• Aucun résultat trouvé

CHAPITRE 4 : REPRESENTATIONS DES PROFESSIONNELS DU SYSTEME PENAL DES MINEURS SUR LES

IV. P ISTES D ’ ANALYSE ET DISCUSSION

IV.1. Les pistes d’analyse

IV.1.1. Le processus de filtrage pénal des mineurs

« Quand une agence prend une décision de sélection ou de ventilation, elle anticipe ce qu'elle pense être la réaction probable des étiages ultérieurs. Ainsi la police tiendra-t-elle compte de ce qu'elle pense être la politique criminelle du ministère public : systématiquement, elle renverra certaines affaires, mais elle en éliminera d'autres ou en conservera pour les traiter officieusement. De même, le ministère public évitera de renvoyer en jugement une affaire pour laquelle il escompte une mise hors de cour ou une sanction seulement symbolique. Il aura tendance à classer sans suite les espèces où la culpabilité paraît douteuse... Mais l'interaction se fait également vers l'amont. Nous avons déjà mentionné les phénomènes de prédétermination de l'aval par l'amont. »303

Comme on peut le constater dans ce passage, la chaine pénale des mineurs ne fonctionne pas en vase clos ; une interaction, voire une collaboration existe entre les différents professionnels y intervenant. S’il s’avère assez complexe de définir les critères de sélection

303 Philippe Robert, « Les statistiques criminelles et la recherche. Réflexions conceptuelles », Déviance et

des filles mineures, nous pouvons en dégager la trame de fond générale en prenant en compte l’ensemble du processus de sélection.

Le sens de cette sélection ne se présente pas toujours de l’amont vers l’aval, en l’occurrence des agents de police vers le JE mais il peut en être autrement. Durant notre enquête, nous nous sommes rendu compte de la tendance des policiers à anticiper la réaction du parquet en faisant le pronostic du sort généralement réservé à tel ou tel profil de délinquantes. On peut alors comprendre qu’ils soient tentés d’anticiper la décision du délégué du procureur, voire du JE lorsqu’ils prennent leur propre décision de transmettre ou pas un procès-verbal (PV) au parquet.

La délinquance, notamment celle constituée des infractions et des auteurs retenus dans les mailles du système pénal, comme c’est le cas pour les jeunes filles de notre étude, est une construction sociale304. Cette construction se fait au moyen d’un processus de filtrage inhérent au fonctionnement de la justice pénale.

Philippe Robert compare ce fonctionnement à un entonnoir comportant plusieurs filtres successifs correspondant aux différentes étapes du processus : l’étape de l’arrestation et de la mise en cause, l’étape des poursuites par le parquet, l’étape de l’instruction et l’étape du jugement et de la condamnation. Chacun de ces filtres opère à travers un double mécanisme de tri : la sélection puis l’orientation. Robert identifie les filtres les plus importants à l’étape des mises en causes et à l’étape des poursuites305.

La police en effet opère en amont de l’ensemble du processus pénal à l’étape des mises en cause. Tandis qu’elle abandonne purement et simplement certains faits, elle en retient d’autres pour lesquels elle dresse un PV qu’elle portera ou pas ensuite à la connaissance du parquet. A l’étape des poursuites, parmi les affaires à lui transmises par la police, le parquet, pourra en classer certaines sans suite et donc décider de ne pas poursuivre. D’autres faits encore donneront lieu à des alternatives aux poursuites et d’autres encore feront l’objet de poursuites. A l’étape de l’instruction, s’opérera encore une série de sélection et certains passeront en jugement et d’autres pas. Pareillement, devant les juridictions de jugement, le processus de filtrage se poursuivra et donnera lieu à des acquittements, des relaxes ou des condamnations diverses.

304 Ibid. 305 Ibid.

L’ensemble de ce filtrage pénal émane d’acteurs professionnels de la filière pénale des mineurs, en interaction le long de cette chaine : ce sont les policiers, le délégué du procureur, le juge des enfants et les éducateurs de la PJJ.

Figure 23 : Schéma de la chaine pénale des mineurs, Source : Site web du Ministère de la justice

La chaine pénale des mineurs fait intervenir divers acteurs en situation d’interaction, mettant en œuvre des pratiques définies. L’officier de police judiciaire (OPJ), par exemple, avertit le JE ou le délégué du procureur en cas de décision de placement en garde à vue. A son tour, le délégué du procureur, reçoit des services de police, les PV des mineurs mis en cause dans une infraction. Avant toute décision de mise en examen, il demande aux éducateurs du SEAT, une enquête rapide sur le mineur (RRSE). Les éducateurs fournissent un rapport sur le mineur (personnalité, situation familiale, scolaire, antécédents socio-judiciaires…), ainsi de suite... En outre, l’ensemble de ce processus (chaine pénale) repose en théorie sur (du point de vue du genre) sur les idées de neutralité et d’égalité de genre. Cependant, les discours des acteurs judiciaires tantôt analysés, font ressortir leurs représentations différentielles des filles, de leur délinquance et de sa prise en charge. Dans ce sens, ces représentations peuvent être lues comme la trame de fond de leurs pratiques contribuant à tracer l’itinéraire des mineurs délinquants en justice pénale des mineurs.

Il s’agit d’une représentation schématisée de la réalité. Dans la pratique, les choses sont moins segmentées qu’il parait. L’ensemble de ce processus de sélection est régi par divers critères juridiques, inscrits dans l’ordonnance du 2 Février 1945 sur l’enfance délinquante et dans le

CPP. Les professionnels du système pénal ont en charge de la mise en œuvre de cette sélection. Ainsi, en théorie, le principe de la gravité des faits et de la complexité de la personnalité de l’auteur, de même que celui de la primauté de l’éducatif sur le répressif guident cette sélection. Mais dans les faits, de nombreux paramètres rentrent en ligne de compte dont le genre dont nous avons fait l’hypothèse à partir des représentations genrées (gendered) des professionnels de la justice.

Il convient de préciser que les représentations des professionnels de la chaine pénale identifiées ne peuvent être envisagées que dans un champ des possibles de ces représentations. Elles ne peuvent en aucun cas épuiser l’ensemble des représentations des professionnels. Elles ne sont pas non plus des « représentations professionnelles » émanant d’une « culture professionnelle » ou d’une « idéologie professionnelle ».