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Chapitre 2 – Du traumatisme au recours à l’acte

A. Traumatisme à l’adolescence : révélateur de traumas infantiles et de désorganisations

I. Défaillance précoce des imagos parentales

Winnicott nous a beaucoup appris sur l’importance de l’environnement extérieur pour que le sujet puisse se créer un environnement intérieur suffisamment stable et sécure. La mère, par le holding qu’elle propose, permet au petit enfant d’expérimenter son omnipotence, sa solitude, sa vie personnelle, lui permettant de « rassembler ses morceaux pour en faire une totalité, et

ainsi accéder au sentiment d’être, le sentiment d’être réel » (Winnicott, 1958, p.16). « Si tout se passe bien, la mère, en continuant à exister et à être disponible, est à la fois la mère qui reçoit la totalité des pulsions instinctuelles du petit enfant, et également la mère qu’on peut aimer comme une personne à qui l’on peut faire réparation. De cette façon, l’angoisse relative aux pulsions instinctuelles et les fantasmes de ces pulsions deviennent supportables pour le petit enfant, qui peut alors vivre la culpabilité ou qui peut la garder en suspens dans l’attente d’une occasion de réparation » (Winnicott, 1962, p.50). Le père n’a pas seulement

comme rôle de protéger la mère de la haine de l’enfant mais constitue une figure essentielle dans cet environnement extérieur, en endossant une part essentielle de la haine de l’enfant envers l’objet (Houssier, 2010). La mère doit être suffisamment bonne et le père suffisamment présent pour assurer à l’enfant qu’il est bien réel en lui procurant un sentiment de continuité. « C’est seulement lorsque la figure paternelle stricte et ferme est présente que

l’enfant peut retrouver ses pulsions d’amour primitives, son sens de la culpabilité et son désir de réparation » (Winnicott, 1972, p.72). Le père est « le garant de la légitimité de l’affiliation des enfants du groupe » (Héritier, cité par Rude-Antoine, 2004). Il permet la « permutation symbolique des places » (Legendre, 1985), par le passage d’une nomination à une autre place

dans le réseau et de la parenté et de l’alliance (Rude-Antoine, 2004, p.63).

L’objet premier est nécessaire au Moi en tant qu’objet narcissique. Il permet au sujet enfant d’éprouver l’harmonie qui sera en jeu lors du pubertaire, donnant le sentiment continu d’exister grâce au narcissisme qui maîtrise le pubertaire, dans le sens d’une « autoconservation narcissique » (Gutton, 2002). Durant l’enfance, le Surmoi se constitue, en

tant qu’instance libératrice de la contrainte parentale du quotidien (Gutton, 2002). Il deviendra un véritable élément statutaire à l’adolescence, devenant un partenaire moral exclusif.

Si les étayages narcissiques ne sont pas suffisamment bons, la capacité à créer des objets internes n’est pas autonome. Les défaillances des imagos parentales viennent activer des angoisses impensables, « agonies primitives » (Winnicott, 1958), plongeant le sujet dans des sensations archaïques de morcellement, d’isolement, d’incapacité à être seul. L’objet qui se dérobe durant l’enfance provoque une blessure narcissique plus ou moins ouverte : il est devenu traumatique ou persécuteur (Gutton, 2002). « Plus le parent est absent, défaillant, sur

un plan de réalité, plus il est présent et empiétant sur le plan psychique » (Touzanne, in

Villerbu et al., 2012, p.221). L’enfant cherche alors des solutions internes. Ces tentatives provoquent un épuisement accompagné d’un état de tension et de déplaisir intense (Winnicott, 1975). « Un état de détresse s’instaure si l’objet, c’est-à-dire l’environnement primaire, ne

répond pas de façon adéquate. Si cette situation dure trop longtemps, il débouche sur un état traumatique primaire. Il n’y aurait pas de recours possible à l’objet car c’est de l’objet lui- même que provient l’expérience agonistique » (ib., p.180). L’enfant se trouve dans

l’impossibilité de construire le sentiment continu d’exister. Roussillon (2012) ajoute que ce n’est pas tant la présence de l’objet primaire qui est en cause ici que son impossibilité à s’adapter aux besoins psychiques de l’enfant. L’enfant peut devenir « déprivé » (Winnicott, 1969) lorsqu’il est privé de certains caractères essentiels propres à la vie familiale, et qu’il a perdu de quelque chose de bon. « La définition complète de la déprivation couvre à la fois le

précoce et le tardif, à la fois le coup d’aiguille du traumatisme et l’état traumatique durable »

(ib., p.87).

