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travail et augmentation des maladies professionnelles

Outre l’alcool, le tabac, les conduites routières dangereuses et le suicide, une dernière cause, l’exposition aux risques professionnels, est susceptible de participer à l’écart d’espérance de vie entre hommes et femmes. Les hommes exercent plus souvent des métiers physiquement pénibles et risqués dans des mauvaises conditions d’hygiène et de sécurité (Gollac, Volkoff, 2000). Il est difficile de mesurer précisément la part des expositions professionnelles dans les causes de décès, notamment dans les cancers, car cela suppose de connaître l’ensemble des expositions et la durée de ces expositions auxquels les individus ont été soumis tout au long de leur carrière.

Les statistiques de la Caisse nationale d’assurance maladie nous renseignent cependant sur le nombre de décès reconnus comme directement imputables au travail. En 2005, il y a eu 474 décès par accidents du travail, 440 par accident de trajet – entre le domicile et le lieu de travail – et 493 décès liés à une maladie professionnelle1 (493), soit 1407 au total. Ces données ne sont malheureusement pas disponibles pour les hommes et les femmes séparément. Mais, même en faisant l’hypothèse – peu vraisemblable – que tous les décès pour causes professionnelles sont masculins, cela représenterait moins de 2% des décès prématurés chez les hommes. Comme les statistiques officielles de la délinquance, ces données n’enregistrent que les accidents et les maladies reconnus par le système d’assurance des travailleurs salariés, et occultent tous les décès qui n’ont pas été officiellement déclarés, puis reconnus comme directement liés au travail (Daubas-Letourneux, Thébaud-Mony, 2001). En raison d’une temporalité différente, le biais de déclaration des accidents du travail – dont les conséquences sont immédiates – est certes moindre que celui de la non-reconnaissance des maladies professionnelles – dont les atteintes à la santé s’observent généralement

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Pour une discussion de la notion de « maladie professionnelle » à travers l’exemple de la silicose, voir Rosental (2009).

sur le long terme –, mais il est certain que ces statistiques sous-estiment l’ampleur des risques professionnels (Hamon-Cholet, 2001).

Figure 1.6 – Nombre de décès par accident du travail, par maladie professionnelle et par accident de trajet (1987-2009)

Champ : France, salariés du régime général de la sécurité sociale (c’est-à-dire salariés agricoles exclus)

Source : Statistiques de la Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS) d’après Irdes, Eco-Santé France

En termes d’évolution, on constate cependant une forte baisse des décès par accident du travail et par accident de trajet depuis le début des années 1990 (Figure 1.6). Cette tendance n’est pas spécifique à la France. Alors que les Etats-Unis connaissaient des taux particulièrement forts d’accidents du travail et de maladies professionnelles, les risques se sont réduits de plus d’un tiers dans le secteur privé au cours des années 1990, période de forte croissance économique. Ce « miracle » américain tient à l’intégration des questions de santé et de sécurité au travail dans les investissements des entreprises,

afin de réduire les coûts extrêmement élevés d’indemnisation dans une logique restant foncièrement productiviste (Askenazy, 2004)1.

En appariant les données de la Caisse nationale d’assurance maladie et les déclarations annuelles de données sociales pour les salariés du régime général de la Sécurité sociale, la Dares a pu produire des statistiques sur les accidents du travail selon le sexe, l’âge et le groupe professionnel (Tableau 1.3). En 2007, pour un million d’heures de travail, les hommes ont connu en moyenne 30 accidents, soit presque le double du nombre d’accidents chez les femmes (16,3). On constate notamment que les femmes sont moins exposées que les hommes aux accidents dans les catégories d’ouvriers, mais surtout chez les employés. Et les différences entre hommes et femmes sont extrêmement marquées aux âges jeunes, auxquels les accidents du travail sont plus fréquents.

En France, alors que le nombre de décès par maladies professionnelles était très faible – représentant moins de 0,10 décès pour 10 000 salariés –, les reconnaissances par le régime général de la Sécurité sociale ont augmenté depuis la fin des années 1990 (Figure 1.6). Il ne faut certainement pas lire dans cette tendance une dégradation proportionnelle de la santé des travailleurs, mais bien davantage une reconnaissance institutionnelle plus fréquente des facteurs professionnels dans la survenue de maladies, notamment celles induites par l’amiante. En 2007, 90% des cancers reconnus comme maladie professionnelle ont pour origine les poussières d’amiante. Il s’agit essentiellement de cancer broncho-pulmonaire et de mésothéliome malin de la plèvre. Ce sont les hommes ouvriers du secteur du bâtiment qui ont été soumis aux expositions les plus importantes à l’amiante. Le diagnostic n’intervenant qu’après une longue période de latence, 96% des malades de l’amiante sont âgés de 50 ans et plus (Euzenat, 2010).

