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Traitement des verbes d’action ou imagerie motrice ?

VIII. Interaction potentielle entre traitement des verbes d’action et performance motrice

VIII.5. Discussion

VIII.5.2. Traitement des verbes d’action ou imagerie motrice ?

L’interférence entre les tâches verbale et motrice s’est produite dans une fenêtre temporelle précoce, soit 160 à 180 ms après le début de la présentation des mots (cf. latence du pic d’accélération du poignet ; Tableau 8.2), tandis que l’effet d’amorçage est apparu plus tardivement, environ 550 à 580 ms après la présentation des mots (cf. latence du pic d’accélération du poignet additionné du temps de réaction ; Tableau 8.3). Cet effet d’amorçage pourrait dès lors résulter d’effets consécutifs aux processus linguistiques tels l’imagerie motrice des actions auxquelles les verbes se réfèrent. Ainsi, il n’est pas sans rappeler les effets de facilitation de l’observation

d’actions sur l’exécution ultérieure de ces mêmes actions rapportés dans le cadre du modèle du système miroir (Brass et al., 2000, 2001 pour des mouvements des doigts ; Castiello et al., 2002 et Edwards et al., 2003 pour des mouvements de préhension). Edwards et collègues (2003) ont par exemple examiné les paramètres cinématiques d’un mouvement de préhension réalisé sur un objet suite à l’observation d’un mouvement réalisé, par l’expérimentateur, sur le même objet ou sur un objet de taille différente. Ils ont démontré une réduction du temps de mouvement lorsque les mouvements observé et exécuté étaient effectués sur le même objet (condition valide) en regard d’un objet différent (condition non valide). Les latences du pic de vitesse et du pic d’ouverture de pince étaient également plus courtes dans la condition valide (en accord avec nos résultats). Autrement dit, l’observation de mouvements amorçait l’exécution subséquente de mouvements dirigés vers la même cible par rapport à des mouvements dirigés vers une cible différente. Conformément aux résultats de Castiello et al. (2002), les auteurs ont interprété cet effet comme reflétant une programmation plus efficace de l’action en raison d’une activation préalable des régions corticales motrices appropriées à l’exécution de cette action lors de la phase d’observation. Les études en TMS sont venues corroborer ces effets de facilitation de l’observation d’actions sur le versant moteur (Avikainen et al., 2002 ; Fadiga et al., 1995 ; Strafella & Paus, 2000). Fadiga et al. (1995) ont ainsi mis en évidence une augmentation de l’excitabilité cortico-spinale (i.e. augmentation de l’amplitude des PEMs enregistrés sur les muscles de la main) lorsque des participants observaient des actions manuelles. Ce pattern de facilitation était en outre similaire à celui observé lorsque les sujets exécutaient eux-mêmes ces actions. Plus intéressant encore, une influence facilitatrice sur l’excitabilité du cortex moteur primaire a été démontrée, non plus dans des tâches motrices explicites, mais dans des tâches implicites d’imagination d’actions (Facchini et al., 2002 ; Fadiga et al., 1999 ; Fourkas et al., 2006 ; Izumi et al., 1995 ; Kiers et al., 1997 ; Rossini et al., 1999). Fadiga et collègues (1999) ont par exemple révélé, en stimulant le cortex moteur primaire, que des tâches d’imagerie de flexion/extension de l’avant-bras et d’ouverture/fermeture des doigts augmentaient l’amplitude des PEMs enregistrés sur les muscles proximaux et distaux respectivement. De la même manière, Facchini et al. (2002) ont mis en évidence une diminution du seuil moteur et une augmentation de l’amplitude des PEMs enregistrés sur le muscle Abductor

Pollicis Brevis controlatéral au site de stimulation magnétique lorsque des sujets devaient

s’imaginer effectuer un mouvement d’abduction du pouce. L’imagerie motrice conduit donc à une augmentation de l’amplitude des PEMs, phénomène par ailleurs obtenu par Oliveri et al. (2004) et Pulvermüller et al. (2005c) lorsque le traitement des mots d’action et la stimulation magnétique étaient réalisés successivement. Au vu de l’ensemble de ces données, nous ne pouvons donc exclure

verbes.

