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La prise en charge des MICI chez les femmes enceintes fait l’objet d’un consensus international mis à jour en 2015(56). Le second consensus européen ECCO, également paru en 2015, fournit également une aide à la prise en charge des MICI au cours de la grossesse(19).

La majorité des patientes prennent un traitement anti-inflammatoire, immunosuppresseur ou biologique au moment de la conception. La plupart d’entre elles poursuivront ce traitement pendant la grossesse ou du moins pendant une partie de celle-ci afin de prévenir une poussée de la maladie qui pourrait avoir des répercussions sur la mère ou le fœtus.

La classe des aminosalicylés (ASA) est la plus ancienne et également la plus étudiée. Sa sécurité est établie de manière certaine dans la majorité des études, bien que certaines études rapportent certains risques de prématurité, de césarienne ou de fausse-couches, sans que les résultats soient retrouvés plus largement. Il est considéré qu’aucun médicament de cette classe thérapeutique n’entraine donc de complication de la grossesse. Deux exceptions à cette affirmation : la sulfasalazine (Salazopyrine), qui entraîne une carence en folates et donc un risque d’anomalie de fermeture du tube neural, nécessitant une supplémentation en acide folique à hauteur de 2 mg par jour(57), et l’Asacol, qui est un 5-ASA utilisé aux Etats-Unis et qui pourrait entraîner un risque d’anomalie du tractus uro-génital chez les fœtus masculins en raison du dibutyl-phtalate, molécule contenue dans l’enrobage du comprimé. Ce risque n’a cependant pas été retrouvé dans l’étude la plus récente à ce sujet(58). La poursuite du 5-ASA est conseillée en cas de maladie stable sous traitement compte-tenu du plus faible taux de rechutes sous traitement. La posologie recommandée ne diffère pas de celle prescrite dans la population générale, entre 2 et 4 grammes par jour.

Parmi les immunosuppresseurs, le Méthotrexate, qui est un antagoniste de l’acide folique, présente un risque majeur de tératogénicité formellement prouvé (anomalies de fermeture du tube neural ou cardiovasculaires, défauts du système urinaire, fentes palatines). Il est recommandé d’arrêter le traitement au moins 3 mois avant la conception en cas de grossesse programmée. Une contraception efficace est impérative chez toutes les patientes qui

prennent ce traitement. En cas de grossesse sous traitement, il est recommandé d’interrompre immédiatement la molécule et de discuter une interruption de grossesse(59). Cependant, une étude récente retrouvait de manière inquiétante qu’une proportion non négligeable de médecins (5.6% des médecins selon l’étude, parmi 97 gastro-entérologues et 86 autres spécialistes) poursuit le traitement par méthotrexate pendant la grossesse, volontairement ou par méconnaissance des risques tératogènes(60).

Les immunosuppresseurs de la famille des thiopurines doivent être poursuivis afin d’éviter une rechute de la maladie. Cette classe thérapeutique n’a pas d’effet tératogène prouvé, comme le démontrent deux méta-analyses parues antérieurement, avec un risque relatif de 1.37 (IC 95% 0.92-2.05) par rapport aux femmes enceintes atteintes de MICI qui ne sont pas sous thiopurine(61). Les risques de prématurité sont incertains, les études retrouvant des résultats variables selon les cas, pouvant aller d’un risque de prématurité minime à une diminution de ce risque. Cas particulier de la grossesse, le métabolisme des thiopurines est altéré pendant cette période, pouvant conduire à conseiller un monitoring des taux des métabolites des thiopurines, la 6-thioguanine nucléotide (6-TGN) et la 6- méthylmercaptopurine (6-MMP) en raison d’un risque d’anémie potentiel chez le nouveau- né(62). Actuellement, la majorité des gastro-entérologues procède à la poursuite du traitement par thiopurine compte tenu de sa globale innocuité et du risque de rechute de la maladie à l’arrêt du traitement(63).

