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2 | UN TAUX DE DÉCLASSEMENT EN AUGMENTATION D’UNE COHORTE À L’AUTRE…

un phénomène enraciné Vanessa di Paola Stéphanie Moullet

2 | UN TAUX DE DÉCLASSEMENT EN AUGMENTATION D’UNE COHORTE À L’AUTRE…

Après cinq ans de vie active, la progression des taux de déclassement d’une génération à l’autre est manifeste. La part des jeunes déclassé.e.s passe de 11 % pour la génération 1992 à près de 17 % pour la génération 2010. Ceci est à relativiser au regard des dynamiques conjoncturelles qu’expérimentent les jeunes des différentes cohortes. Ainsi, les jeunes entrant sur le marché du travail en 1998 bénéficient d’une amélioration du contexte économique favorisant leur insertion professionnelle ; ils sont les seuls à présenter des taux de déclassement réduits (moins de 10 %). Parce que nous considérons le non-emploi dans la mesure du déclassement, cela contribue globalement à en augmenter l’ampleur.

En effet, pour toutes les cohortes, après cinq ans de vie active, ne pas être en emploi constitue une situation « atypique » caractéristique du déclassement, hormis pour les non-diplômé·e·s et les titulaires de CAP-BEP. La cohorte 1998 étant la moins fréquemment en non-emploi, mécaniquement, le taux de déclassement de cette génération s’en trouve réduit.

La part des jeunes déclassé·e·s est systématiquement plus élevée pour les diplômé·e·s de l’enseignement supérieur comparativement à l’ensemble des débutant·e·s. Au bout de cinq ans d’expérience, les taux de déclassement progressent passant de 20 % pour la génération 1992 à 28 % pour la génération 2010.

L’augmentation du déclassement d’une génération à l’autre s’observe pour chacun des niveaux de diplôme du supérieur à l’exception des diplômé.e.s d’écoles d’ingénieurs ou de commerce. Pour autant, l’ampleur du phénomène est loin d’être la même d’un diplôme à l’autre.

Ainsi, les moins déclassé.e.s sont toujours les sortant.e.s d’écoles d’ingénieurs ou de commerce. A contrario, les détenteur.rice.s d’une licence présentent à toutes les dates les taux de déclassement les plus élevés, jusqu’à près de 50 % pour la génération 2010. Toutefois, ce résultat est à prendre avec précaution du fait de la transformation de ce niveau de formation : d’une part, pour la génération 1992, le nombre de licencié.e.s était faible et d’autre part, aux licences générales sont venues s’ajouter en 1999 les licences professionnelles plus valorisables sur le marché du travail.

83 20 ans d’insertion professionnelle des jeunes : entre permanences et évolutions

La situation des diplômé.e.s du supérieur court après cinq ans de vie active du point de vue du déclassement se détériore au fil des cohortes. Fondeur et Minni notaient déjà en 2004 que face aux difficultés d’insertion, ces jeunes « se tournent vers des emplois «déclassés» mais pour lesquels leur diplôme leur confère un avantage par rapport à la majorité des candidats : ils optent pour une file d’attente au sein de laquelle ils sont en meilleure position pour accéder à l’emploi » (p. 93).

Au sein de chacune des générations, et en cinq ans, les diplômé.e.s de troisième cycle et doctorat voient leur déclassement varier modérément d’une génération à l’autre, alors même que la part de ces diplômé.e.s s’est accrue de 83 % de la génération 1992 à 2010 (passant de 6 % à 11 % des sortants) et que le poids de la catégorie cadre n’a quant à lui augmenté que de 38 % (cf. tableau 2). On se serait donc attendu à une forte croissance du déclassement pour cette catégorie de diplômé.e.s. Telle n’est donc pas le cas, et cela tient à la définition du déclassement retenue ici. En effet, cette définition fonde le déclassement sur la structure des diplômes de la génération 1992. Or, les niveaux de troisième cycle et doctorat ont connu sur la période une évolution importante en nombre (par le passage au LMD notamment). Ainsi, la définition en n’intégrant pas la multiplication de ces diplômé·e·s conduit à des situations de déclassement des troisième cycle et doctorat moins fréquentes qu’une définition qui « internaliserait » le développement de ce niveau de formation. En effet, en se multipliant, ces diplômes se dévalorisent d’une génération à l’autre.

Tableau 3 | Évolution du déclassement à l’emploi à 5 ans selon le niveau de formation et pour les 4 générations

G1992 G1998 G2004 G2010

Ensemble de la génération 11,1 9,7 14,3 16,7

Ensemble sup 20,0 15,7 25,1 28

Bac+2 21,2 13,5 27,4 31,3

Licence 29,8 40,2 43,9 49,7

Maitrise/M1 24,4 18,8 25,4 29

Écoles ingénieurs/commerce 12,4 3,3 12,4 10,9

3e cycle, doctorat 16,3 10,8 13,7 18

Source : Céreq, enquêtes comparables Génération 1992, 1998, 2004 et 2010, interrogations à 5 ans.