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« Sans débat public, et même si certaines entreprises n’ont pas cherché à améliorer la situation de leurs salariés, les “forces de marchés” et la contrainte financière ont fait passer de nombreuses entreprises américaines d’un équilibre nocif (faible investissement sur la sécurité et la santé / fort coût des accidents et des maladies) à un équilibre vertueux (sensibilisation / coût maîtrisé) » (Askenazy, 2004, p.75).

Tableau 1.3 – Taux de fréquence des accidents du travail selon le sexe en 2007

En nombre d’accidents par million d’heures salariées

Hommes Femmes Total Catégorie socioprofessionnelle Cadres supérieurs 2,7 4,3 3,2 Professions intermédiaires 6,8 6,1 6,5 Employés 30,0 17,0 20,6 Ouvriers 49,6 41,6 48,2 Age 15-19 ans 63,7 28,5 52,1 20-29 ans 40,6 18,8 31,3 30-39 ans 29,4 15,1 23,7 40-49 ans 25,0 15,7 21,2 50-59 ans 20,5 14,9 18,2 60 ans ou plus 13,7 11,7 12,9 Ensemble 29,7 16,3 24,3

Champ : France, salariés du régime général présents dans les DADS (Déclarations annuelles de données sociales) de l’Insee.

Source : Statistiques de la CNAMTS. Calculs de la Dares (Direction de l’animation, de la recherche, des études et des statistiques)

D’après Insee, 2011, p.93

Lecture : pour un million d'heures de travail, les femmes ouvrières ont connu en moyenne 41,6 accidents du travail en 2007.

Des estimations du nombre de certains cancers professionnels ont été réalisées par l’Institut de veille sanitaire (InVS), ce qui permet de mesurer la sous-reconnaissance des maladies professionnelles. A partir des « fractions attribuables » à des facteurs professionnels rapportées dans la littérature, Ellen Imbarnon (2003) a estimé la proportion de certains cancers chez les hommes, dont l’origine professionnelle est avérée. Ainsi, le nombre de cancers du poumon dus à une exposition cancérogène au cours de la vie professionnelle était compris en 1999 entre 2713 et 6053 cas incidents et entre 2433 et 5427 décès. Cette année-là, seuls 458 cancers du poumon ont été reconnus et indemnisés au titre des maladies professionnelles par la Caisse nationale d’assurance maladie. Cette forte sous-estimation est aussi constatée pour les cancers liés à l’amiante (297 mésothéliomes reconnus contre 550 cas estimés, 438 cancers broncho-pulmonaires reconnus contre au moins 2000 cas estimés) et pour le cancer de la vessie (7 indemnisations pour 625 à 1110 cas estimés).

D’après les calculs effectués par la Dares, les femmes ont plus souvent droit à la reconnaissance d’une maladie professionnelle, en raison de la forte prévalence féminine

des troubles musculo-squelettiques1 (Tableau 1.4). Pour dix millions d’heures de travail, les femmes ouvrières se sont vues reconnaître en moyenne 68 maladies professionnelles et les femmes employées 13, contre respectivement 26 et 5 pour les hommes. En revanche, d’après le taux moyen d’incapacité partielle permanente, les maladies professionnelles des femmes sont moins graves que celle des hommes.

Tableau 1.4 – Le risque de maladies professionnelles reconnues selon le sexe en 2007

En nombre de maladies professionnelles pour dix millions d’heures salariées

Hommes Femmes Total Catégorie socioprofessionnelle Cadres supérieurs 0,8 1,2 0,9 Professions intermédiaires 1,2 2,4 1,8 Employés 4,6 12,6 10,4 Ouvriers 26,1 68,1 33,2 Ensemble 13,5 16,4 14,7 Indice de gravité 164,7 66,2 124,5

Taux moyen d’incapacité partielle permanente

(IPP) des maladies professionnelles avec IPP 19,2% 10,2% 16,1%

Champ : France, salariés du régime général de sécurité sociale présents dans les DADS (Déclarations annuelles de données sociales) de l’Insee.

Source : Statistiques de la CNAMTS. Calculs de la Dares (Direction de l’animation, de la recherche, des études et des statistiques)

D’après Euzenat (2010)

Lecture : pour dix millions d’heures de travail, les femmes ouvrières se sont vues reconnaître en moyenne 68,1 maladies professionnelles (taux de fréquence). Pour dix millions d’heures de travail, toutes catégories socioprofessionnelles confondues, les femmes se sont vues reconnaître un taux moyen d’incapacité partielle permanente (IPP) de 66,2 (indice de gravité). Un taux d’IPP de 10,2 % a été notifié en moyenne aux maladies professionnelles avec IPP des femmes (taux moyen d’IPP des MP avec IPP).