Les anti-TNFα sont de plus en plus utilisés au cours de l’histoire naturelle des MICI, il n’est donc pas rare qu’une patiente soit sous traitement au moment où débute une grossesse. Le consensus actuel recommande la poursuite du traitement anti-TNFα au cours des deux premiers trimestres de la grossesse en cas de maladie active pour deux raisons principales. Premièrement les taux de rechute de la maladie sous traitement sont significativement plus bas que lors de son interruption, pouvant potentiellement conduire aux complications évoquées précédemment. Il est impératif d’éviter cette situation. Pour cette raison, les patientes qui présentent un risque non négligeable de rechute doivent poursuivre leur traitement au moins au début de la grossesse. Cela est corroboré par plusieurs études, certaines d’entre elles retrouvant des taux plus bas d’effets indésirables (25% contre 69%, p < 0.05), un plus faible risque de prématurité (0% contre 46%, p = 0.001), et une activité plus

faible de la maladie sans significativité chez les patientes poursuivant le traitement contre celles qui l’interrompent(64). Ces résultats sont à nuancer puisque d’autres études ne retrouvent pas d’effet délétère majeur de l’interruption du traitement pendant la grossesse avec des taux de stabilité de la maladie similaires à population générale chez les femmes à faible risque de rechute (arrêt à la semaine 30 associé à un risque de rechute de 14%)(65). Dans cette même étude, les patientes à risque de rechute puisque porteuses d’une maladie active avaient présenté un taux de récidive de 26% sous traitement.

Deuxièmement, il existe un passage placentaire des molécules via un transport actif, dès le début de la grossesse mais principalement à partir du sixième mois, incitant à arrêter le traitement à ce moment en cas de maladie stable, au moins pour l’infliximab et l’adalimumab(66). En effet, la concentration d’IFX ou d’ADA dans le sang du cordon peut atteindre jusqu’à quatre fois la valeur de la concentration sanguine maternelle. Les taux de médicament dans le sang fœtal sont détectables jusqu’au sixième mois après l’accouchement, contre-indiquant l’administration de vaccins vivants au cours de la première année de vie. Certaines études, dont une récemment parue, rapportent détecter le médicament jusqu’au douzième mois après la naissance (chez un seul enfant sur 44) concernant l’infliximab (dont 100% des enfants présentant une infliximabémie détectable à la naissance et 11% à 9 mois) et jusqu’à 6 mois de vie pour l’adalimumab (dont 78% des enfants présentant une adalimumabémie positive à la naissance et aucun à 9 mois). Par ailleurs, la clairance du médicament chez les enfants était respectivement 3.7 fois et 2 fois plus longue que chez l’adulte, soit une clairance moyenne de 7.3 mois (IC 95% 6.2-8.3) et 5 mois (IC 95% 2.9-5) respectivement(67). La Figure 7 présentée ci-après, extraite de l’étude citée à l’instant, représente graphiquement les taux d’infliximab et d’adalimumab dans le sang des enfants dans les mois qui suivent la naissance, rendant compte de la clairance plus lente du premier par rapport au second mais surtout des concentrations de médicament plus élevées pour l’infliximab dans les premiers mois.

Figure 7

Les raisons pour lesquelles les concentrations de médicament restent détectables et même élevées plusieurs mois après la naissance ne sont pas connues de manière certaine. Cependant il est suggéré que le système réticulo-endosplasmique cellulaire du nouveau-né pourrait se montrer trop immature pour dégrader la molécule, expliquant ces résultats(68). Les données concernant le certolizumab sont moins abondantes mais intéressantes puisque les dosages sanguins n’ont été que faiblement positifs chez le nouveau-né concernant le médicament qui était pourtant poursuivi jusqu’à la fin du troisième trimestre dans certains cas, ce qui représente un transfert transplacentaire minimal, en faveur d’une diffusion passive plutôt que d’un transport actif. En effet, la concentration de certolizumab dans le sang du cordon de l’enfant était en moyenne de 3.9% celui de sa mère, dans tous les cas inférieure à 2 µg/mL(66). La molécule pourrait donc s’avérer intéressante dans le cas particulier de la grossesse dans le but d’éviter une transmission du médicament au nouveau-né. A ce propos, le certolizumab ne semble pas exposer la patiente et le fœtus à davantage de complications de la grossesse que les autres anti-TNF ou que les patientes non traitées, et ce concernant le risque de malformations congénitales, de morts fœtales in utero ou de fausses couches(69). Bien que les études à ce sujet soient plus récentes, leurs résultats sont donc encourageants. La poursuite des anti-TNFα pendant les deux premiers trimestres de la grossesse ne faisant désormais plus débat dans le but de maintenir une rémission, reste la question du maintien

du traitement au cours du troisième trimestre. Une étude récente ne retrouve pas de risque majoré de prématurité ni de faible poids de naissance en cas de poursuite du traitement au troisième trimestre (OR 2.23 et 1.16 respectivement pour les femmes présentant une maladie active et OR 3.36 et 0.86 respectivement pour les femmes présentant une maladie quiescente, sans significativité)(70). Le risque infectieux n’a cependant pas été évalué dans les études. Pour cette raison, rappelons que l’interruption du traitement anti-TNF, quand elle est raisonnable et possible (en cas de maladie quiescente), est actuellement la règle. Une nouvelle étude parue cette année retrouve un risque infectieux supérieur chez les patientes traitées par anti-TNF par rapport à celles non traitées. Cependant, le risque reste très modérément augmenté, puisqu’il n’est majoré que d’un facteur 1.4 (OR 1.42, IC 95% 1.24-1.59) par rapport aux femmes non exposées au traitement. En revanche, chez les femmes traitées au-delà du 2ème trimestre, la poursuite du traitement n’était pas associée à un risque accru de

