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Chapitre 2 – Du traumatisme au recours à l’acte

B. Traumatisme à l’adolescence : pourvoyeur créatif ?

Afin d’évoquer le potentiel du traumatisme, deux parties sont proposées. L’une évoque le potentiel de l’agir, concernant les agirs adolescents, qu’ils soient commis à l’encontre d’autrui ou de soi-même. L’autre évoque le potentiel du trauma de et à l’adolescence.

De manière générale, les conduites agies, même si elles portent un potentiel destructeur, sont envisagées comme processus maturatif et adaptatif de l’adolescent face à ce qu’il vit. L’adolescent doit à la fois se dégager du connu, sans nier l’infantile, articuler, créer et détruire sans se figer dans la déstructuration ou la dissolution. L’agir peut être un recours dans le processus de séparation-individuation et d’autonomie que l’adolescent a à faire : « le

renoncement est le prix de l’autonomisation ; la relation à l’objet interne, le lien et sa dimension environnementale sont réinterrogés en vue de l’affirmation de l’identité »

(Mazoyer, 2012, p.56). Avant de trouver une issue dans l’imaginaire, les conflits intrapsychiques peuvent prendre la voie comportementale. « Les solutions que l’adolescent

cherche aux paradoxes de l’intrusion pubertaire animent un besoin, une souffrance voire une passion de subjectivation » (Gutton, 2002, p.241). Le péril d’inexistence de Balier fait frôler

l’adolescent d’un péril psychotique proche de l’explosion. Le recours à l’acte vient interrompre ce moment. Face à un éprouvé d’envahissement traumatique et de menace d’anéantissement psychique, l’agir peut porter une signification, « le passage à l’acte n’est

ainsi plus seulement conçu comme de la pure décharge impulsive liée à un défaut ou une rupture de mentalisation (perspective défectologique), il prend du sens au double sens de signification plus ou moins symbolisée selon les cas et de direction, c’est-à-dire d’adresse à autrui, de mode de relation à l’objet fut-elle parasitaire, antisociale ou destructrice »

(Chagnon, 2013, p.135). Houssier privilégie le concept de recours à l’acte lors de l’adolescence, en insistant sur sa potentialité créatrice et structurante, « l’acte constitue un

moyen de créer un événement intériorisable lorsque le traitement psychique du conflit a échoué » (Houssier, 2008, p.715). Le recours à l’acte implique à la fois un mouvement

régressif et un appel à l’environnement en introduisant à nouveau l’altérité, « il propose

l’hypothèse d’un travail de l’après-coup » (ib.). En passant par l’environnement, l’acte

permettrait une réorganisation psychique rendant la rencontre interne plus supportable et moins traumatique. Le recours à l’acte a deux fonctions : « il est opérateur mutatif des

réaménagements à l’adolescence et constitue un agent de la limite au service du moi et du maintien de sa cohésion » (id.).

Lors de conduites autodestructrices, l’adolescent s’attaque lui-même au niveau manifeste, mais ses manifestations sont souvent le fait de mouvements de haine dirigés contre des objets, notamment la mère, condensant l’agressivité et la culpabilité qui s’y attache (Chabert, 1999). Ce recours à l’acte est souvent entendu comme un défaut de mentalisation, des défaillances dans les capacités de contenance, l’acte évitant tout détour par la psyché, empruntant une voie courte. Le corps, devenu corps soumis du fait des transformations corporelles subies par l’adolescent, n’arrive plus à maintenir son intégrité. Une solution est alors de le stimuler en interne. La clinique des conduites automutilatoires révèle le caractère imposé des scarifications sur le corps « en en faisant un corps « rejeté et asservi » (Haza et al., 2005, p.734). Elle met notamment en exergue la nécessité d’inscrire le trauma de manière irréversible sur le corps, dans une « quasi matérialisation psychique de leur appareil

psychique » (Haza et Keller, 2005, p.740), offrant une possibilité d’élaboration secondaire.

L’acte, l’auto-agression, peut être compris comme tentative de reprise de possession du corps. Mais la haine naît du refus du monde extérieur et participe au mouvement de séparation et de différenciation, signant la prise en compte de l’existence de l’autre. « C’est parce qu’il est

massivement haï que l’objet doit être présent afin que sa permanence soit assurée, en dépit des attaques dont il est la cible » (Chabert, 1999, p.59). « Le paradoxe apparaît dans le fait qu’au niveau manifeste, les objets sont rejetés, parfois malmenés, disqualifiés ; mais au niveau latent, ce rejet engendre une culpabilité dévastatrice et la négativité peut constituer alors une mesure conjuratoire de protection par rapport à la crainte d’abandon » (ib.). Le

recours au comportement s’entend alors comme peur de perdre l’amour de l’objet et comme nécessité de prendre de la distance par rapport aux figures parentales. L’agir, comme tentative de figuration, sollicite le regard de l’Autre dans ce qu’il donne à voir, « c’est le jeu de miroir

entre le regard que l’adolescent porte sur lui et celui qu’il perçoit ou croit percevoir du côté des adultes qui confère sa véritable signification aux modifications de la puberté » (Jeammet,

cité par Zilkha, 2003, p.162).