L’enfant, privé trop tôt du soutien affectif et narcissique normalement assuré par les figures parentales, se trouve considérablement fragilisé. Ces fragilités vont se rejouer sur la scène pubertaire et constituer un des traumatismes auquel l’adolescent sera confronté.

II. Réactivation des traumas précoces lors de l’après-coup pubertaire

La période de l’adolescence met en scène et surtout en histoire le travail de confrontation et de dépassement des imagos parentales, des figures idéalisées de l’enfance. Ce processus permet d’accéder à une subjectivité mêlant interdits et désirs. L’adolescence, dans l’après- coup, déstabilise les assises identitaires et corporelles, interroge la dynamique du lien, qu’il soit sexuel, intergénérationnel, avec les pairs, ou des étrangers. Elle ne consiste pas en une

opération de rupture totale, en une autonomisation sans conservation de liens anciens (Mazoyer, 2012). « Toute tentative de se défaire brutalement de ses racines et de libérer ses

pulsions sans entraves ne peut que générer la destructivité (Chagnon et Marty, 2006, p.2).

Les remaniements identitaires-identificatoires révèlent la qualité de l’organisation psychique infantile et peut remettre en question l’équilibre précaire entre investissements narcissiques et objectaux, par la reviviscence des conflits archaïques et œdipiens. « Ce n’est pas de

réminiscences que souffre l’adolescent, mais d’expériences infantiles marquantes, qui ont pu éventuellement s’inscrire comme traumatismes, et sont restées refoulées ou clivées dans l’inconscient, tout ceci n’ayant pu se constituer en souvenirs. Si tous ces événements sont restés inscrits dans l’inconscient sous forme de traces mnésiques, l’après-coup de la puberté donne une autre saveur à ces événements » (Benyamin, 2009, p.270).

La réactualisation des désirs œdipiens liée au pubertaire met en jeu l’identification aux parents œdipiens fragilisée ou inexistante, qui se retrouve dans l’incapacité de résister à l’impact de la pression pulsionnelle. La qualité des soins corporels maternels et l’expérience pulsionnelle suffisamment entretenue par la mère permettent à l’adolescent de se confronter aux changements corporels imposés par la puberté. « Quand la perte de la relation corporelle

à la mère n’est pas relayée par un processus de deuil et de symbolisation, il y a une plus grande probabilité de vivre les changements génitaux de la puberté comme une menace de relation fusionnelle imaginaire au corps de la mère. Le corps est vécu comme persécuteur ; il est haï puisqu’il rappelle la perte de l’enfance et du fantasme tout-puissant de bisexualité, auquel le fait des organes génitaux matures, masculins ou féminins, oblige à renoncer »

(Grieve, 2009, p.57). Le corps adolescent représente alors le danger de la perte du corps infantile, ne permettant pas d’avoir accès à la « propriété du corps » (Winnicott puis Laufer), considéré comme processus de personnalisation permettant la localisation du self dans le corps propre. Cette perte menace le Moi entraînant une possible rupture avec la réalité, rupture apparaissant ici comme défense. Le danger auquel est confronté le Moi pendant la puberté ne relève donc pas tant de l’intensité des pulsions mais de l’angoisse mobilisée par les changements physiques (Laufer, cité par Grieve, 2009). Cette menace révèle l’importance de la relation affective corporelle entre la mère et son bébé. Ce dernier va l’internaliser et se l’approprier comme base d’une expérience subjective du rapport émotionnel au corps (Laufer, 2002).

Lors de défaillances précoces des imagos parentales, le risque est que l’après-coup pubertaire ne puisse plus jouer son rôle de refiguration du temps infantile, fixant l’adolescent à ces traces

mnésiques infantiles. « Les conflits objectaux, qui remettent en cause l’intégrité de la

personne soit sous la forme de reviviscences de l’angoisse archaïque de morcellement, soit sous la forme de l’angoisse œdipienne de castration, la première sous-tendant la seconde. La remise en cause des relations aux imagos entraine la remise en cause de l’estime de soi »

