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Violences sexuelles subies à l'adolescence : quelle(s) potentialité(s) du trauma ? : processus psychiques en jeu lors du temps judiciaire chez des adolescentes victimes présumées de violences sexuelles

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Academic year: 2021

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Texte intégral

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HAL Id: tel-01617139

https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-01617139

Submitted on 16 Oct 2017

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Violences sexuelles subies à l’adolescence : quelle(s)

potentialité(s) du trauma ? : processus psychiques en jeu

lors du temps judiciaire chez des adolescentes victimes

présumées de violences sexuelles

Mélanie Dupont

To cite this version:

Mélanie Dupont. Violences sexuelles subies à l’adolescence : quelle(s) potentialité(s) du trauma ? : processus psychiques en jeu lors du temps judiciaire chez des adolescentes victimes présumées de violences sexuelles. Psychologie. Université Sorbonne Paris Cité, 2015. Français. �NNT : 2015US-PCB169�. �tel-01617139�

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Université Paris Descartes

Ecole doctorale 261 « Cognitions, Comportements, Conduites Humaines »

Laboratoire de Psychologie Clinique, Psychopathologie, Psychanalyse (PCPP) - EA4056

Violences sexuelles subies à l’adolescence :

quelle(s) potentialité(s) du trauma ?

Processus psychiques en jeu lors du temps judiciaire chez des

adolescentes victimes présumées de violences sexuelles

Mélanie DUPONT

Thèse de doctorat de psychologie clinique

Dirigée par le Professeur François MARTY

Présentée et soutenue publiquement le 13 novembre 2015 devant un jury composé de : M. le Professeur François Marty Université Paris Descartes Directeur de thèse Mme le Professeur Magali Ravit Université Lyon 2 Rapporteur M. le Professeur Houari Maïdi Université de Franche-Comté Rapporteur M. le Professeur Philippe Robert Université Paris Descartes Examinateur M. le Professeur Florian Houssier Université Paris 13 Examinateur

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RESUME

Cette recherche a pour objectif de clarifier les processus psychiques et la dynamique personnelle en jeu lors du temps judiciaire pour des adolescentes déclarant des violences sexuelles subies, dans le souci d’appréhender le potentiel institué par le trauma.

La méthodologie de cette recherche s’appuie sur une approche phénoménologique qui permet d’explorer la nature intrinsèque du sujet et de son expérience. Des entretiens semi directifs avec ces adolescentes ont été retranscrits et analysés selon deux méthodes : une analyse lexicométrique par logiciel informatique et une analyse de contenu.

En questionnant ce que vient révéler le trauma des violences sexuelles subies à l’adolescence de l’histoire de vie du sujet, cette recherche fait apparaître deux schémas de compréhension :

- l’après-coup pubertaire réveille des traumas infantiles refoulés, sans pouvoir en proposer une résolution du fait des défaillances des objets internes. Le recours à l’acte traumatophillique apparaît comme possible issue, prenant la forme de la violence sexuelle subie. Ce trauma secondaire réactive les traumas primaires en en permettant un traitement, à travers la transformation du temps judiciaire en potentielle inscription de ces adolescentes dans une historicisation.

- la violence sexuelle subie met à jour la problématique pubertaire par l’effraction du sexuel. La culpabilité des victimes provient de leur confusion face à leur désir adolescent. La mise sur la scène publique s’inscrit alors dans une quête de reconnaissance de leur désir génital.

La violence sexuelle subie à l’adolescence est porteuse d’un potentiel créatif, dans la tentative de résolution qu’elle propose des conflits intrapsychiques amenés par l’après-coup pubertaire.

MOTS-CLES : Traumatisme – après-coup – sexualité – recours à l’acte – prise de risque – enquête pénale

Sexual abuse during adolescence : what potentiality(ies) of the trauma ?

Psychic processes during judicial time for teenagers alleged victims of sexual abuse

ABSTRACT

The objective of this research is to clarify the psychic processes and the personal dynamics at play during judicial time for teenagers declaring suffered sexual abuse, in order to explore the potential established by the trauma.

The methodology leans on a phenomenological approach which allows to investigate the intrinsic nature of the subject and its experience. Semi directive interviews with these teenagers are retranscribed and analyzed according to two methods : a lexical analysis by software and a content analysis.

By questioning what the trauma of suffered sexual abuse in the adolescence comes to reveal about the life story, this search lightens two ways of understanding :

- the afterwards of the pubertal wake repressed infantile traumas, without being able to propose a resolution because of the failures of the internal objects. The resort to the traumatophillique act appears as a possible outcome, taking the form of the suffered sexual violence. The secondary trauma revives the primary traumas and allows their treatment, by the transformation of judicial time into a potential inscription of these teenagers in a historicization.

- The suffered sexual violence brings to light the pubertal problematic, by the sexual breaking. The guilt feeling of the victims results from their confusion in front of the adolescent desire. The exposure on the public scene comes in quest for admission of their genital desire.

The suffered sexual abuse in the adolescence carries a creative potential, as an attempt of resolution that she proposes for the intrapsychics conflicts brought by the pubertal afterwards.

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Remerciements

Mes premiers remerciements s’adressent au Professeur François Marty pour avoir été présent dès le début de cette réflexion, réflexion qui a débuté lors d’une rencontre à un colloque, il y a quelques années maintenant... Tout au long du parcours doctoral, son accompagnement et sa confiance rassurants, son recadrage lors des moments d’égarement, ont permis à ce travail d’aboutir.

Mes remerciements à Madame le Professeur Magali Ravit, à Monsieur le Professeur Houari Maïdi, à Monsieur le Professeur Florian Houssier et à Monsieur le Professeur Philippe Robert d’apporter leur regard scientifique sur ce travail en me faisant l’honneur d’avoir accepté d’être membres de mon jury de soutenance.

Je remercie les adolescentes qui ont accepté de livrer une part d’elle-même à un moment de fragilité particulière, ainsi que leurs parents. Ce travail leur est adressé, dans le souci de pouvoir apporter des éléments de réflexion supplémentaires à l’approche thérapeutique et l’aide qu’il peut leur être offertes.

Je tiens à remercier très particulièrement l’équipe avec laquelle je travaille depuis maintenant de nombreuses années : le Dr Caroline Rey-Salmon, le Dr Paul Messerschmitt, Patricia Vasseur, Michèle Myara, Blandine Mailleux, Bernadette Leblond. Cette équipe a construit ma carrière professionnelle et a rendu possible ce travail de recherche. Au quotidien, elle me montre l’importance du travail pluridisciplinaire. L’objet de notre travail et les problématiques que nous rencontrons renvoient parfois une souffrance insoutenable, la qualité des liens que nous avons établis permet d’être disponible pour accueillir cette souffrance. C’est un plaisir de travailler avec vous.

Un remerciement tout particulier à Caroline Rey-Salmon pour son soutien indéfectible, sa présence rassurante et protectrice, et surtout son amitié. Le cadre de travail qu’elle m’offre est d’une préciosité sans nom.

Je remercie mes deux acolytes de travail : Marianne Sanchez et Charlotte Gorgiard, pour leur regard critique, leur rappel incessant du cadre et leur écoute bienveillante. Mes remerciements

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s’adressent également à Damien Fouques et Rafika Zebdi pour m’avoir montrée le chemin de la thèse.

Je remercie Marion Mouret, qui est apparue telle un sauveuse dans le brouillard, en m’apportant un regard méthodologique sur l’analyse des résultats.

Une pensée pour Philippe Drewski, mon collègue de thèse, et Eléonore Pintaux, qui nous soutient tous deux depuis le début de l’aventure. Ainsi qu’à Clarisse Bernardon pour sa relecture patiente.

Merci à Marine de me remettre toujours les pieds sur terre.