L’effet d’interférence étant en revanche apparu précocement après la présentation des verbes d’action dans l’Expérience 1, nous pouvons écarter l’éventualité d’un rôle quelconque de l’imagerie motrice sur cet effet, et au contraire argumenter en faveur de l’hypothèse d’un recrutement des régions corticales motrices, impliquées dans l’exécution des actions, dans le traitement des verbes d’action. Conformément à l’étude en MEG de Pulvermüller et al. (2005b) ayant rapporté une activation des régions motrices dans les 200 premières millisecondes après la présentation des mots d’action, l’encodage des verbes d’action a en effet interféré avec l’exécution du mouvement de préhension dans les 180 premières millisecondes suivant la présentation de ces mots. Tout semble donc indiquer que cette interférence se soit produite pendant le traitement des verbes d’action. Comme nous l’avons déjà proposé, une compétition pour des ressources communes entre le

traitement des verbes d’action et la tâche motrice aurait pu donner lieu à une telle interférence. Les

données de notre première expérience suggèrent donc que l’activité liée aux mots d’action dans les régions motrices soit inhérente au traitement de ces mots d’action, et ne puisse être simplement attribuée à des phénomènes post-lexicaux tels que l’imagerie motrice. Les résultats « en miroir » obtenus en TMS lors du traitement de mots d’action (i.e. diminution de l’amplitude des PEMs lorsque la TMS était délivrée pendant la présentation des mots ; Buccino et al., 2005) et lors de tâches d’imagerie motrice (i.e. augmentation de l’amplitude des PEMs ; Abruzzese et al., 1996 ; Facchini et al., 2002 ; Fadiga et al., 1999 ; Izumi et al., 1995 ; Kiers et al., 1997 ; Rossini et al., 1999 ; Yahagi & Kasai, 1999) viennent conforter cette proposition.

Enfin, en accord avec les données recueillies en imagerie cérébrale (Aziz-Zadeh et al., 2006b ; Buccino et al., 2005 ; Hauk et al., 2004b ; Tettamanti et al., 2005), le dernier résultat de notre étude a mis en lumière une interaction plus marquée entre les processus linguistiques et moteurs lorsque les mots désignaient des actions réalisées avec le même effecteur que celui recruté pour la tâche motrice (bras ou main ; Figure 8.7 et Tableau 8.4). Nous pouvons donc proposer que l’activité liée au langage dans les aires corticales motrices ne résulte pas d’une propagation non spécifique d’activation des aires du langage aux aires motrices, mais qu’elle soit le fruit de l’existence de liens étroits entre la représentation du sens des mots d’action et le contrôle moteur.

VIII.5.3. Les régions motrices sont-elles nécessaires à la compréhension des

mots d’action ?

Les résultats de notre étude suggèrent que l’activité liée au langage dans les aires motrices contribue au traitement des mots d’action, et ne puisse être uniquement attribuée à des processus post-linguistiques (i.e. se produisant après l’identification des mots, comme l’imagerie motrice). Nous pouvons par conséquent formuler l’hypothèse selon laquelle cette activité motrice pourrait contribuer à la compréhension du sens des mots se référant à des actions appartenant à notre répertoire moteur – hypothèse par ailleurs renforcée par les résultats de notre premier travail démontrant une absence d’effet d’AdA uniquement pour les verbes décrivant des actions qui nous sont propres (Boulenger et al., 2006a). Toutefois, cette proposition doit être nuancée et considérée avec précaution, attendu que la présente étude a évalué le comportement moteur et non la compréhension des mots proprement dite (cette critique s’applique également aux études de TMS ayant examiné les PEMs ou les temps de réaction moteurs). Ainsi, bien que l’activité liée aux mots d’action dans les aires motrices soit suffisamment pertinente pour interférer avec la performance motrice, nos données en leur état actuel ne permettent pas d’affirmer que ces régions sont

essentielles à la compréhension du sens des mots.

