• Aucun résultat trouvé

II - L’explication par les causes de décès

1) Une surmortalité masculine maximale entre 20 et 65 ans

En matière de mortalité, la « force du sexe faible » – pour reprendre le titre du chapitre de Marie-Hélène Bouvier-Colle (1996) –, ou à l’inverse la « faiblesse du sexe fort », apparaissent clairement dans l’évolution des rapports de surmortalité masculine par âge depuis 1820 (Figure 1.4).

1

En Russie, les morts violentes recouvrent quatre causes principales : les accidents de la route, les empoisonnements – y compris les « empoisonnements accidentels à l’alcool » –, les suicides et les homicides.

Figure 1.4 – Surmortalité masculine par âge en France depuis 1820

Source : INED, Graphique du mois n°14, d’après : Vallin J., Meslé F., Tables de mortalité françaises (2001) pour les courbes de 1820 à 1994 et INSEE, Situation démographique (2001, 2005) pour la courbe 2000-2004

La surmortalité selon le sexe est mesurée par le rapport des quotients de mortalité masculin et féminin à chaque âge. En France, entre 1820 et 1824, ce rapport était très proche de 1 tout au long de la vie. En accord avec la description historique précédente, on observait seulement une légère surmortalité masculine avant 1 an et autour de 20 ans et une faible surmortalité féminine pendant l’enfance et autour de 30 ans. Outre le maintien de ces tendances avant l’âge de 20 ans, la période 1900-1904 est caractérisée par l’apparition d’une surmortalité masculine aux âges actifs, entre 30 et 60 ans. Dans les années 1950, la surmortalité masculine est générale, elle s’observe désormais à tout âge. Se dessinent déjà deux pics de surmortalité masculine vers 15 ans et vers 55 ans, mais les rapports des quotients masculin et féminin restent encore inférieurs à 2. Au cours des années 1970, la surmortalité masculine s’est fortement accentuée entre 20 et 60 ans (Vallin, 2002). Elle progresse jusqu’en 1990-1994, ce qui correspond à la période pendant laquelle l’écart d’espérance de vie à la naissance entre hommes et femmes atteint son maximum en France. A cette époque, la mortalité masculine est plus de 3 fois supérieure à la mortalité des femmes à 20 ans, et près de 2,5 fois supérieure à 60 ans. Au début des années 2000, on constate une baisse de la surmortalité masculine entre 20 et 65 ans. Mais à ces âges, la mortalité des hommes reste encore au moins double à celle des femmes. C’est donc principalement entre 20 et 65 ans qu’il faut

rechercher les causes de la surmortalité masculine. Examinons pour cela les causes de décès.

2) L’importance des causes de décès évitables

En 2005, les tumeurs sont la première grande cause de décès chez les hommes. Elles représentent 34% des décès. Viennent ensuite les maladies de l’appareil circulatoire, qui comptent pour près de 26% de la mortalité masculine, puis les causes externes, comme les accidents et les suicides, qui sont responsables de 8,4% des décès, et les maladies respiratoires avec une part de 6,7% des décès (Tableau 1.1). Chez les femmes, les maladies cardio-vasculaires constituent la première cause de décès avec un part de 31%, les tumeurs représentent près d’un quart des décès. A un niveau moindre, de l’ordre de 6-7% des décès féminins, on trouve les symptômes et états morbides mal définis, les maladies de l’appareil respiratoire, les maladies du système nerveux et les causes externes.

