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Complications des grossesses chez les femmes atteintes de MICI

Etant donné le risque plus important de complications de la grossesse chez les femmes atteintes d’infections ou d’inflammation systémique, on peut s’attendre à retrouver un effet néfaste des MICI sur l’évolution de la grossesse. Effectivement, la MC active rend compte de risques de fausses couches et d’accouchement prématuré plus importants ainsi que d’un risque de mort fœtale in utero supérieur à la population générale, avec des études retrouvant un taux d’effets indésirables de la grossesse pouvant atteindre un OR de 1.54 (IC 95% 1-2.38) et de complications jusqu’à un OR de 1.78 (IC 95% 1.13-2.81)(35). Le taux de complications s’avère plus important en cas de MC active au moment de la conception ou pendant la grossesse. Il n’y a en revanche pas de preuve actuellement en faveur d’un effet néfaste des MICI sur la santé des nouveau-nés.

Le risque de complications au cours de la RCH s’approche de celui de la population générale. Les études à propos des atteintes coliques sévères et étendues nécessitant une prise en

charge chirurgicale sont contradictoires mais surtout peu nombreuses et reposant principalement sur des case reports de faibles effectifs. Les études anciennes retrouvent un risque d’évènements défavorables plus important en cas de colite aiguë pendant la grossesse, allant jusqu’au décès de la patiente (jusqu’à un tiers de décès) ou à un enfant mort-né (près de la moitié des cas)(36). Cela pouvait conduire à proposer une interruption volontaire de grossesse en cas de poussée étant donné les risques majeurs d’évolution défavorable. Heureusement les études plus récentes sont plus rassurantes, probablement en raison d’une prise en charge thérapeutique largement plus adaptée. Désormais la mortalité et la morbidité de tels évènements pendant la grossesse sont nulles ou proches de zéro, y compris en cas de prise en charge chirurgicale(37).

Bien que les études divergent quelque peu, il apparait que le facteur de risque majeur de complications de la grossesse chez les femmes atteintes de MICI est l’activité de la maladie au moment de la conception et pendant l’évolution de la grossesse, les autres étant l’histoire familiale de MICI, la localisation de la maladie et les antécédents chirurgicaux(19).

Parmi les complications de la grossesse, le plus fréquemment souligné est le risque de prématurité. Ce risque accru d’accouchement prématuré chez les femmes atteintes d’une MICI a été démontré dans de nombreuses études. Plusieurs chiffres sont retrouvés dans la littérature, on pourra retenir la moyenne d’un OR à 1.87 (IC 95% 1.52-2.31, p < 0.001)(38), représentant un risque moyen de prématurité de 20% contre 10% pour les femmes non atteintes de MICI, soit deux fois plus de risque que la population générale. Prises indépendamment la MC et la RCH sont toutes deux à risque supérieur de prématurité, avec un OR à 1.97 (IC 95% 1.36-2.87, p < 0.001) et 1.34 (IC 95% 1.09-1.64, p < 0.005) respectivement, sans différence significative entre elles. Il est à noter que ce risque de prématurité a été prouvé comme étant supérieur à la normale avant même l’apparition des premiers symptômes de MICI, pouvant faire suspecter que l’inflammation systémique infraclinique joue déjà un rôle néfaste avant même les premiers symptômes de la maladie. En effet, jusqu’à 30% des femmes qui développeront une MC mais qui ont un enfant avant le début de leurs symptômes présenteront une prématurité significative(39). La Figure 4 représente l’incidence de cette prématurité pré-diagnostic sous forme d’histogramme. Ce résultat est retrouvé avec autant de significativité pour les femmes atteintes de RCH. Cet aspect sera étudié dans la partie discussion. Cette prématurité est un problème clinique

important en raison du fait qu’elle est associée à une morbidité et une mortalité péri-natale importantes, jusqu’à 75% dans les formes très sévères.

Figure 4

Ces chiffres élevés de prématurité pourraient conduire à déconseiller de débuter une grossesse chez les femmes atteintes de MICI. Cependant, lorsqu’un accouchement prématuré a lieu, il survient le plus souvent après 34 semaines d’aménorrhée, rendant finalement plutôt rares les complications chez les nouveau-nés qui présentent même des taux de complication similaires aux enfants prématurés nés de mères non atteintes de MICI. Cela conduit au consensus actuel disant que les femmes atteintes de MICI ont de grandes chances de mettre au monde un enfant en bonne santé, du moins en l’absence de grande prématurité.