complications générales (OR 0.93, IC 95% 0.69-1.25) ou infectieuses (OR 0.95, IC 95% 0.73- 1.22). Dans cette même étude, l’arrêt du traitement à la fin du 2ème trimestre était associé à

un risque accru de rechute de la maladie chez les patientes naïves de traitement par corticoïdes (rechute chez 45.8% des patientes qui arrêtent le traitement contre 30.6% chez celles qui le poursuivent, p = 0.005). Cette étude retrouve donc d’une part un risque faiblement accru de complications infectieuses pendant la grossesse sous anti-TNF, mais surtout un risque diminué de rechute de la maladie au 3ème trimestre en cas de poursuite du

traitement anti-TNF, cela sans augmentation du risque de complications. Il s’agit d’un argument fort en faveur de la poursuite du traitement tout au long de la grossesse(71).

L’innocuité des anti-TNFα au cours de la grossesse a été démontrée dans de nombreuses études et méta-analyses. Actuellement les connaissances sont suffisantes pour affirmer qu’il n’y a pas de risque supérieur d’effets indésirables, de fausse couche, d’accouchement prématuré, de faible poids de naissance ou de malformation congénitale chez les femmes enceintes sous traitement anti-TNF par rapport à celles qui ne sont pas sous biothérapie(72). De la même manière, il est considéré qu’il n’y a pas de risque supérieur de malformations congénitales ou d’infections néonatales(73). Dans le cas de la poursuite du traitement anti- TNF au dernier trimestre, il n’a pas non plus été retrouvé de risque infectieux supérieur chez le nouveau-né (OR 0.89, IC 95% 0.76-1.05)(71). En revanche, il existe un risque de neutropénie

néonatale bien qu’il s’agisse d’un évènement plutôt rare par rapport à la proportion de patientes sous anti-TNF. S’agissant d’une complication possible du traitement chez les adultes, et étant donné le passage placentaire de la molécule, il paraît logique d’assister à des cas de neutropénies parfois sévères chez les nouveau-nés(74). Ces cas sont rares, relatés dans un seul case report de 4 cas dont une femme ayant accouché de triplés. Dans l’article cité, les neutropénies étaient sévères car inférieures à 0.5 G/L de neutrophiles dans 3 cas, mais régressives sous traitement sans autre complication que des infections cutanées ou une diarrhée d’évolution favorable sous antibiothérapie. Le bénéfice du traitement anti-TNF étant nettement supérieur au risque de neutropénie néonatale, le risque de survenue de cette complication ne constitue pas un motif à part entière d’interruption du traitement. Il faut noter cependant que la formule sanguine des nouveau-nés n’est pas monitorée, on pourrait ainsi ne pas détecter des cas de neutropénies induites non compliquées. Un tel monitoring ne semble pas représenter un réel intérêt en l’absence de prise en charge spécifique nécessaire. Sur le plus long terme, il n’a pas non plus été mis en évidence d’effet défavorable des anti-TNF sur la santé des enfants, en particulier sur le développement psychomoteur, de la croissance ou du système immunitaire(75). Finalement, devant le faible risque de complications de la grossesse dues au traitement anti-TNF et compte tenu du risque important de complications en cas de maladie active pendant la grossesse, il est recommandé de poursuivre le traitement aussi longtemps que nécessaire chez les femmes enceintes présentant une maladie active. A l’opposé, comme nous l’avons rapidement évoqué plus haut, chez les femmes enceintes à faible risque de récidive inflammatoire (rémission clinique depuis plus de 12 mois avant la conception, absence d’activité endoscopique ou radiologique, pas de perte d’efficacité du traitement ou d’augmentation de dose, pas d’antécédent chirurgical et absence d’hospitalisation dans les 36 derniers mois), il est possible d’interrompre le traitement après 22 à 24 semaines de gestation (à la fin du deuxième trimestre), afin d’éviter le passage transplacentaire du médicament et diminuer l’exposition du fœtus à la molécule, bien que cela ne constitue pas une recommandation forte(76). Les situations sont à gérer au cas par cas, en prenant en compte les souhaits de la patiente ainsi que les données rassurantes de la littérature.