Lecture : en 1992, 16.3 % des titulaires d’un diplôme de troisième cycle universitaire étaient déclassé.e.s.

CONCLUSION|

L’analyse du déclassement des jeunes sur vingt années conduit à montrer l’amplification du phénomène d’une cohorte à l’autre. Toutefois, ce résultat général est à nuancer selon le niveau de formation. Comme attendu, les formations sélectives de niveau bac+5 protègent relativement aux autres du risque de déclassement, quand les formations du supérieur court sont les plus enclines à conduire à des situations de déclassement.

Ces résultats tiennent à une montée de l’offre de diplômé.e.s plus rapide que la demande d’emplois qualifiés, d’autant plus que ces jeunes n’ont que cinq ans d’expérience professionnelle. Par ailleurs, la pénurie d’emplois, importante sur la période couverte par l’ensemble des enquêtes – à l’exception de la génération 1998 – contribue aussi à accentuer l’ampleur du déclassement puisque le non-emploi est ici intégré comme une situation de désajustement de la relation formation-emploi. |

Céreq Essentiels 84

85 20 ans d’insertion professionnelle des jeunes : entre permanences et évolutions

De la « qualité de l’emploi »

Le fonctionnement du marché du travail français a peu à voir avec ce qu’il était 20 ans auparavant.

Qu’il s’agisse de l’organisation du temps de travail ou de la nature du contrat de travail, les transformations économiques ont conduit à une remise en cause de l’unicité de la norme d’emploi à durée indéterminée et à temps complet. Après une relative stabilité pendant une dizaine d’années, les formes temporaires d’emploi sont reparties à la hausse à partir de 2010, plus particulièrement pour les individus les plus récemment entrés sur le marché du travail et les moins qualifiés (Gaini, Zamora, 2016). La croissance d’un chômage de masse, le développement des formes particulières d’emploi tels que l’intérim, l’emploi à durée déterminée, le temps partiel, s’inscrivant aux marges des catégories traditionnelles de l’emploi typique, touchent tout particulièrement les jeunes entrant.

es sur le marché du travail (Baumann et al., 2016). Leur situation se caractérise aussi par un « sur-chômage » durable, par une instabilité chronique des débuts de carrière et/ou de leur parcours professionnel. Entre 1992 et 2010, le taux de chômage des 15-24 ans passe de 17 % à 23 %, la part d’emploi à durée indéterminée pour cette même classe d’âge décroît de 67 % à 49 % (INSEE, enquête Emploi). Une telle évolution des systèmes d’emploi contribue à brouiller les frontières entre emplois

« primaires » (stable et avec de bonnes conditions de travail) et emplois « secondaires » (Doeringer, Piore, 1971), puisque se développent des segments d’emploi caractérisés de « secondaire stable » (Gadrey, 1990) et de « primaire supérieur » se concentrant sur les plus diplômé.es (Moncel, 2012).

Les conséquences de cette fragmentation des périodes d’emploi pour les jeunes s’expriment plus largement dans leur intégration sociale (accès au logement, à la formation, à des compétences transférables, etc.). La jeunesse peut, dans ce contexte, difficilement être envisagée comme un état ou un processus continu mais, dans une période de vie marquée par le poids des incertitudes, comme

« un segment du parcours de vie particulièrement riche en transitions d’un statut vers un autre, en renouvellement des articulations entre le biographique et le social, en intrication des diverses sphères de la vie, en transformations personnelles, en encadrements sociaux également » (Becquet, Bidart, 2013, p. 52). Alors que l’on identifiait auparavant des seuils qui faisaient passer de l’état de jeune à celui d’adulte, apparaît aujourd’hui une dissociation des étapes ainsi que leur réversibilité. Une réflexion peut alors être engagée sur la teneur des normes qui marquent les parcours des jeunes, en considérant leur pluralité, leur variabilité selon les sphères de la vie sociale, les milieux sociaux, le genre, les niveaux et types de formation et leurs usages par des jeunes qui tendent à s’y conformer ou à y renoncer. Ainsi, « même dans des situations de précarité qui les rendent improbables, la référence à la norme de l’emploi salarié à durée indéterminée, ou encore le projet de «monter sa boite» un jour restent des balises, des perspectives, des moteurs d’action » (ibid.).

La diversification des parcours, associée aux évolutions et à la pluralité des normes dont les jeunes sont porteur/euses, invitent alors à une approche multidimensionnelle de l’emploi des débutants, intégrant tout à la fois des dimensions objectives de « qualité » d’emploi et subjectives d’appréciation de la situation de travail. Nous proposons donc dans ce chapitre de nous interroger sur la façon dont les jeunes débutant.es ont intériorisé l’évolution de leurs conditions d’insertion et des normes d’emploi. Pour ce faire, nous analyserons les représentations et jugements portés par les jeunes

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