Les risques masculins d’accidents du travail et de maladies professionnelles graves sont évidemment liés aux métiers plus pénibles et plus risqués que les hommes exercent plus fréquemment. Les femmes ont été historiquement écartées des conditions de travail les plus dures. A la fin du 19e siècle, des lois sont promulguées pour protéger les femmes – comme les enfants – des méfaits du travail industriel. A partir de 1874, les femmes n’ont plus le droit de travailler dans les mines. Elles ne peuvent plus travailler le dimanche2. En 1892, leur journée de travail est limitée à 11 heures. La loi de 1892

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Les troubles musculo-squelettiques représentaient 78% des maladies professionnelles indemnisées en 2007 (Euzenat, 2010).

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interdit également le travail de nuit des femmes dans l’industrie. Comme le montrent Nora Natchkova et Céline Schoeni (2008) dans leur analyse de la législation internationale sur le travail de nuit des femmes entre 1919 et 1934, deux raisons permettent d’expliquer pourquoi cette interdiction devait être réservée aux femmes, y compris pour les organisations syndicales :

« Outre l’argument phare de la protection de la santé des prolétaires, l’interdiction du travail de nuit établit une norme de la journée de travail au-delà de laquelle l’activité professionnelle, réservée aux seuls hommes, est dotée d’une plus grande valeur marchande et sociale. Ceci nous amène au deuxième enjeu de l’interdiction du travail de nuit des femmes. Par extension et à l’inverse, comme les femmes sont “protégées” du travail professionnel de 22h à 5h du matin, leurs activités reproductives deviennent une prérogative. Autrement dit, la norme qui découpe selon l’appartenance sexuée l’organisation de la journée de 24 heures, repose et perpétue à la fois l’ordre social. Elle rend possible – et facilite – la double journée de travail pour les ouvrières. La préoccupation de laisser du temps aux femmes pour qu’elles puissent vaquer à leurs occupations au foyer même lorsqu’elles exercent une activité professionnelle est présente dans toutes les interventions des représentant-e-s ouvriers et gouvernementaux et préside aux protestations contre le déplacement de l’intervalle de nuit à la tranche horaire de 23h à 6h du matin. Il s’agit d’ajuster au mieux les horaires de travail des salariées pour parer à une trop grande désorganisation du foyer et permettre aux femmes d’organiser la maisonnée avant leur départ en usine » (Natchkova, Schoeni, 2008, p.124).

C’est donc en raison de leur rôle domestique que la « protection » des femmes à l’égard du travail de nuit semble s’être historiquement imposée1. Au nom de l’égalité professionnelle entre hommes et femmes, l’interdiction du travail des femmes a toutefois été supprimée en 2001, entérinant la forte progression du travail de nuit et du soir chez les femmes, rendue possible par des assouplissements législatifs à la fin des années 1980 (Bué, 2005).

Au total, on peut penser que les expositions professionnelles jouent certainement un rôle dans la mortalité masculine, même si elles sont difficilement quantifiables. De nos jours, ce rôle est sûrement moindre qu’il n’a pu l’être par le passé. En effet, les décès par accident du travail et par accident de trajet ont considérablement baissé depuis le début des années 1990. Les maladies professionnelles reconnues sont certes en augmentation, mais on peut supposer que la plupart se déclarent longtemps après l’exposition physique, chimique ou biologique, et contribuent donc assez peu aux

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L’argument de la conciliation entre vie professionnelle et vie familiale fait d’ailleurs écho à la justification politique du travail à temps partiel au moment de sa reconnaissance législative au début des années 1980 en France (Maruani, 2003).

différences entre hommes et femmes en matière de mortalité prématurée. Enfin, même si les métiers et les secteurs d’activité restent fortement ségrégés, exposant les hommes et les femmes à des risques professionnels différents, l’exemple du travail de nuit suggère cependant un rapprochement entre hommes et femmes pour certaines conditions de travail, dont les effets sont sus délétères pour la santé des travailleurs. A partir de l’échantillon longitudinal de mortalité de 1975, Jacques Vallin (1995) a montré en effet que les différences professionnelles entre hommes et femmes, en matière de statut d’activité et de groupe socioprofessionnel, ne jouent pas un rôle central dans la surmortalité masculine.

III - Un avantage féminin réduit au regard de