Merci à tous mes précieux amis et ma famille qui, sans le savoir, construisent mon équilibre et renforcent ma pulsion de vie. Merci à tous ceux qui m’ont accueillie au cours de ce travail de thèse, à Ouessant, à Montréal, à Port Cros.

Enfin, et tout particulièrement, je remercie mes parents pour leur transmission de valeurs et d’ouverture de pensées, de leur confiance inébranlable, de leur présence rassurante, de leur disponibilité et de leur croyance en mes capacités. S’il existe un attachement secure, c’est bien celui-là !

Cette recherche doctorale met à l’épreuve un florilège de compétences, d’affects, de cognitions ; elle bouscule, déstabilise, agite, paralyse, construit. Les mouvements sont multiples. Le cadre de ce travail, qui se révèle très individuel, mobilise au final tout l’être social. Merci à tous.

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Le temps, cet océan mouvant, mystérieux, grandiose et puissant que je vois autour de moi, en moi, partout en un mot, quand je médite sur le temps. C’est le devenir. Le temps s’écoule, qu’il passe, qu’il fuit d’une façon irrémédiable,

mais aussi qu’il avance, qu’il progresse, qu’il s’en va vers un avenir indéfini et insaisissable.

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Chaque individu est engagé dans une expérience, celle de vivre. Dans un problème, celui d’exister.

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Table des matières

REMERCIEMENTS 3

TABLE DES MATIERES 8

INTRODUCTION 12

REVUE DE LITTERATURE 15

Chapitre 1 - Particularités des violences sexuelles subies à l’adolescence 16

A. Quelques repères d’ordre épidémiologique 16

I. Les violences sexuelles 16

II. Contexte des violences sexuelles à l’adolescence 17

III. La révélation 18

IV. L’information aux autorités judiciaires 19

B. Les conséquences des violences sexuelles à l’adolescence 20

I. Conséquences neurobiologiques 20

II. Conséquences psychopathologiques 21

III. Conséquences sociales 22

IV. Rôle de l’environnement 22

Chapitre 2 – Du traumatisme au recours à l’acte 25

A. Notions autour du traumatisme psychique 25

I. Eléments d’histoire 25

II. Le traumatisme psychique 27

B. Du trauma infantile au traumatisme de l’adolescence 31

I. De la puberté au pubertaire vers l’adolescens 31

II. Violence de l’adolescence 33

C. Processus psychique à l’œuvre à l’adolescence 37

I. La dépendance 37

II. La dépression 39

III. La honte et la culpabilité 41

D. De l’agir à l’acte jusqu’à la prise de risques 45

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II. Mentalisation et défaut du travail du préconscient 49

III. L’appétence traumatophillique 51

Chapitre 3 – Traumatisme à l’adolescence : potentiel créateur ? 56

A. Traumatisme à l’adolescence : révélateur de traumas infantiles et de désorganisations 56

I. Défaillance précoce des imagos parentales 56

II. Réactivation des traumas précoces lors de l’après-coup pubertaire 57 III. Traumatisme et recours à l’acte à l’adolescence : révélateur des traumas infantiles ? 61 IV. Traumatisme à l’adolescence : révélateur de désorganisations ? 63

B. Traumatisme à l’adolescence : pourvoyeur créatif ? 65

Chapitre 4 - La violence sexuelle dans le langage judiciaire et victimologique 70

A. Le système judiciaire 70

I. Rappels légaux 70

II. Le système judiciaire français 72

III. La temporalité judiciaire 74

IV. La Justice restaurative 78

B. Victimologie 80

I. Le statut de victime 80

II. Les typologies de victimes 82

C. Réparation et résilience 84

I. La réparation comme concept psychanalytique 84

II. La réparation judiciaire 86

III. De la réparation judiciaire à la réparation thérapeutique 88

IV. La résilience 91

D. Le système judiciaire dans la violence sexuelle subie à l’adolescence : tiers institutionnel ? 93

METHODOLOGIE ET RESULTATS 98

Chapitre 1 – Constats préalables 98

A. Cadre de travail 98

B. Confrontation à la réalité clinique 99

I. Données épidémiologiques 99

II. Données des expertises pédopsychiatriques 106

III. Conclusion de ces constats préalables et pistes de réflexion 111

IV. Contre-transfert lors des consultations 113

Chapitre 2 - Méthodologie 116

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I. Objectif 116

II. Hypothèses 116

B. Méthodologie 119

I. Une approche phénoménologique 119

Le fait et l’évènement 119

La phénoménologie 120

Les limites de l’approche phénoménologique 123

II. Recueil des données 124

Population 124

Changements dans la méthodologie initiale 124

Recueil des données – méthodologie finale 125

Difficultés dans le recueil des données 127

III. Analyse des données 129

Analyse lexicométrique 130

Analyse de contenu 130

Chapitre 3 - Résultats 138

A. Présentation des adolescentes rencontrées et analyse des entretiens à T1 138

I. Célestine 138

Présentation 138

Analyse lexicométrique 141

Analyse de contenu 148

Conclusion de ces deux analyses 153

II. Amélie 156

Présentation 156

Analyse lexicométrique 159

Analyse de contenu 167

Conclusion de ces deux analyses 175

III. Khadija 178

Présentation 178

Analyse lexicométrique 180

Analyse de contenu 187

Conclusion de ces deux analyses 194

IV. Mathilde 197

Présentation 197

Analyse lexicométrique 198

Analyse de contenu 207

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B. Comparaison des entretiens au début de l’enquête – T1 226

I. Analyse lexicométrique 226

II. Analyse de contenu 232

Conclusion de ces deux analyses 239

C. Comparaison des entretiens de Khadija 242

I. Analyse lexicométrique 242

II. Analyse de contenu 249

Conclusion de ces deux analyses 261

D. Comparaison des entretiens de Mathilde 266

I. Analyse lexicométrique 267

II. Analyse de contenu 271

Conclusion de ces deux analyses 295

DISCUSSION 300

Observation du processus adolescent 301

La violence sexuelle subie comme révélateur et traitement des traumatismes infantiles 301 La violence sexuelle subie comme révélateur du processus adolescent 311

Autres éléments de discussion 320

CONTRE-TRANSFERT ET IMPACTS POUR LA PRATIQUE 323

DIFFICULTES, BIAIS ET LIMITES DE LA RECHERCHE 327

ETHIQUE 330

CONCLUSION 332

INDEX DES NOMS PROPRES 334

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INTRODUCTION

Dès les prémisses de mon approche de la psychologie, l’intrication psyché-soma fût au cœur des interrogations, inscrivant ma pratique et mon cadre conceptuel dans une psychologie des réalités, en accordant une place importante à la réalité externe pour appréhender la réalité interne du sujet. Cette pratique s’est rapidement centrée sur le trauma lors d’attaques du corps, d’abord avec la brûlure, puis avec les violences physiques subies, attaques du corps s’immisçant dans le lien à l’Autre, intrusion, effraction, abolition des barrières corporelles. Après une confrontation à une réalité clinique d’une petite dizaine d’années auprès d’enfants et d’adolescents victimes présumées de violences physiques, psychologiques ou sexuelles, inscrits dans une procédure judiciaire, au sein d’une Unité Médico-Judiciaire (UMJ), plusieurs questionnements ont émergé. J’imaginais faire la rencontre avec le trauma de manière « classique » : un événement dramatique confrontant le sujet à l’effroi, à la mort, le propulsant dans toute une symptomatologie signant les traces du trauma. La réalité clinique fût tout autre, notamment lors de la rencontre avec des adolescents victimes de violences sexuelles durant leur adolescence et surtout devant la multitude des contextes de comportements initiaux à risque de la part des adolescents victimes intervenant dans la survenue des violences sexuelles. Chaque rencontre laissait l’impression que le trauma était à la fois la résultante des violences sexuelles et aussi une force agissante avant la survenue de ces violences et réactivée par ces dernières. Comme si la violence sexuelle subie à l’adolescence n’était pas simple attaque du corps par un Autre mais aussi le signe d’une attaque inconsciente du corps par l’adolescent lui-même. Comme si, avec son corps génitalisé, l’adolescent s’attaquait inconsciemment pour traduire toutes les angoisses ravivées par l’adolescence, pouvant se rapprocher des concepts autour de l’agir, apparaissant comme ultime tentative de communication pour faire entendre leur souffrance. L’impression aussi que le trauma résultait surtout de ce que les violences sexuelles subies engendraient comme réactions extérieures, en venant révéler des traumas antérieurs qui n’avaient pu trouver d’issue et que les violences sexuelles actuelles venaient mettre en lumière et tenter de résoudre.