Les données de la littérature concernant l’innocuité du védolizumab, anticorps anti-intégrine bloquant l’intégrine α4-β7, au cours de la grossesse sont pour l’heure assez pauvres, en particulier sur le retentissement à long terme. Toutefois, la majorité des études sont en accord sur le fait que ce traitement ne présente pas de risque majoré de complications chez la mère, le nourrisson ou le nouveau-né, tant sur le risque de prématurité et de malformations congénitales que sur le risque d’infections dans le post-partum(77,78). Cependant, les effectifs étudiés sont souvent faibles, limitant leur interprétation. La poursuite du védolizumab pendant la grossesse doit donc être discutée et réévaluée, en tenant compte du rapport bénéfice-risque et du principe de précaution.

L’ustekinumab (STELARA), anticorps dirigé contre la sous-unité p40 de l’IL-12 et de l’IL-23, représente la nouvelle génération de thérapies ciblées utilisées dans le cadre des MICI, mais aussi dans d’autres domaines de spécialité (rhumatologie, dermatologie). Son efficacité a été prouvée dans l’essai randomisé UNITI(79), et son AMM obtenue en 2017 en France dans la maladie de Crohn réfractaire au traitement anti-TNF ou présentant une contre-indication à ce traitement (HAS, commission du 08/03/2017). Une minorité de patients sont actuellement traités par cette molécule, par conséquent une très faible proportion de patientes sont sous traitement ou poursuivront ce traitement pendant la grossesse. Les études à ce sujet dans le cadre de la maladie de Crohn sont donc peu nombreuses et portent sur de faibles effectifs. Le traitement étant disponible depuis plus longtemps dans le cadre du psoriasis, les données sont plus nombreuses à ce sujet. Dans une revue de la littérature publiée en 2017, seulement 65 cas de patientes ayant présenté une grossesse sous ustekinumab avaient été recensés, la grande majorité dans un contexte de psoriasis pour seulement trois patientes pour une maladie de Crohn. Les effets indésirables du traitement sont dominés par la survenue d’avortements spontanés (6 cas), d’une anomalie congénitale à type de défect septal atrio- ventriculaire avec crosse aortique droite et prématurité, de deux cas d’ictère néo-natal, pour une majorité de naissances sans complication et à terme (16 cas). Les autres évolutions sous traitement n’avaient pas été recensées (30 cas) ou avaient consisté en une interruption volontaire de grossesse (10 cas)(80). A noter que les études menées chez l’animal n’ont pas montré de risque majoré de malformation congénitale, de prématurité ou de fausse couche. Compte tenu des données actuelles de la littérature, l’innocuité du traitement par

ustekinumab pendant la grossesse n’étant pas prouvée, il est actuellement conseillé d’interrompre le traitement pendant la grossesse et de le relayer par d’autres molécules. Cela est bien évidemment à adapter au cas par cas, puisque des grossesses sont menées à terme sans complication sous ustekinumab, et que la poursuite d’une grossesse en présence d’une maladie active est elle-même à risque majeur de complication.

Fréquemment prescrits au cours des MICI, les antibiotiques peuvent être nécessaires au cours de la grossesse, pour des indications digestives ou extra-digestives. Dans le cas des lésions ano-périnéales (LAP) de la MC surinfectées ou non, l’antibiothérapie de choix est le métronidazole ou la ciprofloxacine, ou une association des deux molécules(81). Ces deux traitements sont bien tolérés pendant la grossesse et montrent une efficacité similaire à celle hors période de grossesse. Les études concernant leur impact sur le fœtus sont globalement en accord sur le fait qu’ils ne sont pas responsables de malformations congénitales ou musculosquelettiques(82,83). Cependant, il est à noter que des études retrouvent un risque majoré de fentes palatines chez le nouveau-né après traitement par métronidazole mais avec un probable biais de remémoration(84), ou du système musculo-squelettique chez la souris après traitement par quinolones(85). A ce jour aucun cas d’atteinte articulaire d’un nouveau- né de mère traitée par fluoroquinolone n’a été décrit dans la littérature, rendant leur prescription peu risquée pendant la grossesse sous réserve de limiter la cure à quelques jours. La prise en charge des LAP pendant la grossesse n’est ainsi pas différente de celle hors période de grossesse. En dehors des indications ano-périnéales, les antibiotiques gardent toute leur place dans le traitement des infections digestives ou extra-digestives y compris pendant la grossesse en prenant en compte les contre-indications éventuelles de certaines molécules.

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