De manière plus détaillée, on s’aperçoit que les tumeurs de l’appareil respiratoire et de l’appareil digestif, dont le tabac et l’alcool sont des facteurs de risque connus, représentent 38 360 décès chez les hommes – soit 14,4% de l’ensemble des décès masculins – contre seulement 11 167 décès chez les femmes – soit 4,4% (Tableau 1.1). Il est à noter que les tumeurs du sein, des ovaires et de l’utérus comptent pour 6,8% des décès féminins, quand le cancer de la prostate joue un rôle moindre dans la mortalité masculine (3,4% de l’ensemble des décès chez les hommes). Concernant les maladies de l’appareil circulatoire, les hommes meurent davantage de cardiopathies ischémiques que les femmes, mais ces dernières apparaissent particulièrement à risque de mourir d’autres cardiopathies et de maladies cérébrovasculaires. Enfin, les femmes sont certes un peu plus nombreuses à mourir à cause d’une chute accidentelle ou des suites d’une chute, notamment aux âges élevés, mais la mortalité des hommes par accident de transport et par suicide est trois fois supérieure à celle des femmes.

Tableau 1.1 – Principales causes de décès des hommes et des femmes en 2005

Hommes Femmes Effectif % Effectif % Maladies infectieuses et parasitaires 4999 1,8 4904 1,9

dont : SIDA 628 0,2 199 0,1

Tumeurs 92106 34,0 63301 24,6

dont : Tumeurs malignes 88778 32,8 60104 23,4

Tumeur maligne de la lèvre, de la cavité buccale et

du pharynx 3358 1,2 746 0,3

Tumeur maligne de l’œsophage 3258 1,2 668 0,3

Tumeur maligne de l'estomac 3045 1,1 1789 0,7

Tumeur maligne du foie et des voies biliaires

intrahépatiques 5457 2,0 1882 0,7

Tumeur maligne du larynx, de la trachée, des

bronches et du poumon 23242 8,6 6082 2,4

Tumeur maligne du sein 201 0,1 11308 4,4

Tumeur maligne de l'utérus ou des ovaires 6277 2,4

Tumeur maligne de la prostate 9099 3,4

Maladies du sang et des organes hématopoïétiques 942 0,3 1205 0,5 Maladies endocriniennes, nutritionnelles et

métaboliques 8318 3,1 10965 4,3

dont : Diabète 5391 2,0 5905 2,3

Troubles mentaux et du comportement 7195 2,7 9864 3,8

dont : Abus d’alcool (y compris psychose alcoolique) 2387 0,9 622 0,2

Pharmacodépendance, toxicomanie 141 0,1 28 0,0

Maladies du système nerveux et des organes des sens 10970 4,1 15401 6,0 Maladies de l'appareil circulatoire 70037 25,9 79802 31,1

dont : Cardiopathies ischémiques 22985 8,5 17612 6,9

Autres cardiopathies 18973 7,0 25274 9,8

Maladies cérébrovasculaires 14328 5,3 19578 7,6

Maladies de l'appareil respiratoire 18039 6,7 17017 6,6 Maladie de l'appareil digestif 12456 4,6 10720 4,2 Maladies de la peau et du tissu cellulaire sous-cutané 522 0,2 1229 0,5 Maladies du système ostéo-articulaire 1231 0,5 2343 0,9 Maladies de l'appareil génito-urinaire 4082 1,5 4298 1,7 Complications de la grossesse, accouchement et

puerpéralité 41 0,0

Affections dans la période périnatale 776 0,3 588 0,2 Malformations congénitales 795 0,3 685 0,3 Symptômes et états morbides mal définis 15480 5,7 19400 7,6

Causes externes 22682 8,4 15123 5,9

dont : Accidents de transport 4016 1,5 1361 0,5

Chutes accidentelles 2579 1,0 2753 1.1

Suicides 7826 2,9 2881 1,1

TOTAL 270630 100 256886 100

Champ : France métropolitaine

Toutes causes confondues, la principale différence entre hommes et femmes tient à la mortalité prématurée, qui désigne par définition la mortalité avant 65 ans. En 2005, 27% des décès masculins et 13% des décès féminins ont eu lieu avant 65 ans. Le risque de décéder avant 65 ans est donc deux fois plus élevé chez les hommes que chez les femmes. On peut également distinguer une mortalité « évitable » qui correspond aux décès qui auraient pu être évités – théoriquement – par des pratiques de prévention envers les comportements à risque, tels que le tabagisme, l’alcoolisme, les conduites routières dangereuses, les comportements violents… En 2005, la mortalité « évitable » représentait un quart des décès prématurés féminins, mais comptait pour près de 40% des décès masculins avant l’âge de 65 ans (DREES, 2009, p.80-81).