L’activité de la maladie représente un point primordial qui a un impact majeur sur le terme de la grossesse ainsi que sur le poids de naissance. Il est prouvé qu’une maladie non contrôlée par le traitement est davantage à risque de complications, et notamment de prématurité. L’année dernière, une étude comparant des femmes enceintes traitées par anti-TNF et non

traitées retrouvait un OR de 3.6 (IC 95% 1.14-11.36) de prématurité chez les femmes présentant une activité modérée à sévère de leur maladie par rapport aux femmes présentant une maladie contrôlée(40). Une étude précédente retrouvait des résultats plus sévères encore, avec notamment un risque de prématurité près de 5 fois supérieur en cas de maladie active en phases précoce et tardive de la grossesse (OR 4.78, IC 95% 2.10-10.9). Plus encore, le risque de prématurité était de près de 13 fois supérieur en cas de maladie active malgré un traitement immunosuppresseur par thiopurine ou par anti-TNF (OR 12.78, IC 95% 3.68- 44.72)(41). Ces résultats ne font que conforter les recommandations actuelles sur l’importance de maintenir une maladie en rémission tout au long de la grossesse.

Un faible poids de naissance est plus fréquent chez les femmes atteintes de MC avec un risque de près de 3 fois supérieur aux femmes de la population générale (OR à 2.82, IC 95% 1.42-5.6, p = 0.003), sans significativité pour les patientes atteintes de RCH. En effet, approximativement 20% des enfants nés d’une mère atteinte de MC présenteront un faible poids à la naissance, défini par un poids inférieur à 2500g(42). Cette complication est probablement secondaire à un état de dénutrition plus ou moins sévère de la mère, rendant insuffisants les apports nutritionnels du fœtus. Une autre explication potentielle serait que les traitements pharmacologiques en place chez la mère, en particulier la corticothérapie, peuvent affecter la production endogène de cortisone chez les le fœtus et affecter sa croissance. Cependant, le risque de retard de croissance intra-utérin (RCIU) n’a pas été démontré chez les femmes atteintes de MICI, du moins les études à ce sujet sont contradictoires, certaines étant en faveur d’un tel résultat, d’autres non(43), avec des valeurs pouvant atteindre jusqu’à 15.2% et 10.5% de RCIU pour la MC et la RCH respectivement contre 6.9% dans la population générale(44). A noter que le risque de faible poids de naissance est inférieur chez les enfants nés d’une mère opérée de sa MICI(45).

Sur le plan du risque de malformations congénitales, évalué à une moyenne de 3% des naissances dans la population générale, il n’existe pas davantage de risque chez les enfants nés de femmes atteintes de MICI dans la plupart des études, y compris lorsqu’un traitement autorisé est utilisé pendant la grossesse(46,47). Cependant, on pourra noter qu’une minorité d’études, pour la plupart anciennes, retrouvent un risque significativement supérieur de malformations congénitales, principalement chez les enfants nés de patientes atteintes de RCH. Un premier travail retrouvait un taux impressionnant de malformations égal à 7.9% chez

les patientes atteintes de RCH contre 1.7% chez les femmes saines, p < 0.001, équivalant à un OR de 3.8, sans significativité dans le cas de la MC(44). Une autre étude ancienne retrouvait un risque augmenté de déficit musculaire des membres (OR 6.2, IC 95% [2.9 – 13.1]) et de malformation obstructive du tractus urinaire (OR 3.3, IC 95% [1.1 – 9.5]), sans augmentation du risque de malformations globales (OR 1.3, IC 95% [0.9 – 1.8]). Il s’agissait d’une étude cas- témoins rétrospective, forcément reliée à des biais(48). Comme nous l’avons dit précédemment, les études les plus récentes ont contredit les résultats de ces travaux. Le consensus actuel ne retient pas de risque supérieur d’anomalies congénitales chez les enfants de patientes atteintes de MICI. Les patientes doivent être informées de cette absence de surrisque mais également du risque naturel d’anomalies congénitales.