(Kestemberg, 1999, p.62). Cette remise en cause se joue majoritairement dans des difficultés relationnelles, qu’il s’agisse de relation à autrui ou à son corps propre. S’ajoute une incompétence du Surmoi à gérer la scène pubertaire du fait des défaillances, qui introduit une désadaptation provisoire, susceptible de durer tant que les processus de subjectivation adolescents ne seront pas suffisamment développés (Gutton, 2002). Lorsque l’environnement initial s’est montré imprévisible, incontrôlable, voire terrifiant, lorsque perdurent des relations de trop grande proximité, excitantes, fusionnelles, le processus de séparation-individuation à l’adolescence se trouve freiné voir empêché. Lors de relations d’objets défectueuses, l’enfant ne peut intérioriser une imago maternelle suffisamment structurelle et rassurante, qui lui permettra de pallier à l’absence de la mère et de maintenir une continuité subjective. Ces défaillances impactent le processus d’adolescence dans sa temporalité. « Plus la psyché se

trouve débordée par le caractère traumatique de l’effraction pulsionnelle, plus elle tend à se fixer, à régresser aux modalités archaïques de l’enregistrement de la trace mnésique, perdant ainsi la possibilité de mettre en tension le présent avec l’historique dans un authentique effet d’après-coup élaboratif et temporellement structurant » (Blanchard et al., 2009, p.397)

pouvant plonger l’adolescent dans un vécu d’atemporalité.

L’avènement du pubertaire confronte également la famille à des aménagements. Au-delà de la révélation et de l’interrogation de la qualité des identifications de l’adolescent, le pubertaire agit aussi comme révélateur et interrogateur de la qualité des assises narcissiques des parents telles qu’elles ont pu se constituer dans leur enfance, se remanier à travers leur processus adolescent et telles qu’elles ont déjà pu se mettre en jeu dans la relation précoce avec leur enfant. La défaillance de l’environnement passe par l’incapacité à décoder et interpréter les signes d’angoisse de l’enfant devenu adolescent qui confronte perpétuellement à la nécessité de trouver un cadre interne à même de supporter les attaques destructrices, permettant la survie de l’objet (Houssier, 2012, p.370). Le surgissement du temps biologique provoque une discontinuité radicale du côté de l’adolescent et de ses parents. « L’autonomie temporelle

vient se désaccorder avec l’organisation temporelle familiale, pouvant entrainer des résistances familiales contre l’émergence du mouvement de subjectivation temporelle de l’adolescent, dans un gel du Temps » (Blanchard et al., 2009, p.390). Ce gel du temps

provient de la nécessité d’un maintien du statu quo infantile pour la famille, figeant tout mouvement évolutif. L’échec de la temporalisation empêche d’accéder à un refiguration narrative des temps (Ricoeur, 1983). Cet échec confronte l’adolescent à un dégagement « d’une régulation externe de son propre vécu temporel, le plongeant dans un Temps non

sécure, non connu, perdant le caractère reproductible du temps infantile, provoquant un « déracinement temporel » (Blanchard et al., 2009, p.391). L’après-coup pubertaire ne lui

permet par de resignifier sa propre temporalité, plongeant alors l’adolescent dans une impasse du processus de temporalisation pubertaire, « à la fois en le protégeant du « traumatisme

temporel » de l’après-coup pubertaire, tout en l’enfermant dans une uniformisation détemporalisante au niveau du champ psychique » (ib.). Les défaillances des imagos

parentales entrainent des traumatismes dysrythmiques précoces se réactivant à l’adolescence. « L’adolescent reste captif d’un étayage externe de sa propre temporalité, sans pouvoir

accéder à une véritable auto-organisation temporelle qui serait sous-tendue par la reconnaissance de désirs personnels, parfois contradictoires avec les projections des objets externes » (ib., p.396). La relation aux parents peut également apparaître au moment du

pubertaire dans un lien parent et enfant « desexistentiel » (Gutton, 2002), s’inscrivant dans un couple humiliant/humilié. L’enfant devenu pubère se trouve en difficulté de construire son adolescence, alors que le parent dresse de façon trop rigide la bannière des organisations psychiques infantiles et porte un regard lourd de mépris sur le corps pubère et ses agissements.

Les défaillances précoces dans la relation aux imagos parentales ne permettent pas la mise en place d’assises narcissiques sécures et stables, entravant l’appropriation par l’adolescent des apports nécessaires au développement de ses potentialités et de ses compétences. La massivité des traumatismes narcissiques cumulatifs génère des souffrances narcissiques et identitaires. Le lien primaire avec l’objet, insuffisamment bon, révèle à l’adolescence une organisation psychique infantile précaire, la nécessité de s’en défendre prend alors des formes extrêmes (Chagnon, 2013).