On constate en effet que les causes de décès et leur poids respectif dans la mortalité globale varient fortement avec l’âge (Tableau 1.2). Près de 44% des décès masculins survenus avant 25 ans sont des morts violentes, attribuables à des causes externes, contre moins de 25% des décès féminins aux âges jeunes. Entre 25 et 64 ans, 40% des décès masculins et 50% des décès féminins sont dus à des tumeurs, ce qui équivaut respectivement à 27715 hommes et 15558 femmes. A cet âge, les maladies de l’appareil respiratoire et les causes externes représentent chacune plus de 15% des décès masculins. Nous l’avons vu, les femmes connaissent elles aussi une mortalité cardio-vasculaire élevée, mais surtout après chez les 65 ans et plus, chez lesquels cette cause de décès est responsable de 34% des décès féminins.

La figure 1.5 représente la contribution par âge et par cause de décès aux différences d’espérance de vie entre hommes et femmes. Il convient d’abord de constater que les plus fortes différences concernent logiquement les âges élevés auxquels la majeure partie des décès ont lieu. Mais si les différences de mortalité après 65 ans contribuent pour environ quatre ans sur un écart total de sept ans d’espérance de vie, et même si la mortalité prématurée ne représente que 20% de l’ensemble des décès, les différences de mortalité avant 65 ans contribuent tout de même pour environ 3 ans à l’écart d’espérance de vie entre hommes et femmes, c’est-à-dire pour plus de 40% de l’écart total. Comme le montraient précédemment les rapports de surmortalité masculine par âge, le poids de la mortalité prématurée est donc indéniable dans les différences de mortalité selon le sexe.

Tableau 1.2 – Principales causes de décès par tranches d’âge en 2005

0-24 ans 25-64 ans 65 ans et plus Hommes Femmes Hommes Femmes Hommes Femmes

Tumeurs 7,7 10,3 40,5 50,4 32,5 21,3

Maladies de l'appareil circulatoire 2,6 4,1 15,7 11,2 30,0 34,1

Causes externes 43,9 24,4 15,9 12,0 4,8 4,8

Maladies de l'appareil respiratoire 1,4 1,9 2,6 2,4 8,2 7,3

Symptômes et états morbides mal définis 11,0 11,0 7,2 5,7 5,1 7,8

Maladie de l'appareil digestif 0,9 1,7 6,6 6,1 4,0 3,9

Maladies du système nerveux et des organes des sens 4,5 5,5 2,4 3,3 4,6 6,4

Maladies endocriniennes, nutritionnelles et

métaboliques 1,9 3,1 2,1 2,2 3,4 4,6

Troubles mentaux et du comportement 0,7 0,5 3,6 2,5 2,4 4,1

Maladies infectieuses et parasitaires 1,5 2,7 2,1 1,8 1,8 1,9

Maladies de l'appareil génito-urinaire 0,1 0,2 0,5 0,6 1,9 1,8

Maladies du système ostéo-articulaire 0,2 0,4 0,2 0,5 0,5 1,0

Maladies du sang et des organes hématopoïétiques 0,6 0,8 0,3 0,4 0,4 0,5

Malformations congénitales 8,0 11,9 0,4 0,7 0,1 0,1

Affections dans la période périnatale 14,9 21,3 0,0 0,0 0,0 0,0

Maladies de la peau et du tissu cellulaire sous-cutané 0,0 0,1 0,0 0,1 0,3 0,5

Complications de la grossesse, accouchements et

puerpéralité 0,1 0,1 0,0

TOTAL 100 100 100 100 100 100

Nombre de décès 5211 2755 68433 30908 196986 223223

Champ : France métropolitaine

Source : INSERM, CépiDc (d’après Irdes, Eco-Santé France)