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Parallèlement à ces constats, l’observation des attitudes des professionnelles, de santé ou de justice, a également interrogé sur ce que viennent dire ces adolescents par leurs comportements. Certaines réactions adultes sont en miroir des comportements adolescents : dénégation, banalisation, irritabilité et parfois provocation. La prise de risque est souvent soulignée, donnant l’impression que l’insupportable et l’impensable pour les adultes n’est pas ici le trauma mais l’impuissance et l’échec de la protection des adultes. L’observation de mes propres réactions contre-transférentielles dans le rapport aux adolescents et aux professionnels met à jour la sidération, le rejet, l’agressivité, ou au contraire une profonde empathie, voire sympathie, qui connaissent de multiples déplacements. Ces mouvements contre-transférentiels sont souvent massifs, immédiats, brutaux, mettant en jeu la qualité de l’attachement et des relations précoces, en renvoyant souvent la part enfant du sujet et venant questionner la part adulte et maternel/paternel du professionnel.

La vocation de l’UMJ et son impact sur le sujet questionnent également. Une UMJ est un service auxiliaire de justice, transmettant des informations médicales à l’autorité requérante dans le cadre d’enquêtes pénales. Elle pourrait être considérée comme un simple lieu de constatations. Les adolescents pourraient être compris et être tentés d’être compris seulement par les faits qui les résument, alors même qu’ils se trouvent inscrits dans des temporalités pouvant s’entrechoquer : temps psychique de l’adolescence, temps psychique de l’événement, temps psychique de la génitalisation, temps judiciaire… Une UMJ est également un service où règne la violence : violence des faits, violence des patients, violence de leur souffrance, violence des mots…

Après une première approche de la problématique – plus semblable à une quête active de sens des interventions médico-légales, par l’accrochement au concept de réparation, comprise aujourd’hui comme une tentative pour sortir de l’insupportable et de la passivité renvoyés par les adolescents –, et après une prise de distance avec l’objet, ce travail de recherche doctorale donne la parole aux adolescents grâce à une approche mêlant une méthodologie d’inspiration phénoménologique, dans le souci de comprendre un phénomène perçu par « réduction

phénoménologique » que nous mettons ensuite au regard d’une lecture psychanalytique. La

temporalité de la recherche a permis d’adopter la posture de chercheur qui consiste à partir des questionnements issus de la pratique pour aller vers la théorie, en se laissant interpeller par l’objet et en quittant les idées préconçues et les croyances. L’approche psychanalytique est privilégiée, tout en faisant appel à des outils issus d’autres champs de la psychologie, avec notamment une analyse du matériel recueilli utilisant des dispositifs de psychologie sociale, et

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avec un regard inscrivant l’adolescent en tant que victime inscrite dans un processus judiciaire.

Ce travail de recherche doctorale s’inscrit donc dans une perspective optimiste, dans une volonté de comprendre ce que les violences sexuelles subies à l’adolescence peuvent révéler du processus adolescent. Même si l’objet est aujourd’hui à une juste distance, la recherche de sens et de réparation perdure, dans une lutte contre la destruction, donnant priorité à tout ce qui pourrait transcender le judiciaire et mettre sur la voie de la subjectivation ces adolescents aux prises d’événements traumatiques. Pour conclure, je cite E. Calamote qui commence son ouvrage « L’expérience traumatique » (2014) par : « Ecrire sur l’expérience traumatique,

essayer de modéliser les atteintes traumatiques comme leurs modalités de traitement est sans doute un moyen de se soigner de la rencontre avec cette clinique de l’extrême ».

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REVUE DE LITTERATURE

L’appréhension de la problématique des adolescents victimes de violences sexuelles amène à côtoyer de nombreuses disciplines : l’épidémiologie pour comprendre l’ampleur du phénomène et ses caractéristiques ; le droit pour saisir tous les enjeux auxquels sont confrontés les adolescents inscrits dans un parcours judiciaire ; l’éthique nécessaire par sa mise en lumière des principes fondamentaux de règles, de morale, de respect, de valeur de l’existence ; la victimologie par sa vision très précise et singulière des rôles, places et enjeux de chaque protagoniste confronté à un acte ; et bien évidemment, la psychanalyse pour être au plus près de la clinique et tenter de comprendre les processus psychiques en jeu. L’état de la littérature a étonné par son approche quasi exclusive de la problématique par le seul concept du psychotraumatisme. La réalité de la clinique semble plus complexe et conduit à se rapprocher de la littérature concernant les adolescents transgresseurs, dont les agresseurs sexuels ; littérature plus fournie quant à la compréhension du phénomène.

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Chapitre 1 - Particularités des violences sexuelles subies à

l’adolescence

A.

Quelques repères d’ordre épidémiologique

Les études épidémiologiques internationales indiquent des données très diverses quant à la prévalence des violences sexuelles à l’encontre de mineurs, du fait principalement de la non distinction des âges de l’enfance, de l’utilisation de méthodologies variées et de définitions des violences sexuelles multiples. En France, très peu de données sont accessibles sur ce phénomène du fait de la rareté de recherches consacrées à cette problématique.

Néanmoins, le monde scientifique s’accorde pour déclarer les violences sexuelles à l’encontre des mineurs comme problème de santé publique en raison de la fréquence de survenue de telles violences et des conséquences que ces violences ont dans la vie future de ces jeunes et de leur famille.

I. Les violences sexuelles

Les différentes revues de littérature consacrées aux violences sexuelles rapportent que 15 à 30% des filles et que 5 à 15% des garçons sont victimes de violences sexuelles avant leurs 18 ans. La dernière revue systématique de la littérature avec méta-analyse (Barthe et al., 2013), a inclus 55 études conduites dans 24 pays et fournit un échantillon de plus de 100 000 sujets. Elle fait état de 9% de filles et de 3% de garçons victimes de viol, de 13% de filles et de 6% de garçons victimes d’attouchement sexuel. En 2011, la prévalence globale des violences sexuelles déclarées était de 18% chez les filles et de 7,6% chez les garçons (Stoltenborgh et al., 2011), données issues d’une méta-analyse incluant 217 publications issues de la revue scientifique et comprenant 9 millions de sujets. En Europe, la prévalence chez les filles est de 13,5% et de 5,6% chez les garçons. De ces données, l’Organisation Mondiale de la Santé retient que la prévalence de la maltraitance sexuelle en Europe est de 13,4% pour les filles et de 5,7% pour les garçons. L’OMS s’accorde par ailleurs pour dire que ces violences sont sous-estimées du fait de multiples facteurs empêchant la révélation : relation intra ou extrafamiliale avec l’agresseur, caractéristiques de la victime, influences communautaires, culpabilité, impuissance, honte, craintes de dévoiler, méconnaissance de la gravité des faits, conflits de loyauté, etc. (Bussey et al., 1995 ; Crisma et al., 2006 ; Hershkowitz et al., 2007 ; Paine et al., 2002). Ainsi, Ciavaldini (2003) rapporte que quasiment une femme sur deux et un

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homme sur trois subissent des violences sexuelles – toutes violences sexuelles confondues - avant leurs 18 ans.

