législation sur le salaire minimum assure une certaine progression des plus bas salaires, tandis que la limitation des embauches liée au manque de perspectives économiques des entreprises et la moindre rareté de compétences produites par l’enseignement supérieur – comparativement à la situation deux décennies plus tôt, affectent plus directement les salaires des hauts diplômés. Ainsi, le gain escompté des études supérieures ne semble plus à la hauteur de ce qu’un jeune pouvait en attendre à l’orée des années 1990.

Cette nouvelle donne salariale tranche en apparence avec les données sur le taux d’emploi à cinq ans, dont la sensibilité au diplôme s’est considérablement accrue : plus de la moitié des non-diplômés sont sans emploi en 2015 pour seulement 5 % des diplômés de grandes écoles. Un aspect de plus en plus important de la valorisation des diplômes se situe donc dans l’accès et le maintien dans l’emploi, la rétribution salariale n’intervenant que dans un second temps.

Enfin, ces évolutions dans la hiérarchie des salaires s’accompagnent d’une réduction sensible de la part des travailleurs à bas salaires, lesquels présentent des situations salariales relativement moins dégradées dans la dernière génération que près de 20 ans auparavant. Plus souvent salariés de petites entreprises et majoritairement sans diplôme ou sortant avec un CAP-BEP, cette catégorie se recompose aussi au regard du genre et de l’origine. La part des femmes y diminue tandis que celle des jeunes d’origine immigrée s’accroît témoignant des difficultés particulières auxquelles sont confrontés ces jeunes sur le marché du travail (Brinbaum et Issehnane, 2015 ; Primon, infra). |

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L’attention portée à la relation formation-emploi depuis les années 1960 a conduit à une abondante littérature sur l’analyse de la correspondance des deux termes de cette relation. Tout un pan de cette littérature investigue cette relation sous l’angle du déclassement professionnel, à savoir le fait pour un individu d’avoir un niveau de formation initiale supérieur au niveau normalement requis pour le poste (Fondeur et Minni, 1999). Le déclassement y apparait comme un phénomène majeur des débuts de vie active au cours des quatre dernières décennies, faisant consensus quant à l’augmentation du déclassement des jeunes sur longue période (Cahuc, 2005), mais sujet à discussion concernant l’ampleur de sa progression (Duru-Bellat, 2009). Cette contribution vient nourrir ce débat.

En effet, celui-ci repose largement sur la difficulté de la mesure, supposant de qualifier le terme

« normalement » présent dans la définition. Les travaux anglo-saxons privilégient l’approche subjective laissant à l’individu le soin de se prononcer (Bodier et Crenner, 1997 ; Giret, 2005), mais on fait alors face à la difficulté inhérente d’interprétation des opinions, sensibles notamment au phénomène des préférences adaptatives (Sen, 1992). En France, la vision adéquationniste a prévalu depuis les travaux d’Affichard (1981) définissant ce que « devrait être » la correspondance entre formation et emploi. Toutefois, l’actualisation de la norme produite pose question (création de nouveaux diplômes d’une part, innovation technologique d’autre part) et la rend caduque car obsolète. Depuis les années 1990, c’est la mise en correspondance statistique mesurant la densité des liens formation-emploi comme proposé par Forgeot et Gautié (1997) qui est le plus souvent retenue. Cette mesure comme les précédentes est historiquement datée : un diplôme particulier correspond à un niveau d’emploi donné à une date donnée, différent à un autre moment du temps. Autrement dit, si on s’en tient à une mesure statistique, la correspondance observée est « la norme statistique du moment » (Duru-Bellat, 2009). En conséquence, le moment de l’observation de la correspondance entre les nomenclatures de diplômes et d’emploi est primordial, ainsi que la finesse des nomenclatures de formation (faisant apparaître ou non les spécialités de formation) et d’emploi. La confrontation des différentes mesures du déclassement fait également l’objet de divers travaux (Giret et al., 2006 ; di Paola et al., 2005 ; di Paola et Moullet, 2009) qui révèlent des taux de déclassement variant fortement d’une mesure à l’autre, invitant à s’interroger sur le sens de ces mesures.

Par ailleurs, aujourd’hui plus qu’hier, le diplôme protège du risque de chômage et son rôle sélectif s’accroît, le niveau de recrutement s’élevant d’une génération à l’autre. Ainsi, l’accès à l’emploi est toujours plus facile pour les plus diplômé.e.s, mais le « consentement » à se déclasser peut être d’autant plus fort que le chômage des jeunes est à un niveau élevé (phénomène de file d’attente ou d’escalier développé par Fondeur et Minni (1999)). L’ampleur du déclassement est de ce fait affectée par la conjoncture économique. La mesure du déclassement peut alors gagner à inclure à côté des niveaux d’emploi, la situation additionnelle de chômage.

Le déclassement :

un phénomène enraciné

Vanessa di Paola

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