Figure 1.5 – Contribution par âge et causes aux différences d’espérance de vie entre hommes et femmes en 2005

Contribution (années)

Champ : France métropolitaine

Source : DREES, 2009, p.77 d’après les données sur la mortalité et les causes de décès de l’INED et de l’INSERM

Lecture : En 2005, les différences de mortalité entre hommes et femmes de 55 à 59 ans ont contribué pour 0,5 an à la différence totale d’espérance de vie (sept ans en 2005). Cette contribution de 0,5 an se décompose en 0,25 an dû aux tumeurs, 0,10 dû aux maladies cardiovasculaires, etc.

Jusqu’à 50 ans, les différences de mortalité entre hommes et femmes sont quasi-exclusivement attribuables aux morts violentes. A partir de cet âge, la contribution des tumeurs et des maladies cardiovasculaires augmente, tandis que le poids relatif des morts violentes diminue. Ces différences sont dues pour l’essentiel aux effets néfastes des comportements masculins1:

« Le cas des tumeurs, qui jouent un rôle très important dans l’aggravation de la surmortalité masculine, est encore plus net puisque apparaissent au premier plan des causes de surmortalité masculine les tumeurs de l’appareil respiratoire, étroitement liées au tabagisme et aux nuisances industrielles, ou celles de l’œsophage, liées à l’alcoolisme. Les facteurs de comportement et d’environnement jouent ici de manière flagrante.

Ce sont enfin, sans contestation possible, ces mêmes facteurs qui engendrent les très fortes surmortalités masculines par accident, suicide, alcoolisme ou cirrhose du foie, surmortalités assez fortes pour que, malgré leur part assez secondaire dans la mortalité totale, ces causes de décès contribuent de manière non négligeable à la différence d’espérance de vie entre les sexes et à son aggravation » (Vallin, 2002, p.333).

Malgré la diminution des consommations d’alcool et de tabac chez les hommes et leur augmentation chez les femmes depuis plusieurs décennies, l’écart d’espérance de vie entre hommes et femmes a continué d’augmenter jusqu’au début des années 1990. Pour rendre compte de ce décalage temporel, il convient d’ajouter une seconde explication relative aux effets positifs des comportements féminins en matière de santé. En raison de leur rapport au corps et à la médecine2, les femmes ont en effet largement bénéficié des progrès médicaux à l’origine de la baisse spectaculaire de la mortalité cardio-vasculaire depuis les années 1970 :

« On comprend mieux ainsi comment l’écart d’espérance de vie entre hommes et femmes a pu continuer à se creuser à l’époque même où s’opérait un rapprochement des

1

Dans les années 1970, Ingrid Waldron (1976) avait identifié sept causes de décès qui permettaient d’expliquer les trois-quart de la surmortalité masculine aux Etats-Unis : les coronaropathies, le cancer du poumon, l’emphysème pulmonaire, la cirrhose du foie, les accidents de la route, les autres accidents et le suicide. Chacune impliquait les comportements masculins : « Each of the factors which we have identified as a major contributor to men’s excess mortality involves a behavior which is more socially acceptable for males than for females, for example aggressive competitiveness, working at physically hazardous jobs, drinking alcohol and, especially in the early part of the century, smoking cigarettes. The sex differential in smoking and alcohol consumption seems also to be linked to underlying attitudes, such as rebelliousness and achievement striving which are fostered to a greater extent in males » (Waldron, 1976, p.357).

2

Nous approfondirons cette question du rapport au corps des femmes à travers l’étude des représentations profanes de la santé (chapitre 2) et de la sur-morbidité féminine (chapitre 3).

comportements des deux sexes sur le terrain des vices masculins, les vertus plus fondamentales des femmes leur permettant de s’engager beaucoup mieux dans la seconde phase de la transition sanitaire » (Vallin, 2002, p.340).

3) L’exposition aux risques professionnels : baisse des accidents du