Les recherches internationales centrées sur la période adolescente révèlent que deux filles sur trois et un garçon sur quatre ont été victimes de violences sexuelles (Priebe et al., 2008 ; Soutoul et al., 1994). En Suisse, une étude portant sur plus de 6 700 adolescents âgés de 15 à 17 ans révèle que 15% d’entre eux ont subi au moins une agression sexuelle avec contact physique, 22% pour les filles et 8% pour les garçons (Schmidt, 2012). Des actes d’exhibitionnisme ainsi qu’une contrainte à visionner des images à contenu pornographique sont également évoqués par les adolescents.

En France, les données sur les rapports sexuels forcés varient entre 1% et 15,4%. 1% des 8255 adolescents âgés de 13 à 20 ans ont déclaré un rapport sexuel forcé lors de l’enquête de l’INSERM, en partenariat avec l’Education Nationale en 1994 (Darves-Bornoz, 1996) et 15,4% des adolescentes âgées de 15 à 18 ans ont déclaré ce type de fait lors d’une enquête sur les comportements sexuels des jeunes en 1995 (Lagrange et al., 1995).

II. Contexte des violences sexuelles à l’adolescence

Les violences sexuelles survenant à l’adolescence se rapprochent de celles commises à l’encontre des adultes. Les victimes sont majoritairement des filles, deux fois sur trois (Soutoul et al., 1994). Un tiers des victimes déclare avoir subi ces violences de manière répétée (Lagrange et al., 1995 ; Schmidt, 2012), principalement dans un contexte extrafamilial, par un homme connu, du même âge que la victime (Darves-Bornoz, 1996 ; Lagrange et al., 1995). L’étude suisse précise notamment que lorsque la victime est adolescente, l’agresseur est le plus souvent un ancien ou actuel petit ami, ou un camarade (Schmidt, 2012), ce qui rejoint les données de Lagrange et Lhomond (1995) qui stipulaient que dans 75% des situations de violences sexuelles à l’encontre d’adolescents, l’agresseur est un garçon de leur âge. Les violences sexuelles à l’adolescence constituent donc une spécificité épidémiologique puisque seules 9% de ces violences surviennent dans un contexte intrafamilial, contrairement aux violences sexuelles survenant lorsque l’enfant est plus jeune, caractérisées par une forte prévalence de faits intrafamiliaux (Gabel, 1992).

L’alcool et l’utilisation d’internet semblent constituer des facteurs de risque dans la survenue des violences. Un contexte de violences physiques plus général est souvent défini par les victimes de violences sexuelles.

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Suivant ces données et au regard de notre pratique clinique, nous avons évoqué une typologie des violences sexuelles survenant à l’adolescence selon le niveau de prise de risque initiale de la victime dans la survenue des faits (Dupont et al., 2015) : des violences sexuelles qualifiées d’imprévues et d’inattendues où aucune prise de risque de l’adolescent n’est relevée, des violences sexuelles où une prise de risque est encourue par l’adolescent (fugue, rencontre sur internet, soirées alcoolisées, etc.), les violences sexuelles où l’adolescent déclare une relation sexuelle consentie dans un contexte amoureux. Cette première approche épidémiologique permet de mieux saisir le phénomène. Cette recherche d’approche clinique vise dans un second temps comprendre ce qui est en jeu pour ces adolescents concernant les processus psychiques.

III. La révélation

La révélation consiste non pas seulement dans le fait d’une parole à un moment donné du sujet mais bien du processus global permettant la dénonciation de ces faits de violences. Plusieurs auteurs ont mis en avant les facteurs prédictifs du dévoilement, notamment concernant le délai de révélation : le type de violences, leur persistance dans le temps, la perception que le jeune a de sa propre responsabilité dans les faits, la relation à l’agresseur, l’âge et le sexe de la victime, les réactions parentales, la honte et la culpabilité, la crainte de ne pas être cru, la peur des représailles (Alaggia, 2010 ; Ciavaldini, 2003 ; Goodman-Brown, 2003 ; Hébert et al., 2009 ; Russel, 1983 ; Smith, 2000). Le type de relation à l’agresseur joue notamment un rôle important dans le délai de révélation : les violences sexuelles extrafamiliales sont révélées très rapidement alors que lorsqu’elles surviennent dans un contexte intrafamilial, elles sont soit découvertes par « accident », soit jamais révélées (Goodman-Brown, 2003). Nous avons notamment mis en exergue la prévalence des révélations s’approchant du syndrome d’accomodation des agressions sexuelles de Summit (Sorenson et al., 1991), caractérisées par un processus long et complexe lors de violences sexuelles intrafamiliales et des révélations définies comme événement ponctuel dans le cadre d’agressions sexuelles extrafamiliales (Dupont et al., 2013).

Les adolescentes révèlent rapidement les faits en comparaison aux victimes plus jeunes (Schmit, 2000), le plus souvent à un ami du même âge qu’eux et très peu à des professionnels (Priebe et al., 2008). L’étude suisse confirme ces données : 40% des adolescents indiquent n’avoir jamais partagé ces faits avec une autre personne, 60% l’ont fait

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mais avant tout à des amis ou camarades, la famille étant moins dépositaire d’une parole. 5% s’adressent à des services spécialisés ou à la police (Schmidt, 2012).

La Haute Autorité de la Santé (HAS), dans son rapport sur les maltraitances de 2014, spécifie les signes d’alerte spécifiques ou modes d’expression pour les adolescents :tentative de suicide, fugue, conduites à risque, conduites d’addictions précoces : tabagisme - alcoolisation et/ou toxicomanie, comportement alimentaire compulsif,actes de violence envers les autres, automutilation dont les scarifications, demande précoce de contraception, interruption volontaire de grossesse (IVG) isolée ou à répétition, changements fréquents de partenaires, actes de prostitution.

IV. L’information aux autorités judiciaires

Les recherches épidémiologiques, notamment par l’intermédiaire des enquêtes de victimation, montrent donc la prévalence importante des violences sexuelles durant l’enfance. Cependant, les données officielles des institutions révèlent une autre réalité : le peu de révélations aux autorités judiciaires. Une enquête de victimation s’adressant à des adultes victimes de violences sexuelles durant leur enfance laisse entrevoir que 70% de ces situations n’ont pas été transmises aux autorités (AIVI/IPSOS, 2010). Les données de l’Observatoire National de l’Enfance en Danger (ODAS), qui recueillait les signalements pour suspicion de violences sexuelles à l’encontre de mineurs effectués par les Conseils Généraux, révèlent une moyenne de 5 000 signalements de 1998 à 2006 (Rapport de l’HAS, 2014). Au-delà du peu de révélations aux autorités, peu de ces faits d’agressions aboutissent à un procès et à une condamnation de l’agresseur. En 2008, 587 viols sur mineur de moins de 15 ans et 4 506 agressions sexuelles sur mineur de moins de 15 ans ont été condamnés par les tribunaux français (Timbart, 2009). Le peu de révélations aux autorités compétentes reste problématique du fait de l’importance d’un tel dévoilement comme facteur de risque des conséquences psychopathologiques (Huerre, 2003), les victimes restant enfermées dans une solitude, sans avoir le sentiment d’être soutenues par un entourage étayant. Le peu de condamnations entre également comme facteur de risque du développement ultérieur de symptômes psychopathologiques, dans les questions de reconnaissance du statut de victime et de réparation judiciaire rendant accessible la réparation thérapeutique.

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B.

Les conséquences des violences sexuelles à l’adolescence

L’intensité de la réponse psychologique à un événement potentiellement traumatique varie entre autre de l’âge, du niveau de développement du mineur, du type d’agression, des liens entre l’agresseur et la victime, etc.. A l’adolescence, cette intensité est influencée par la variabilité des âges qu’englobe le concept même d’adolescence « à 11 ans, chez une jeune

fille tout juste pubère, l’impact ne peut être comparé aisément à celui qu’aura la même agression sexuelle chez une jeune femme de 17 ans presque majeure » (Huerre, 2003, p.25).