Au-delà de la violence de l’adolescence, qui permet un traitement du traumatisme primaire de la sexualité infantile, l’avènement du pubertaire pourrait proposer un traitement des traumatismes infantiles dus aux défaillances des relations aux objets fondamentaux. Que viennent alors dire les traumatismes vécus durant l’adolescence et la violence de certains adolescents, qu’elle soit agie ou subie, de ces traumatismes précoces ?

III. Traumatisme et recours à l’acte à l’adolescence : révélateur des traumas infantiles ?

La révélation des traumatismes infantiles, traumatisme de l’après-coup, de la sexualité, de l’effraction d’un corps génital, peut s’accompagner d’une réminiscence des carences dans le lien aux imagos parentales. Ces carences ravivent les agonies primitives de l’infantile, les rejouant sur la scène pubertaire. Pour se protéger de la détresse, l’adolescent se précipite dans l’agir ou la décharge par le corps. « Les sensations de disparition, d’annihilation,

d’éclatement, de liquéfaction ou de pertes de substances corporelles sont au cœur des éprouvés somato-psychiques de certains sujets dans l’incapacité d’être seuls » (Audibert, in

Winnicott, 1958, p.24). L’adolescent, du fait d’assises narcissiques peu sécurisantes, d’une déstabilisation du Moi, tente de trouver auprès des objets externes une sécurité qu’il ne peut trouver à l’intérieur de lui-même (Jeammet, 2002). Le recours à l’acte est alors un moyen d’échapper à la menace de disparition de soi-même, devant un environnement primaire fait de retraits brusques d’investissement maternel et un manque d’investissement paternel (De Becker, 2009). L’acte apparaît comme une rupture dans le processus d’élaboration de nouveaux repères sur la place narcissique-identitaire et sur le plan objectal-identificatoire (Jeammet, 1997). Cette configuration est souvent retrouvée chez les adolescents transgresseurs. La recherche d’une compréhension des violences sexuelles subies à l’adolescence nous a beaucoup confrontés à cette clinique, tentant d’appréhender la question de la prise de risques abordée précédemment. Cette prise de risques dans les comportements adolescents voit ici un éclaircissement. L’enfant s’est vu imposer des pertes trop soudaines ou trop précoces dans les échanges narcissiques primaires. Il n’a pu se constituer un environnement intérieur sécure et stable. Ses enveloppes psychiques assurent mal leurs fonctions de contenance. La mentalisation fait défaut. Les angoisses d’abandon et d’intrusion, classiques à l’adolescence, font à nouveau effraction chez les adolescents n’ayant pu bénéficier d’un environnement extérieur suffisamment bon et présent. La violence de l’adolescence apparaît à de multiples niveaux et déborde totalement l’adolescent. « Le

traumatisme signe la défaillance de l’inscription du sujet dans une chaîne symbolique, il fait un trou renvoyant le sujet à un point d’inexistence, de déchet devant l’irruption d’un réel non symbolisable, exclu de toute subjectivation » (Raoult, 2006, p.14). L’acte a dès lors valeur de

restauration, apparaissant comme une tentative de trouver réponse à une impasse logique. Dans la clinique des adolescents transgresseurs, c’est surtout l’inaccessibilité de l’imago paternelle et l’envahissement de l’imago maternelle qui est soulignée dans la paralysie de la

pensée de ces adolescents qui se sauvent par un recours à l’acte (Balier, 1996). La compulsion de répétition observée chez certains peut s’entendre alors comme une suspension du temps, avec un après-coup qui reste dans un rapport de causalité figée avec le passé (Feder, 2001). « Tout échec de l’intériorisation entraine un contre-investissement parallèle des objets

externes et de leur réalité perceptive, renforçant d’autant le vécu de dépendance et sa conflictualisation » (Jeammet, 1994, p.705). Bien souvent, cette lutte contre des imagos

traumatiques inconscientes parentales et transgénérationnelles s’observe lors du travail avec ces adolescents, qui attaquent de manière incessante et destructrice le cadre (Taine et al., citant Jeammet, 2015). Ces agirs peuvent s’entendre comme des tentatives répétées de trouver une réponse à des angoisses irreprésentables, à des états de détresse envahissants et désarmants, impossibles à symboliser, et se substituent à une rencontre objectale.