Les conduites agies s’entendent selon différentes significations : stratégie interactive, modalités de défense, tentative de maîtrise d’une situation, dénégation de limites trop frustrantes imposées par la réalité, etc. (Courtois, 2011). Glowacz et Buzitu (2014), dans leur étude concernant les conduites délinquantes chez des adolescents, soulignent la place du recours à la violence comme stratégie adaptative de mise à distance de traumas antérieurs. Cette violence s’entend comme réponse à leur propre vécu de victimisation auquel ils ont pu être confrontés et comme moyen de dépasser leur vécu d’impuissance en affirmant leur domination. Le recours à l’acte peut créer une dynamique de rupture, marquer son indépendance, expérimenter ses limites. « Ce qui fait traumatisme dans l’accident révèle la

présence d’une difficulté passée et restée inaperçue pour le sujet en même temps qu’elle offre la possibilité de revenir sur cet épisode ancien qui n’a pas encore trouvé de dénouement heureux jusqu’à ce traumatisme actuel » (Mary, 2011, p.39). Chahrouazi-Biznar montre

comment un accident et le traumatisme psychique qui s’en suit peuvent être opérateurs de changement, créant une nouvelle rupture, une nouvelle temporalité, métaphorisant les difficultés de l’adolescent à se séparer de ses parents (Courtois, 2011). « L’usage traumatique

de la violence physique résonne avec la violence des conflits internes à l’adolescence. Cette violence peut prendre une tonalité masochiste avant d’être retournée contre le monde extérieur, à des fins personnalisantes » (Houssier, 2012, p.367). Le trauma actuel permet de

traiter les traumas antérieurs, par une mise en sens et une tentative de figuration. « Si des

expériences antérieures sont convoquées, attractées, c’est bien sûr pour leur donner forme, sens, à partir de l’expérience actuelle, mais c’est aussi et surtout pour donner à l’expérience traumatique actuelle une forme reconnaissable, déjà rencontrée, même si elle n’a jamais été subjectivée » (Ciccone, in Calamote, 2014, p.4). Le trauma actuel présente, attire et déploie

les traumatismes antérieurs qui n’ont pas été symbolisés ou mal symbolisés. Il leur donne une forme « tout en essayant de trouver une forme reconnaissable à l’expérience traumatique

présente à l’aide d’expériences antérieures connues en les liant les unes aux autres »

(Calamote, 2014, p.66). Le traumatisme vient mettre du conflit. Il mobilise les défenses du Moi contre un danger perçu (Marty, 2009).

Le processus d’adolescence comporte en soi un processus d’élaboration de la violence pubertaire qui peut être transformée en source de créativité, lorsque les mécanismes de

défense du Moi sont suffisamment développés. On évoque alors une sorte d’auto-traitement de la violence interne ouvrant la voie à la génitalisation du corps et de la psyché (Marty, 2000). L’intégration de la violence pubertaire est au cœur du processus d’adolescence, en permettant au sujet de renoncer à l’investissement sexuel des objets parentaux, d’en faire le deuil, tout en le conduisant sur la voie de la subjectivation dans la rencontre avec un autre génital. Il s’agit d’un véritable travail de liaison et déliaison pulsionnelle permettant à l’adolescent de passer de l’investissement narcissique à l’investissement objectal, du registre narcissique phallique de l’enfance à celui du génital de l’adolescence (ib.). L’adolescence constitue un espace d’initiation à la temporalité psychique (Marty, 2005), initiation possible que dans un après-coup. « La temporalité psychique à l’adolescence met en jeu à la fois un

temps qui s’est construit et un temps qui se construit » (ib., p.240). L’après-coup déclenche

des changements inconscients et structuraux (Faimberg, 2009). Il représente le temps traumatique de la levée du refoulement et ouvre sur l’inscription intrapsychique du trauma primaire, dont dépendra le processus de temporalisation psychique (Hirsch, 2009). « L’effraction pulsionnelle de l’adolescence peut ainsi être considérée comme une forme de

« cassure d’histoire », que le sujet doit cependant pouvoir ré-intégrer dans un processus rétroactif de mise en continuité avec tous les « avants-coups » organisateurs de son organisation psychique : le passé est « re-composé », les fragments atemporels de l’infantile réinscrits dans un projet identificatoire orienté vers le devenir » (Blanchard et al., 2009,

p.376).

La violence porte en elle un potentiel créateur en donnant accès à l’individuation et à la subjectivation. « La violence de l’adolescence trouve ainsi une voie de transformation

capable d’opérer un véritable changement de registre, soit le passage du phallique au génital » (Marty, 2001, p.57). La violence est facteur de progrès, élaboratif, contribuant à la

constitution de la pensée. L’importance du soutien extérieur est primordiale, pouvant prendre différentes formes. « Chez l’enfant qui grandit, la capacité de se sentir responsable de sa

propre destructivité donne lieu, si l’environnement est favorable, à un élan constructif »

(Winnicott, 1939, p.34). Le soutien narcissique est au cœur de toute stratégie thérapeutique avec les adolescents, même s’il n’en constitue qu’un des aspects, devant les fragilités narcissiques.

Pour conclure et ouvrir cette partie, quelques mots sur la sublimation en tant qu’« ensemble de

processus de transformations qui incite à inscrire dans l’imaginaire les nouveautés pubertaires éprouvées. Elle n’est ni répétition ni remémoration » (Gutton, 2011, p.897). Elle

remet sur le devant de la scène des signifiants anciens, en les renouvelant à partir des traces archaïques pubertaires, et ouvre à d’autres identifications. La sublimation peut parfois faire défaut à l’adolescent qui se trouve dans une impossibilité de traduire le pubertaire, celui-ci restant à vif, non interprétable, non représentable. Se pose la question du potentiel de l’agir comme ouverture vers la sublimation.

« Que ce soit un événement actuel, produisant des effets traumatiques pathologiques,

que ce soit un événement passé inaperçu dans l’enfance qui « déclenche » un traumatisme dans l’actuel, que ce soit un traumatisme originaire, un de ceux dont on peut penser qu’ils sont à l’origine même de la vie psychique, dans tous ces cas de figure, le traumatisme bouscule et le patient et le thérapeute » (Marty, 2011, p.39).

Chapitre 4 - La violence sexuelle dans le langage judiciaire