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CHAPITRE 2 RECENSION DES ÉCRITS

2.4 LES BESOINS DES HOMMES SANS ABRI

2.5.5 LES HOMMES ET LEUR RAPPORT AUX SOINS

La représentation qu’ont les hommes de la santé est, comme l’ensemble des normes sociales, situationnelle (O’Brien, Hunt et Hart, 2005). En général, les actions visant à prendre soin de soi et à se préoccuper de sa santé sont associées au féminin (Courtenay, 2009; Dupéré et al., 2016). D’ailleurs, Gough (2006) affirme que le marketing de la santé est fait pour les femmes, car elles possèdent culturellement le langage, les connaissances et le souci de la santé. Brooks (1998) affirme pour sa part que la structure même des services est genrée et possède plusieurs fonctionnements, implicites ou explicites, qui vont à contresens des normes et des valeurs de la masculinité dite traditionnelle ou hégémonique. Par logique d’opposition des genres, et d’exclusivité mutuelle des caractéristiques qui sont associées à chacun d’entre eux, les hommes n’aiment pas (de manière générale) s’associer à ces comportements (Courtenay, 2009). Leur rapport avec les services est également affecté par plusieurs facteurs. Outre l’offre de services dirigée vers les femmes, l’accessibilité, l’image d’ouverture aux hommes et les attitudes des intervenants influencent fortement cette dynamique (Le Gall et Cassan, 2010; Tremblay et Déry, 2010). Toutefois, il existe quelques exceptions à cette norme. Par exemple, pour occuper un emploi de pompier, les soins de santé réguliers, généralement associés à la féminité (Courtenay, 2009; Dupéré et al., 2016), sont nécessaires pour maintenir son corps dans un état convenable (Noone et Stephens, 2008). Octroyant aux hommes qui la pratiquent un capital de masculinité très élevé en raison des risques qu’elle leur fait encourir et de la force dont ils ont besoin pour l’exercer, éléments valorisés dans les masculinités (De Visser & McDonnell 2013), cette profession permet aux pompiers d’amortir plus facilement la féminité qui est reliée aux visites chez le médecin. Dans ce contexte particulier, ce comportement n’affecte donc pas leur masculinité comme ce pourrait être le cas pour

un homme qui aurait le même comportement sans justification équivalente (Noone et Stephens, 2008).

Les hommes sentent une forte pression pour gérer eux-mêmes leur souffrance et ne laisser paraître aucun signe d’émotivité (O’Brien et al., 2005), leurs actions les menant parfois même à l’isolement (Roy et Des Rivières-Pigeon, 2011). Il est démontré que dès l’adolescence, les hommes consultent moins que les femmes et que ces démarches leur demandent un plus grand effort. Cette tendance est constante, peu importe l’âge, le milieu socio-économique ou l’orientation sexuelle des hommes, bien qu’il soit intéressant de noter que la tendance est encore plus forte chez les hommes à faible revenu et les hommes vivant seuls (Tremblay, 2016). Cet auteur spécifie que :

[…] les liens entre la pauvreté et la santé sont multiples et, dans les cas d’exclusion sociale et de perte d’autonomie résultant d’une situation de pauvreté vécue par des hommes, ces derniers en seraient affectés par des souffrances ‘’invisibles’’ qui ne seraient pas toujours bien reconnues par les réseaux de services existants. (Tremblay, 2016, p.23)

Exprimer ses besoins ou dévoiler des difficultés ou des douleurs ne concorde pas avec les valeurs associées à la masculinité hégémonique (Brooks, 1998) souvent prônée par les hommes à plus faible revenu (Dupéré et al., 2016; Tannenbaum et Frank, 2011). Une forte association entre masculinités, force et succès rend l’acceptation des souffrances plus difficile (Moynihan, 1998), cette dernière représentant un aveu d’échec. Dans son enquête, le Regroupement provincial pour la santé et le bien-être des hommes (2018) rapporte que lorsque questionné sur la probabilité qu’ils consultent un intervenant selon différentes situations, les hommes à faible revenu ou vivant dans une famille avec un revenu plus faible que 55 000 $ par année affichaient en moyenne des intentions de consultations moins élevées que les autres sous-groupes dans six des sept situations présentées. Pourtant, ces mêmes hommes sont plus nombreux que les autres à rapporter avoir une santé mentale ou physique passable ou mauvaise (RPSBEH, 2018).

lorsqu’une demande d’aide finit par être effectuée. Tremblay (2016) nous rapporte que pour les problèmes émotionnels ou personnels, le conjoint ou la conjointe est, de loin, la première ressource d’aide consultée (84,5 %, contre seulement 17 % pour les amis). Ces chiffres ne concernent cependant que ceux qui décident de demander de l’aide puisque l’auteur révèle que 48,8 % des hommes rejoints dans le cadre de sa recherche affirment qu’ils ne demanderaient pas d’aide pour ce type de problème émotionnel ou personnel.

La norme perçue par les hommes influence fortement les comportements liés à la santé (O’Brien et al., 2005; Gough, 2006; Courtenay, 2009; Roy et Des Rivières- Pigeon, 2011). Les hommes sont beaucoup influencés par leur perception de ce que les autres hommes pensent et expriment par rapport aux comportements de santé. Cette influence est encore plus forte si les sujets sentent que les autres hommes constituent un groupe unanime, qu’ils sont similaires à eux et que les individus qui le composent sont importants à leurs yeux (Addis et Mahalik, 2003).

Même les hommes qui ont une représentation positive des soins de santé et qui affirment ne pas hésiter à consulter mentionnent cependant qu’ils n’en parlent pas à n’importe qui. Sachant que la norme sociale ne correspond pas à leur vision, ils craignent d’être marginalisés par rapport à leur décision (Addis et Cohan, 2005). Par contre, O’Brien et al. (2005) ont pu observer que dans un groupe où tous les participants s’identifiaient comme appartenant à une masculinité plus progressiste, en accord avec la nécessité de consulter des professionnels de la santé lorsqu’une personne en ressent le besoin, tous les membres du groupe se permettaient de rejeter les représentations traditionnelles d’homme fort qui ne doit pas parler de sa souffrance ou montrer d’émotion. Ces auteurs affirment que dans le cadre de leur recherche, les personnes interrogées ont même fait des blagues au sujet des comportements liés à la masculinité hégémonique.

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