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CHAPITRE 5 RÉSULTATS

5.13 TRAJECTOIRE ET OBTENTION DE SOINS

Pratiquement tous les intervenants rencontrés (n=9) ont mentionné que les hommes sans-abri éprouvaient des difficultés lors de leurs traitements en raison des processus complexes et des délais trop longs d’accès aux soins ainsi que de la manière dont le système de santé répondait à leurs besoins. Selon Johanne, cela se cristallise sur les urgences des hôpitaux : « pour les gens qui sont désorganisés, qui ont une

problématique de santé mentale, sévère et persistante, les urgences ne sont pas adaptées pour eux. Que ce soit pour le temps d’attente ou pour la réponse qu’ils ont ».

En aussi grand nombre, ils ont indiqué que les liens relationnels faibles entre les hommes en situation d’itinérance et les professionnels des services de santé fréquentés nuisent à l’obtention des services. Ces liens sont faibles en partie à cause des référents sociaux et des modes d’interaction qui sont différents pour chacun des acteurs de la relation de soin, mais aussi parce que des préjugés existent dans chacun des groupes à l’endroit de l’autre. Six répondants ont également souligné que la marginalisation vécue par les hommes s’ajoutait aux préjugés véhiculés dans les milieux de soins. Comme les hommes n’adhèrent pas à certaines normes sociales (politesse, apparence, décorum dans les relations, etc.), les interactions en sont teintées et, comme mentionné plus tôt, des malentendus et des conflits peuvent en découler. Leurs comportements, leurs paroles, leur apparence peuvent en effet créer une certaine confusion ou une incompréhension chez les professionnels des services de santé, ce qui nuit à la création d’une alliance thérapeutique.

La majorité des répondants soutient que l’incapacité des services à prendre en charge les hommes sans-abri en considérant la globalité de leur situation de vie multiproblématique (état de santé, niveau de socialisation, ressources disponibles) affectait négativement les chances de résolution des situations problématiques vécues.

Trois intervenants ont établi le constat que certains services sont mésadaptés en lien avec l’intervention spécifique auprès des clientèles masculines et que cela nuit à l’obtention des soins pour certains hommes sans-abri. Pour une répondante, c’est particulièrement le cas en ce qui a trait aux services de prévention. En effet, Monique rappelle la tendance des représentants de la gente masculine à être réactifs plutôt que préventifs. Aussi, selon elle, à l’instar de tous les hommes, il ne faut pas attendre de la part de ceux qui sont sans-abri qu’ils formulent une demande explicite en lien avec la prévention. Prenant pour exemple la santé de la prostate qui devient une préoccupation de plus en plus courante en vieillissant, elle souligne que : « c’est rare qu’un gars va

dire : "J’ai 53 ans, je vais aller faire vérifier ma prostate ! " C’est le médecin qui va lui dire : "Écoute, tu as 53 ans, je vérifie ta prostate ! " » (Monique). Une autre

personne interrogée met quant à elle l’accent sur les temps d’attente qui sont souvent trop longs pour les hommes qui se présentent dans les services tandis qu’ils ont le plus souvent un besoin urgent nécessitant d’être répondu immédiatement.

Pratiquement deux tiers des personnes interrogées ont affirmé que des comportements liés à l’expression de la masculinité de la part des hommes sans-abri (comme l’agressivité et la répression des émotions) créent un frein à la demande d’aide, en partie puisque ces comportements ne sont pas acceptés dans les milieux de soins. Sept autres ont remarqué que ces mêmes comportements créent des difficultés lors des suivis auxquels ces hommes prennent part. L’homme peut, entre autres, modifier la description qu’il fait de sa situation afin de répondre aux normes mentionnées ci-haut. Comme le souligne Jonathan : « […] même quand il ne va pas bien […] il veut essayer

de montrer son meilleur jour, minimiser. On a de très grands comiques qui vont utiliser l’humour, qui vont utiliser la banalisation ».

Huit répondants ont aussi confié que les services offrent parfois des solutions qui ne sont pas adaptées aux problématiques des hommes qui connaissent l’itinérance. Ces solutions peuvent par exemple ne pas tenir compte du lieu de vie instable de l’homme sans-abri.

Pour leur part, quatre participants ont exprimé que les hommes itinérants ont plus de facilité à faire une demande de soins s’ils savent que la ressource d’hébergement peut les accompagner dans le processus. Que ce soit un accompagnement en personne, ou simplement une référence personnalisée par téléphone. Le fait qu’un intervenant les guide et les soutienne, qu’ils ne soient pas seuls à faire les démarches, diminue les barrières à la demande.

Autant de participants ont souligné qu’ils observaient régulièrement des efforts de la part des professionnels afin de mieux comprendre et s’adapter à la réalité des hommes sans-abri, que ce soit par des attitudes ou par la forme que le service peut prendre (visite dans les centres d’hébergement, dans les centres communautaires ou dans les bureaux d’un service de travail de ruedes infirmières et des psychiatres par exemple). Les intervenants ont en effet remarqué que des professionnels étaient plus tolérants envers certains comportements de la part des hommes sans-abri, voyant les demandes qui se cachent derrière ces comportements et qu’ils adaptaient leurs recommandations et leur traitement à la situation de vie de ces hommes.

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