Le recours à l’acte à l’adolescence, pas seulement par des actes transgressifs mais aussi par des comportements comportant une certaine part de risque, pourrait être paradoxalement une tentative de traitement des traumatismes de l’adolescence, en convoquant ce qui n’a pu être résolu antérieurement. Par le traitement de l’acte actuel, l’adolescent invite les traumatismes anciens sur le devant de la scène pubertaire. La violence subie pourrait donc constituer à la fois un révélateur des traumatismes infantiles, en les donnant à voir, et une tentative de résolution de ces traumas. « Dans ces contextes, le passage à l’acte autodestructeur, et

l’exhibition de ces effets, témoigne d’une offre sacrificielle mobilisant le regard de l’autre, son intérêt, voire son tourment, par une tentative de captation visuelle par l’accrochage perceptif » (Chabert, 1999, p.59). Les mises en acte itératives signent une tentative de

figuration du conflit : « figuration qui s’étaye sur la perception dans l’appel au regard de

l’autre et qui peut offrir une base tangible à un processus d’intériorisation à venir » (ib.,

p.61). Ce qui montre l’importance de se pencher sur les significations défensives de ces recours aux actes et surtout à qui ils s’adressent.

« Penser les passages à l’acte comme une production certes coûteuse et douloureuse,

mais comme une production psychique, en soutenant l’espoir qui les anime, en reconnaissant les affects qui les alimentent, et les représentations qu’ils tentent à la fois d’éviter et de montrer, me paraît une voie d’accès utile pour qu’un jour ils soient abandonnés » (ib., p.62).

IV. Traumatisme à l’adolescence : révélateur de désorganisations ?

C’est surtout le travail de Roman (2004) qui met en lumière la place de la violence sexuelle, qu’elle soit agie ou subie, dans le processus adolescent. Il interroge les modalités de cette violence dans la contribution à l’adolescence, de ce qu’elle participe dans les remaniements identitaires, autour des enjeux liés à l’appartenance sexuée, et dans les remaniements identificatoires, autour des enjeux liés à la redéfinition des liens entre les générations.

Il pose le traumatisme de la violence sexuelle comme une rupture dans le processus d’élaboration de nouveaux repères, tant sur le plan narcissique-identitaire et objectal- identificatoire. La rencontre avec l’étrangeté de l’expérience adolescente trouve une issue dans la mise à l’épreuve sur le corps de l’autre, soit en l’agissant soit en la subissant. La violence de l’adolescence est surtout la violence faite au Moi. La violence agie ou subie intervient comme défense contre la menace sur l’identité que représente l’investissement pulsionnel de l’objet chez un sujet dont les assises narcissiques ne sont pas assez consolidées pour se rapprocher de manière sécure de l’objet. L’adolescence représente alors surtout le révélateur de l’insécurité interne du sujet (Jeammet, 2002). Ciccone (cité par Calamote, 2014) évoque la part bébé du soi dans le traumatisme sexuel. Le sujet cherche à configurer et qualifier son expérience en faisant appel à ses expériences de bébé, radicales, de grande ampleur, à la mesure de la catastrophe vécue. Les « aspects bébés sont particulièrement

mobilisés ou réveillés dans certains contextes générateurs de souffrance, de douleurs, d’angoisses non élaborées ». Couraud (cité par Roman, 2004) en propose une lecture

transgénérationnelle. La violence à l’adolescence témoigne d’une tentative de séparation avec les imagos parentales, et notamment avec l’emprise d’un parent imaginaire, la violence remettant en chantier ces imagos. En ce sens, la violence sexuelle peut être comprise comme un organisateur paradoxal du processus adolescent (Roman, 2004), mobilisant conjointement pulsion de vie et pulsion de mort.

La dimension sexuelle trouve une explication en lien avec l’appétence traumatophillique de Guillaumin. Ce besoin de traumatisme se manifeste face au corps pubère qui menace, séduit, persécute l’adolescent. Les traumatismes cumulatifs des expériences douloureuses de l’enfance et le traumatisme pubertaire révèlent un Moi vulnérable, une déception insupportable ou l’émergence de désirs ressentis comme incontrôlables (Jeammet, 2000). Le Moi peut déployer des tactiques défensives à son égard : la destruction par le suicide ou l’automutilation, la neutralisation de l’érogénéité génitale du corps par l’assouvissement (compulsions masturbatoires) qui « peut aller jusqu’à une attaque biologique, qui déborde les

signes de la puberté : le corps tout entier en ses fonctionnements devient victime » (Gutton,