Même si la symptomatologie se rapproche de celle de l’adulte, l’impact de l’événement est particulier du fait des enjeux pubertaires, « l’adolescent a lui-même une place à part car sa

maturité sexuelle est en passe d’être atteinte. L’afflux d’excitations de traumatismes secondaires réactive chez lui des expériences antérieures alors que sa maturité psychologique n’est pas suffisamment avancée et qu’il n’est donc pas préparé à faire face à cette situation »

(Darves-Bornoz, 1996, p.36). La majorité des études souligne l’absence de syndrome spécifique et/ou de processus traumatique unique (Ciavaldini, 2003 ; Kendall-Tacket et al., 1993) et relève plus le concept de traumatisme complexe (Herman, 1992). L’altération de différents domaines de fonctionnement du sujet entrainerait des conséquences complexes et développementales à l’enfance et à l’âge adulte affectant les différentes sphères de la vie de la victime (Cloitre, cité par Baril et al., 2015), sortant du simple cadre de l’état de stress post-traumatique proposé par la classification internationale (DSM-V).

Dans une perspective écologique des psychotraumatismes, Baril et Tourigny (2015) proposent trois catégories concernant les principales conséquences à long terme des violences sexuelles subies durant l’enfance et l’adolescence : neurobiologiques, psychologiques et relationnelles.

I. Conséquences neurobiologiques

Les dernières recherches sur le traumatisme psychologique révèlent les effets délétères sur le fonctionnement cérébral, à l’instar du traumatisme physique. Face à une situation de stress intense ou dangereuse, l’organisme répond par une sécrétion d’hormones mettant en jeu l’axe hypothalamo-hypophysio-surrénalien, impliquant le système limbique, l’hypothalamus, l’hypophyse et les glandes surrénales. L’élévation de la production de cortisol de manière chronique ou sa mauvaise régulation ont des conséquences néfastes sur la santé physique et mentale (Tarullo, cité par Baril et al., 2015). Ces séquelles neurobiologiques de la violence sexuelle peuvent se chroniciser, notamment si l’enfant ne reçoit pas de réponse adaptée de la

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part de la figure d’attachement, et impacter directement sur les capacités futures d’adaptation au stress et sur le développement ultérieur de troubles psychopathologiques.

Depuis quelques années, la notion de mémoire traumatique a fait son apparition, en lien avec l’état de sidération et de dissociation avec anesthésie psychique et physique, impliquant la défaillance de l’amygdale dans sa régulation. Cette notion vient expliquer les symptômes dissociatifs et les troubles de la mémoire importants qui apparaissent ultérieurement.

II. Conséquences psychopathologiques

En lien avec les effets neurobiologiques, une détresse psychologique et/ou des troubles psychiatriques sont majorés suite à des violences sexuelles, avec la manifestation de troubles internalisés et externalisés. Le risque de développer un syndrome de stress post-traumatique suite à un viol dans la population féminine varie de 36 à 48% selon les études (Ciavaldini, 2003). Une étude menée en France fait état que 68% des adolescentes de plus de 13 ans victimes d’un viol présentaient un état de stress post-traumatique douze mois après la première rencontre, avec des facteurs de risque (Darves-Bornoz, 1996). Des troubles de l’humeur, des troubles du sommeil, de l’anxiété, des troubles psychotiques, des troubles somatoformes, des troubles des conduites alimentaires, une consommation importante d’alcool et de drogues, des troubles de la personnalité, des troubles dissociatifs, des comportements suicidaires et automutilatoires sont relevés dans toutes les recherches (Baril et al., 2015). Un syndrome traumatique de type limite est proposé, mêlant les symptômes de l’état de stress post-traumatique et les symptômes affectant l’identité et la personnalité plus en profondeur, les conduites sociales et les difficultés sexuelles. 20% des femmes ayant été victimes d’agression sexuelle dans l’enfance présentent des troubles psychiatriques à l’âge adulte, principalement de type dépressif, et des difficultés concernant leurs capacités sociales (Roesler et al., 1994 ; Hébert et al., 2009).

Les symptômes spécifiques concernant la période adolescente consistent en des pensées intrusives récurrentes, des symptômes phobiques, de l’irritabilité, de la colère, des troubles dissociatifs, des troubles de la personnalité, du comportement alimentaire, des prises de risque, des passages à l’acte suicidaire, des automutilations, des impulsions auto-agressives, des plaintes somatiques, des conduites d’hypersexualité et prédélinquantes, des abus d’alcool et stupéfiants, etc. (Vila et al., 2001).

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III. Conséquences sociales

La scolarité n’est pas exempte de difficultés avec des troubles de l’attention et de la concentration, de l’absentéisme scolaire, du décrochage, jusqu’au refus scolaire pouvant impliquer un échec scolaire massif. Un isolement, des conduites de retrait, des difficultés dans les relations sociales sont également relevés (Schmidt, 2012). Des comportements agressifs sont soulignés : 40% des adolescents victimes de viol adoptent un comportement hétéro agressif et se querellent souvent, avec irritabilité et colère (Schmidt, 2012). Les violences sexuelles viennent attaquer les croyances et les soubassements narcissiques des adolescents, principalement en remettant en cause l’hypothèse fondamentale d’invulnérabilité. Même si l’adolescent se sait mortel, « il lui est impossible d’avoir un quelconque savoir sur ce que

serait sa non-présence » (Damiani et al., 2001, p.18). Le « fatalisme, pessimisme, sentiment d’avenir « bouché » témoignent fréquemment d’une attitude changée vis-à-vis de la vie et à l’égard des autres » (Vila et al., 2001, p.163), pouvant aller jusqu’au sentiment d’être devenu

étranger à soi et aux autres. Le manque de confiance envers les autres, des relations conflictuelles avec sa famille et ses amis, des difficultés dans la vie de couple sont plus fréquents à l’âge adulte pour des victimes de violences sexuelles durant l’enfance.

IV. Rôle de l’environnement

L’intensité de la réponse psychologique varie selon différents facteurs : les caractéristiques des violences et leur dévoilement, les caractéristiques personnelles de la victime, les ressources de soutien provenant de l’environnement familial et social (Barker-Collo, cité par Baril et al., 2015, p.37). La réponse d’un enfant résulte donc d’une interaction complexe entre des facteurs individuels et son environnement (Harvey, cité par Baril et al., 2015).

Un trauma durant l’enfance vient désorganiser « une personnalité en développement et en

devenir » (Coq, in Damiani, 2011, p.251). Le traumatisme chez l’enfant est souvent rapproché

du traumatisme du parent ou de sa manière de réagir à l’événement subi par son enfant. « Un

événement peut devenir traumatogène non seulement parce que l’enfant y rencontre l’effroi, mais aussi parce qu’il découvre brutalement que ses parents ne peuvent plus le protéger et sont eux-mêmes vulnérables » (ib., p.252). Il est intéressant de noter que dans cette approche,

l’âge de l’enfance s’arrête à 12 ans, aucune donnée n’étant indiquée après cet âge. Cette absence d’informations serait-elle à comprendre dans le sens d’un rapprochement entre le fonctionnement adolescent de celui de l’adulte, de telle sorte qu’il y aurait moins

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d’interactions entre trauma vécu par l’adolescent et vécu du parent ? Une seule étude met en avant les facteurs parentaux et le devenir du traumatisme à l’adolescence, concernant le devenir délinquantiel d’adolescentes victimes de violences sexuelles (Glowacz et Buzitu, 2014). Elle révèle la présence paternelle comme facteurs de protection contre les comportements délinquants, prédisant une meilleure adaptation psycho-sociale.

