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La trame de fond spécifique du filtrage pénal des filles délinquantes

CHAPITRE 4 : REPRESENTATIONS DES PROFESSIONNELS DU SYSTEME PENAL DES MINEURS SUR LES

IV. P ISTES D ’ ANALYSE ET DISCUSSION

IV.1. Les pistes d’analyse

IV.1.2. La trame de fond spécifique du filtrage pénal des filles délinquantes

IV.1.2.1. L’arrestation policière

Au niveau de la police et des mises en causes, la délinquance des filles se voit en permanence, comparée à celle des garçons et ainsi souvent minimisée et quelque fois, objet de surinterprétation, aussi bien au plan qualitatif que quantitatif. Quoi qu’il en soit, les policiers restent convaincus du caractère involontaire, aléatoire, impulsif, incontrôlé des filles. Dans un tel contexte de psychologisation, on note l’absence de l’enjeu du danger; source de motivation de l’action policière. Ainsi, la police, lors de patrouilles, portera moins l’attention sur des filles que des garçons306. Par contre les policiers assimilent volontiers les filles à des victimes.

IV.1.2.2. L’admission de normes de genre au niveau du RRSE

Les filles font l’objet d’un traitement judiciaire spécifique. L’analyse qualitative du compte- rendu du RRSE versé au dossier judiciaire, comme rapport de l’investigation menée par les éducateurs de l’UEAT suit des normes de genre. Le RRSE est en effet susceptible de

306 Meda Chesney-Lind, G. Shelden Randall, Girls, Delinquency and Juvenile Justice, fourth edition, John

constituer un important filtre de disparition des filles de la chaine pénale par le biais d’une grille d’écriture spécifique aux filles. L’intérêt du RRSE réside dans sa position de document central de l’écrit judiciaire servant de support à la ventilation des mineurs. Tandis qu’au niveau des filles, les éducateurs relèguent l’acte de délinquance et les questions relatives à la scolarité au second plan au profit des difficultés psychologiques, pour les garçons, les délits semblent déterminants. La logique des éducateurs, auteurs du RRSE est basée sur le genre et consiste à protéger les filles et mettre un coup d’arrêt aux comportements des garçons. Par ailleurs, la norme de la sexualité, la norme de l’intimité est centrale en ce qui concerne les filles au sens où elle est fréquemment questionnée par les professionnels, tandis qu’au niveau des garçons, elle est passée sous silence. Cette référence à l’intimité sexuelle des filles lors de l’établissement des RRSE renforce « l’ordre de genre »307

IV.1.2.3. La protection des filles mineures délinquantes

La sélection parallèle des filles délinquantes comme mineures en danger traduit en réalité la prévention massive de leur délinquance. D’abord prises en charge en matière pénale; l’ouverture d’une seconde procédure en assistance éducative, peut entrainer à la longue l’abandon de la procédure pénale. Certes le double dossier n’est pas spécifique aux filles mais rien n’empêche d’entrevoir que pour elles, la justice privilégie par la suite l’abandon des dossiers en matière pénale et la poursuite de ceux en assistance éducative, notamment en matière de placement. En effet, les représentations nous ont montré comment le JE, considère davantage les filles comme des mineurs en souffrances personnelles et familiales, puis comment le circuit pénal ne sera activé qu’à la suite d’une multi réitération aboutissant à la commission de faits graves.

L’une des traductions du contrôle pénal spécifique des filles consiste en leur présélection massive en amont du circuit pénal, par le système administratif et judiciaire de la protection des mineurs. Ainsi, « la plupart des jeunes filles sont maintenues plus longuement dans un parcours de protection de l’enfance que les garçons. »308

307 Arthur Vuattoux citant Jounin et al. Dans « Genre et rapports de pouvoir dans l'institution judiciaire. Enquête

sur le traitement des déviances adolescentes par la justice civile et pénale dans la France contemporaine. », Thèse de doctorat en Sociologie, Université Paris 13, Sorbonne Paris Cité, P 63.

Les filles sont poursuivies pour des délits inspirés des délits « statutaires » d’autrefois. « Les données historiques concernant les biais de genre persistent : A la fois les filles auteures de délits statutaires et les garçons délinquants sont différentiellement désavantagés dans le système de justice des mineurs. Cet état de fait parait refléter la poursuite des politiques protectionnistes envers les filles auteures de délits statutaires aussi bien que l’attitude envers les (délinquants) auteurs de délits non statutaires, qui consiste d’une manière différentielle, à traiter durement les délits graves pour les garçons et à être plus indulgente envers les filles. »309 (Notre traduction)

D’emblée la délinquance des filles est appréciée, traitée par les professionnels du système pénal des mineurs, à partir des représentations de cette délinquance. Elle est ainsi objectivée par des représentations de « disqualification », de « dévaluation » par rapport à la délinquance des garçons. Ainsi, lorsqu’une mineure commet des faits, l’acte est laissé de côté et les problèmes scolaires, familiaux sont mis en avant. C’est pourquoi on constate la sélection massive des mineures déjà prises en charge pour de telles difficultés (enfance en danger). Les jeunes filles judiciarisées, donc sélectionnées pour être jugées en chambre du conseil du JE et devant le TPE pour leurs délits entrent dans le système judiciaire pénal ayant été présélectionnées par le système de la protection des mineurs en danger (donc comme mineure en danger). A en croire que l’institutionnalisation des filles est facteur de délinquance ou alors les motifs de leur entrée en protection sont relatifs à la prévention de la délinquance et non de conduites à risques ni de maltraitance.

Les filles sont longuement maintenues en placement sous le contrôle de la société jusqu’à leur majorité (protection jeune majeur).

Les filles délinquantes ne sont pas perçues comme telles mais comme des mineures en danger. Leur environnement familial jugé peu cadrant, leur sexualité est souvent interrogée contrairement aux garçons et des soupçons de rapports sexuels à risque ou de prostitution sont souvent relevés par les éducateurs dans leurs différents rapports éducatifs.

La plupart du temps, les délits des filles étant lus comme le concours de ces circonstances, elles sont envoyées en placement dans des foyers afin d’être éduquées et surveillées.