La discussion concernant le mode de délivrance est pluridisciplinaire, entre le gynécologue et le gastroentérologue. Généralement les indications obstétricales priment sur les indications gastroentérologiques. Les femmes atteintes de MC sont plus à risque de nécessiter une césarienne que la population générale, risque non retrouvé chez les patientes atteintes de RCH. Ce risque peut atteindre 32% contre 22% chez les patientes contrôles (p = 0.007), avec une tendance non significative pour un risque supérieur de césarienne en cas d’antécédent de chirurgie digestive(45). La réalisation systématique d’une césarienne n’est pas conseillée chez les patientes atteintes de MC en l’absence d’atteinte périnéale (lésions ano-périnéales LAP) de la maladie(19). Cependant les études furent un temps contradictoires, certaines reportant que le risque d’incontinence anale ou de lésion du sphincter anal est moins important en cas de césarienne qu’en cas d’accouchement par voie basse, d’autres qu’il est préférable d’éviter la césarienne et d’opter pour un accouchement par voie basse en l’absence de contre-indication en raison du faible risque d’altération de la continence afin d’éviter le risque chirurgical de la césarienne elle-même et de diminuer le risque d’adhésions postopératoires(49).

Actuellement, il est donc admis que la césarienne n’est indiquée qu’en cas de MC avec atteinte périnéale active ou récente en raison du risque important d’aggravation ou de récidive des lésions. En cas d’antécédent plus ancien de LAP mais sans activité au moment de l’accouchement, il n’y a pas d’indication formelle à une césarienne, le mode de délivrance sera donc à discuter avec l’obstétricien(24). En effet, il n’y a pas de risque important de récidive de

LAP après accouchement par voie basse, risque qui atteint d’après une étude française environ 20% des patientes à 5 ans de l’accouchement, ce qui équivaut au risque qu’ont les patientes atteintes de MC avec LAP anciennes et qui subissent une césarienne. La réalisation d’une épisiotomie en cas de MC est à éviter autant que possible(50).

L’anastomose iléo-anale (AIA) après coloproctectomie totale, réalisée en cas de RCH réfractaire au traitement médical ou compliquée d’emblée, est considérée comme une indication relative de césarienne afin d’éviter la survenue de lésions sphinctériennes qui pourraient détériorer davantage une continence déjà altérée par la chirurgie, bien que les études ne soient pas toutes en accord sur ce point. Certaines études retrouvent un effet néfaste de l’accouchement par voie basse en cas d’AIA, impactant sur le système digestif avec des fuites de selles (62.5% des femmes avec AIA après accouchement contre 33.3% chez les femmes témoins, p = 0.046) jusqu’à nécessiter l’utilisation de protections (46.2% des femmes avec AIA contre 11.4% chez les témoins, p = 0.026), mais aussi une fréquence de selles nocturnes plus élevée que les femmes n’ayant pas accouché par voie basse(51). Cette dernière étude retrouve également une altération de la fonction urinaire dans ce même cas, avec des dysfonctions urinaires sévères plus fréquentes et plus précoces sans pour autant en augmenter la fréquence. Parmi les autres études concluant également au bénéfice de la césarienne sur la fonction de continence, une donne des précisions sur les patientes qui seraient davantage à risque de complication. Ces patientes sont celles présentant des facteurs de risque de lésions obstétricales à lors de l’accouchement : utilisation de forceps ou de spatules, épisiotomie, nécessité d’une périnéoplastie, nouveau-né de plus de 4000 g, délivrance par césarienne en urgence et travail prolongé de plus de 2 heures. D’après les auteurs, ces patientes à risque seraient celles à qui la césarienne prophylactique devrait être proposée, ne la conseillant donc pas à toutes les femmes porteuses d’une AIA(52). A l’opposé, de plus nombreuses études ne conseillent pas la césarienne d’emblée chez les femmes porteuses d’une AIA, puisqu’un tel mode de délivrance n’a pas montré de surrisque d’incontinence fécale chez ces patientes opérées(53). Finalement, la méthode de délivrance doit être adaptée à chaque patiente en fonction de ses antécédents, du contexte et du risque de complication. Pour finir, la présence d’une stomie n’est pas une contre-indication à réaliser un accouchement par voie basse ou une césarienne.

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