Les conséquences des violences sexuelles subies durant l’enfance à l’âge adulte peuvent devenir « des facteurs augmentant la vulnérabilité de l’enfant à être victime d’agression

sexuelle, notamment en influençant la supervision parentale offerte et en contribuant au développement de caractéristiques personnelles chez l’enfant qui seraient recherchées par les agresseurs sexuels » (Baril et al., 2015, p.38), définit par le cycle intergénérationnel de la

victimisation sexuelle dans l’enfance. Des facteurs de risque entrent en jeu dans ce cycle. Ainsi, une corrélation apparaît entre une histoire familiale dans l’enfance marquée par des violences physiques et psychologiques, des séparations d’avec la mère dans l’enfance, une instabilité des lieux d’habitation et des mères impliquées dans un cycle intergénérationnel de victimisation sexuel dans l’enfance. Des modèles d’attachement insecure, des difficultés relationnelles avec leur fille et des difficultés dans le rôle maternel sont également rapportés. Green, cité par Vila et al. (1999), relève que l’influence des facteurs familiaux serait plus marquée chez les enfants les plus jeunes – moins de 6 ans – et chez les adolescents que chez les enfants dits en période de latence.

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Cette revue de littérature rapide sur l’épidémiologie des violences sexuelles et leurs conséquences révèlent l’importance des risques médico-psycho-sociaux que les enfants et adolescents encourent suite à ce type de faits. Au-delà de l’éventail des symptômes psychotraumatiques, la littérature scientifique montre également les conséquences des violences sexuelles sur le style d’attachement que les enfants vont développer, de type insécurisant.

Il convient cependant de noter que la plupart des études prennent comme appui une population d’enfants dont les faits de violences sexuelles sont survenus avant leurs 16 ans. Notre interrogation, notamment au vu de notre pratique clinique, concerne le contexte de survenue des violences sexuelles et leurs conséquences chez des adolescents pour lesquels les faits sont survenus durant leur adolescence, population ayant ses caractéristiques propres, comme nous l’avons vu précédemment en termes de comportements sexuels à risque.

Une lecture psychanalytique du traumatisme psychique permettra d’ouvrir deux voies : celle du traumatisme psychique résultant des violences sexuelles et celle des violences sexuelles résultant de traumatismes psychiques antérieurs.

(26)

Chapitre 2 – Du traumatisme au recours à l’acte

A.

Notions autour du traumatisme psychique

I. Eléments d’histoire

Même si on trouve des traces du trauma dans les plus vieux récits légendaires, les concepts de traumatisme psychique et de névrose traumatique font leur apparition au 19e siècle suite à l’observation d’hommes et de femmes victimes d’accidents en usine et de chemin de fer (Tréhel, 2005). Le terme de traumatisme psychique revient certainement à Oppenheim qui l’utilisa en premier en 1884 pour décrire les symptômes que manifestaient 42 personnes ayant vécu un choc émotionnel de ce type. Il évoque un vécu d’effroi « qui provoque un

ébranlement psychique ou affectif tellement intense qu’il en résulte une altération psychique durable » (Crocq, in De Clercq et al., 2004, p.29). Oppenheim invente le terme de

sidérodromophobie pour définir la phobie spécifique aux chemins de fer, décrivant des patients envahis par le souvenir de l’accident, manifestant des crises d’anxiété face à tout ce qui peut le rappeler, souffrant de cauchemars, de reviviscence, d’une hypersensibilité aux stimulations externes, et connaissant des changements profonds dans leur sphère affective. En 1907, Abraham publie ses premiers travaux sur la signification du traumatisme sexuel dans l’enfance ; puis, avec les événements internationaux, s’intéresse à la névrose traumatique de guerre (Tréhel, 2007). En 1917, dans ses « Leçons d’introduction à la psychanalyse », Freud évoque la pathologie des névroses traumatiques de guerre en reconnaissant le réel d’un événement provoquant de l’effroi chez le sujet, évoquant une dissociation du conscient, avec des réminiscences d’événements traumatiques parasites tels un corps étranger intolérable longtemps après son intrusion (Crocq, in Leclercq et al., 2004, p.31). L’année suivante, Ferenczi décrit les causes de cette névrose : « un choc inattendu, non préparé et écrasant, agit

pour ainsi dire comme un anesthésique » et provoque une réaction défensive se manifestant

par un auto-clivage narcissique (1918, p.33). En 1919, Janet caractérise la névrose traumatique par l’impossibilité de se détacher du souvenir du traumatisme, en parlant d’idée

fixe (Crocq, 2002) et en soulignant la désagrégation de la conscience (Crocq, in Le Clercq et

al., 2004, p.29). En 1932, Ferenczi aborde le traumatisme sexuel en soulignant la différence entre les phases de tendresse, propre à l’enfant, et de passion, propre à la sexualité adulte, et la confusion des langues qui s’en suit : « les enfants se sentent physiquement et moralement sans

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et l’autorité écrasante des adultes les rendent muets, et peuvent même leur faire perdre conscience » (1918, p.130). La soumission automatique à la volonté de l’agresseur provoque

un clivage : à la fois innocent et à la fois coupable. Parallèlement, les guerres font apparaître des tableaux sémiologiques de ce que les cliniciens des armées nomment les shell shock (psychose traumatique).

En France, la notion de traumatisme psychique refait une grande apparition suite aux travaux des psychiatres militaires sur la névrose de guerre et les syndromes psychotraumatiques, notamment avec Crocq et Barrois : « ce qui fait trauma, c’est donc la surprise et l’effraction

des défenses », le trauma est une « rupture des liens avec le monde, césure de sens, intériorité envahie par l’angoisse de néantisation et bris de l’unité de l’individu » (Crocq, 2002, p.29).

Minkowski parle d’anesthésie affective, Crocq de désert affectif pour désigner la froideur affective, le ton neutre et distant utilisé pour évoquer les faits, mêmes des années après la survenue de l’événement.

En 1952, des initiatives outre-Atlantique font apparaître dans les classifications nosographiques le vocable Gross Stress Reaction pour désigner la réaction psychotraumatique aiguë. Après une disparition de ce diagnostic dans les années 60, le DSM III des années 1980 le rétablit sous l’appellation de Post Traumatic Stress Disorder (PTSD). La version V datant de 2013 le fait apparaître dans un chapitre distinct des autres troubles et lui confère ainsi une reconnaissance à part entière.

Parallèlement à ces définitions, un mythe se montre tenace durant de nombreuses années, à savoir que les enfants et les adolescents sont protégés du traumatisme psychique. Ce mythe prend appui sur l’immaturité intellectuelle et le monde imaginaire liés à ces âges. « En outre,

sa plasticité mentale et sa faculté d’oubli lui permettaient de se réinsérer ensuite totalement dans l’univers retrouvé d’une existence paisible, sans aucune place dans sa conscience pour de mauvaises réminiscences » (Crocq, in De Clercq et al., 2004, p.46). Anna Freud, puis Spitz

soulignent les réactions que les enfants peuvent manifester suite à des événements traumatiques, évoquant la dépression anaclitique, l’hospitalisme, et la corrélation entre réactions des parents et des enfants, décrivant chez des enfants très jeunes des manifestations du syndrome de répétition caractéristiques de la névrose traumatique. Dans les années 70, Terr relance l’intérêt et la recherche clinique au sujet du traumatisme psychique chez l’enfant.

(28)

II. Le traumatisme psychique

Étymologiquement, le terme traumatisme est issu du mot grec qui signifie « blessure avec

effraction ». Ce terme, issu du domaine médical, recouvre en psychologie une multitude de

compréhensions où fantasme et réalité prennent différentes places. Les théories du traumatisme élaborées par Freud et celles concernant essentiellement les conséquences d’un événement traumatique réel peuvent parfois entrainer des malentendus. Même s’il existe des divergences dans la compréhension de sa nature, « la réalité de son expression est

unanimement décrite et éprouvée comme un excès » et comme un moment de rupture (Marty,

2011, p.35).

Le trauma est au cœur de la théorie psychanalytique, notamment dans l’approche de l’hystérie et l’étiologie de la névrose. Avec les névroses de guerre, Freud caractérise le trauma dans une perspective énergétique d’afflux excessif d’excitations contraignant l’appareil psychique à lier les excitations de façon à permettre ultérieurement leur décharge, mettant hors-jeu le principe de plaisir (Meyer, in Fernagut et al., 2011, p.153). Puis, de cette perspective énergétique, le trauma est mis en lien avec l’angoisse originaire de la séparation à l’objet primordial, la mère. Freud associe danger externe et danger interne, le Moi est attaqué, sans recours face à l’afflux d’excitations externes et internes. La névrose traumatique place l’événement extérieur comme second temps du traumatisme, venant réveiller un événement antérieurement vécu devenant traumatique. « Ce qui semble venir du dehors ne fait, en réalité, que réactiver une menace

interne, menace qui se manifeste sous le couvert du second événement, à la manière d’une bombe à retardement » (Marty, 2001, p.52). Pour réduire la menace face au danger réel, le

sujet met en place des défenses primitives telles que le clivage ou le déni face à la force d’impact de l’événement traumatique. Le refoulement vient alors comme « réaction à un

traumatisme, comme névrose traumatique élémentaire » (Freud, 1919, p.247). Ferenczi

évoque une commotion psychique, un « choc équivalent à l’anéantissement du sentiment de

soi, de la capacité de résister, d’agir et de penser en vue de défendre le soi » (Ferenczi, 1918,

p.41). Contrairement à Freud qui donne une place centrale au fantasme, Ferenczi insiste sur la réalité dans la survenue d’un traumatisme psychique. Ce choc est un élément extérieur caractérisé par la soudaineté, la non préparation du sujet, l’effroi, qui vient faire effraction dans l’organisation défensive du Moi, brisant le système de pare-excitations, provoquant immédiatement de l’angoisse et un sentiment d’incapacité à s’adapter à la situation ; le traumatisme est bien réel et est vécu comme un effondrement narcissique des sentiments d’invulnérabilité. Paralysie du corps, sidération de la pensée, arrêt de toute perception,

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impossibilité d’action du système défensif par la contrainte du réel qu’il impose, provoquant un anéantissement du sentiment de soi. L’effraction psychique, ce mouvement par lequel de fortes énergies extérieures traversent la membrane défensive de la psyché, dépasse les capacités de métabolisation du sujet. Le facteur surprise est ici décisif, ne permettant pas au pare-excitations d’anticiper l’agression en renforçant sa défense. La compulsion de répétition signe les tentatives du sujet de s’affranchir du trauma, « le moi désire la répétition pour

résoudre une tension pénible mais la répétition est en elle-même pénible » (Fénichel cité par

Meyer, in Fernagut et al., 2011, p.155).

Des variations de définitions existent autour de la notion fondamentale de rencontre avec la mort. Pour les psychiatres français, proposant un pont entre psychanalyse et phénoménologie, « le traumatisme psychique provient de la rencontre avec le réel de la mort qui surprend le

sujet » (définition du traumatisme psychique par Lebigot, in Damiani et al., 2011, p.262).

« Vécu dans la frayeur, l’horreur et le sentiment d’impuissance en conjoncture d’absence de

secours, il (le traumatisme psychique) ne se réduit pas seulement à sa composante énergétique d’effraction des défenses psychiques, mais il implique aussi une expérience de confrontation soudaine avec le réel de la mort (notre propre mort ou la mort d’autrui), sans médiation du système signifiant qui dans la vie courante préserve le sujet de ce contact brut »

(Crocq, in De Clercq et al., 2004, p.4). « L’image traumatique pénètre l’appareil psychique et

s’y incruste, sans pouvoir se lier aux représentations, constituant un corps étranger interne »

(Lebigot, in Damiani et al., 2011, p.262). L’événement traumatique fait irruption dans l’existence du sujet comme « moment propulsif » (Crocq, in De Clercq et al., 2004, p.55). Le vécu d’effroi, caractérisé par l’absence d’affect et de représentation, est central et seul indice de survenue d’un traumatisme psychique. On entre dans le domaine de l’irreprésentable. La rencontre avec la mort amène la perception du néant, « néant dont chacun a l’entière certitude

sans en avoir la connaissance » (ib., p.4). Au-delà du corps étranger qui fait effraction dans le

psychisme et entraine le syndrome de répétition, - tentative pour maîtriser et expulser ce qui a été subi -, le traumatisme psychique entraine un « court-circuit dans le signifiant, avec

irruption d’une expérience de mort, de néant et de non-sens dans une existence alors sensée »

(ib.). Le syndrome de répétition a pour fonction une tentative de maîtrise rétroactive de l’excitation. La symptomatologie psychotraumatique pourra être appréhendée comme l’ensemble des efforts du sujet dédiés à l’expulsion de ce véritable « parasite » psychique, cette menace qui n’est plus seulement physique externe mais maintenant psychique interne, de la même façon que la réaction allergique face à la pénétration d’un intrus dans l’organisme

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fait affluer les défenses immunitaires vers le lieu de son incursion. Cet intrus menace l’unité de la psyché, en ce qu’il la divise entre une partie qui lutte inlassablement pour son expulsion, et une partie qui, bien que lui appartenant, la menace de l’intérieur. Le trauma amène une rupture des liens avec le monde, « il est aussi déni de tout ce qui était valeur et sens » (ib., p.16).

Calamote (2014) insiste sur l’importance de la forme du traumatisme lors d’expériences traumatiques sexuelles, en soulignant les tentatives dans lesquelles va être pris le sujet pour donner une forme à cette expérience. La représentation de cette expérience est refusée du fait qu’elle dépasse les capacités de symbolisation du sujet et de la blessure narcissique que cette représentation pourrait provoquer (p.36), le sujet serait alors plus aux prises d’un risque de perte de capacités de représentation plutôt que de représentations douloureuses. « Dans

l’expérience traumatique sexuelle, c’est bien l’enchainement de catastrophes psychiques qui est évité, au risque de confronter le patient avec sa non-reconnaissance en tant que tel. J’ai souvent observé les efforts des patients pour court-circuiter, entraver cette mise en relation des expériences traumatiques. Il est trop facile de n’y reconnaître qu’une défense, encore faut-il s’assurer de ce contre quoi elle préserve : il s’agit le plus souvent du danger de non-représentation et de non-existence » (p.44).

Le trauma porterait en son sein du négatif, « il est cependant essentiel de se rappeler que

l’expérience traumatique est aussi une non-expérience, un événement non-événement, un éprouvé avec lequel le sujet n’a pas suffisamment été en contact, quelque chose qui ne s’est pas produit pour lui » (p.38). Le sujet ne serait pas seulement aux prises d’un débordement et

de défenses, il serait aussi dans un mouvement créatif en réaction au traumatisme. « Le

négatif est un oubli traumatique dégénéré demandant à être repris » (p.49). Calamote

propose la notion d’informité traumatique pour rendre compte des distorsions de la forme imposées par le trauma, « un représentant non représentation du traumatisme, une trace

psychique/prépsychique du trauma, une trace amnésique qui rendrait compte de l’étrangeté, des confusions et des déformations vécues dans le transfert » (p.71).

Les classifications internationales actuelles (DSM V et CIM 10) définissent le traumatisme psychique grâce au concept d’état de stress post-traumatique entrant dans les troubles en réaction à un facteur de stress important. « Le sujet a été exposé à un événement traumatique

dans lequel les deux éléments suivants étaient présents : le sujet a vécu, a été témoin ou a été confronté à un événement durant lesquels des individus ont pu mourir ou être gravement blessés ou bien ont été menacés de mort ou de grave blessure ou bien durant lesquels son

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intégrité physique ou celle d’autrui a pu être menacé ; la réaction du sujet à l’événement s’est traduite par une peur intense, un sentiment d’impuissance ou d’horreur » (APA, 2000). Les

symptômes en lien avec le syndrome de répétition, l’évitement et l’émoussement affectif, l’hyperactivation neurovégétative sont les principaux critères de diagnostic.

Les conceptions autour du traumatisme sont donc multiples. Hormis le point de vue économique avec le débordement du pare-excitations définit précédemment, le traumatisme peut être compris selon la théorie de l’après-coup, ce qui est traumatique est l’après-coup d’un traumatisme antérieur – théorie qui sera développée par la suite -, selon la réalité fantasmatique qui en donne sa valeur traumatique, ou selon uniquement la réalité psychique, en évinçant la réalité de l’événement traumatique.

Dans le cadre de ce travail de recherche doctorale, nous ajouterons à la définition de Laplanche et Pontalis (2007) du traumatisme psychique le définissant comme « événement de

la vie psychique qui se définit par son intensité, l’incapacité où se trouve le sujet d’y répondre adéquatement, le bouleversement et les effets pathogènes durables qu’il provoque dans l’organisation psychique. En termes économiques, le traumatisme se caractérise par un afflux d’excitations qui est excessif, relativement à la tolérance du sujet et à sa capacité de maîtriser et d’élaborer psychiquement ses excitations », la notion d’événement de la réalité externe

comme Ferenczi a pu le penser. Les adolescentes victimes de violences sexuelles semblent aux prises de multiples dimensions du traumatisme : traumatisme psychique conséquence de la réalité de l’événement agression, traumatisme psychique résultant de la survenue de la puberté et de ses implications, traumatisme psychique de l’infantile tant fantasmé que réel.

« L’introduction de la réalité psychique permet en effet d’imaginer que la réalité

(externe, événementielle) est reprise dans une subjectivité qui lui donne sa consistance, sa cohérence, son sens. Dès lors que l’on admet cette perspective, le monde interne et la réalité externe apparaissent comme indissociables ; il semble qu’elles constituent les deux faces d’une même réalité, l’événement réel ne devenant « événement » que dans la mesure où il est perçu et interprété par le psychisme du sujet » (Marty, 2011, p.38).

(32)

B.

Du trauma infantile au traumatisme de l’adolescence

I. De la puberté au pubertaire vers l’adolescens

La croissance manifeste chez l’enfant des caractères physiques sexuels signe une étape de développement capital dans l’histoire du sujet : l’avènement de la puberté. Au-delà des transformations physiques que le sujet doit affronter, en parvenant au développement de sa capacité sexuelle (Winnicott, 1962), il s’agit d’une véritable métamorphose psychique. Cette étape de développement, étape-clé dans l’advenue de la personnalité adulte, nécessite de la part de l’enfant l’intégration des modifications dues à la puberté dans son schéma de représentation et dans la construction de son identité, qui amène la vie sexuelle infantile à sa vie normale définitive (Freud, 1905).

Gutton distingue dans le processus d’adolescens différentes étapes et temps : la puberté et ses changements biologiques ; le pubertaire, équivalent psychique de la puberté, ancré dans le biologique, ayant pour but « une désexualisation des représentations incestueuses menant au

choix d’objet potentiellement adéquat », ce que Gutton définit par « l’engagement pubertaire avec ses investissements et contre-investissements » ; et l’adolescens, travail élaboratif issu du

pubertaire, où « l’enfant désexualise la violence de ses pulsions et procède à un travail de

subjectivation et d’historicité », travail de « désinvestissement adolescens » (Gutton, 2012,

p.13). La génitalisation pubertaire du corps implique un potentiel de séduction chez l’adolescent qui n’est plus passif comme l’était l’enfant dû à son impuissance sexuelle. Le pubertaire trouve donc sa source dans l’ « éprouvé originaire du corps érogène pubertaire et

dans les représentations primaires de l’Œdipe narcissique » (Gutton, 2012, p.53). Le travail

psychique qui attend l’adolescent peut se lire de différents points de vue : l’adolescence est une reproduction de la névrose infantile où le pubertaire est un renforcement pulsionnel ; l’adolescence est un remaniement compliqué, réécriture, répétition élaborative, effet de mémoire sur le modèle de l’après-coup, moment de temporalisation retrouvé au départ d’un nouvel engrangement atemporel de l’inconscient ; l’adolescence est une possibilité de changement dans le détachement aux objets primaires (Gutton, 2012).

L’adolescent voit ses repères identitaires infantiles s’écrouler, dans un véritable traumatisme narcissique. Mais la survenue de la puberté constitue un traumatisme plus global, en raison de la multitude de modifications qui découlent des changements biologiques pubertaires ; mais traumatisme constructif puisqu’il permet d’élaborer autour de la question de la sexualité (Marty, 2001) ; ce qui est définit comme la violence de l’adolescence.

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Ce deuxième temps de la sexualité humaine s’inscrit dans un processus de choix d’objet sensuel et non plus des objets infantiles marqués par la tendresse. « Le choix d’objet de la

puberté doit renoncer aux objets infantiles et prendre un nouveau départ en tant que courant sensuel » (Freud, 1905, p.132). L’événement pubertaire, s’appuyant sur la puberté, vient

bouleverser la vie psychique de l’adolescent en lui imposant des violences : violences internes, liées à la puberté et au pubertaire, et violences externes issues des projections des adolescents sur les objets (Marty, 2001).

« Les adolescents ne sont pas du jour au lendemain sexuellement actifs. Entre le premier

baiser et la première relation sexuelle, il se déroule environ trois ans durant lesquels seront explorées des variantes autour de l’approche et du toucher de l’autre » (Choquet, in

Braconnier et al, 2003, p.13). L’adolescence est marquée par la canalisation, la transformation, voire la sublimation des pulsions agressives et sexuelles (Huerre, 2010), et par l’établissement de liens entre le courant tendre et le courant sexuel et pulsionnel. Les transformations corporelles et psychiques, amenant l’adolescent à disposer d’un corps adulte sexué, et donc apte à pratiquer des relations sexuelles, sont caractérisées par un développement « graduel et par à-coups des processus adolescents intrapsychiques, que je

propose de regrouper sous le terme : problématiques adolescentes » (Lauru, 2004, p.59)

autour du lien amoureux. « Ces problématiques vont permettre la survenue éventuelle d’états

amoureux, que j’aime à nommer pour ma part, phases d’énamoration, pour souligner l’importance des temps initiaux et la phase progrédiante de l’investissement du sujet dans son rapport amoureux » (Lauru, in Braconnier, 2007, p.59). Le déclenchement des changements

pubertaires constitue le préalable à ces problématiques mais d’autres sont nécessaires pour accéder à l’énamoration, inscrivant progressivement l’adolescent dans le rapport amoureux. « Le corps propre de l’adolescent est affolé, apeuré, et excité à la fois par les éprouvés jamais

encore ressentis jusque-là, et, d’un autre côté, le corps de l’autre sexué l’affole à lui en faire perdre la raison » (Lauru, 2004, p.65). A l’avènement pubertaire se mêlent excitations, peurs

et angoisses dues à l’abandon des repères et des identifications de l’enfance, et au remaniement pulsionnel. Les relations sexuelles infantiles et les premiers rapports sexuels adolescents peuvent réapparaître plus tard, dans un après-coup, comme traumatiques, l’événement pubertaire sexualisant des souvenirs infantiles qui n’avaient pas été jusqu’alors perçus comme potentiellement sexuels (Lauru, 2004). Une grande partie de l’énergie de l’adolescent est donc tournée vers la sexualité, nécessaire pour sortir de l’adolescence, processus qui se réalise en trois temps : « D’abord, il faut connaître la phase de la rencontre

Figure

Tableau 2 – Caractéristiques des faits de violences sexuelles déclarées par les adolescents

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