Le rôle du système sensori-moteur dans la représentation des concepts d’objets et d’actions a été récemment discuté par Mahon et Caramazza (2005) dans une revue de la littérature neuropsychologique sur les patients apraxiques. Ces auteurs arguent que les structures et processus moteurs ne seraient pas indispensables à la représentation de la connaissance conceptuelle des actions. A cet égard, ils critiquent particulièrement le postulat de Gallese et Lakoff (2005) selon lequel les processus de simulation internes au système sensori-moteur seraient nécessaires et suffisants pour traiter et comprendre les concepts d’actions (i.e. la connaissance conceptuelle des actions serait totalement imbriquée dans le système sensori-moteur). Autrement dit, la compréhension des concepts d’actions reposerait exclusivement sur la simulation ou réactivation sensori-motrice, exemptant d’autres systèmes corticaux de haut niveau de participer à ce processus. L’hypothèse de Gallese et Lakoff (2005) interprétée dans sa version la plus forte prévoit donc que les mécanismes de production d’actions soient essentiels à la reconnaissance et la compréhension des actions effectuées par autrui. C’est notamment sur ce point que se fondent les objections de Mahon et Caramazza (2005), qui soulignent le fait que la reconnaissance des actions peut être sélectivement altérée en regard de l’exécution de ces actions (Bell, 1994 ; Cubelli et al., 2000 ; Halsband et al., 2001 ; Rothi et al., 1986 ; Rumiati et al., 2001). Rumiati et collègues (2001) ont par exemple reporté les cas des patients DR et FG incapables d’exécuter les actions spécifiquement

présentées visuellement. Rothi et ses collègues (1986) ont quant à eux décrit des cas de dissociations inverses, à savoir un déficit de reconnaissance des actions associé à une production normale de ces actions. Corroborant encore les arguments de Mahon et Caramazza (2005), les données neuropsychologiques ont également rapporté l’existence de dissociations entre la reconnaissance et l’imitation d’actions (Bartolo et al., 2001 ; Goldenberg & Hagmann, 1997 ; Halsband et al., 2001 ; Rumiati et al., 2001). Aussi, alors que des patients porteurs d’une lésion pariétale ne peuvent imiter des actions présentées visuellement, leur reconnaissance de ces actions est quasi-intacte. Halsband et collègues (2001) n’ont d’ailleurs noté aucune corrélation entre les capacités d’imitation et de reconnaissance d’actions chez les patients testés dans leur étude, suggérant une certaine indépendance entre les deux processus. De l’ensemble de ces données neuropsychologiques, Mahon et Caramazza (2005) concluent donc que, contrairement à la prédiction du modèle de Gallese & Lakoff (2005) interprété dans sa version la plus forte, l’intégrité des processus de production motrice ne constitue en aucun cas une condition sine qua none pour garantir une reconnaissance correcte des actions, et par conséquent, supporter leur connaissance conceptuelle. L’existence de dissociations entre la connaissance des objets manipulables et l’utilisation de ces objets, ou encore l’imitation d’actions associées à leur utilisation chez les patients apraxiques viennent conforter cette proposition (Buxbaum et al., 2000, 2003 ; Buxbaum& Saffran, 2002 ; Cubelli et al., 2000 ; Halsband et al., 2001 ; Moreaud et al., 1998 ; Rapcsak et al., 1995 ; Rosci et al., 2003 ; Rumiati et al., 2001 ; pour une revue, voir Johnson-Frey, 2004). La connaissance conceptuelle des objets et des actions ne saurait donc se réduire aux structures sensori- motrices ni à la simulation des processus représentés dans le système sensori-moteur.

Cette solide argumentation de Mahon et Caramazza (2005) sur l’organisation des concepts d’actions s’inscrit parfaitement dans le cadre de la discussion de notre présent travail. En effet, comme nous l’avons mentionné à travers une revue des études d’imagerie cérébrale et démontré dans cette étude, les régions corticales motrices et prémotrices participent au traitement des mots d’action. Tout comme le postulent Gallese et Lakoff (2005) sur les liens entre perception et production motrices, il serait par conséquent tentant d’inférer que la compréhension des mots d’action dépende nécessairement des structures corticales motrices responsables de la production des actions auxquelles les mots se réfèrent. En accord avec cette suggestion, les études neuropsychologiques ont rapporté l’existence de déficits de traitement des verbes et des concepts d’actions suite à des atteintes frontales gauches incluant les aires motrices et prémotrices (Bak & Hodges, 1997, 2004 ; Bak et al., 2001, 2006 ; Daniele et al., 1994 ; Hillis et al., 2003 ; Tranel et al., 2003). Bak et ses collègues (1997, 2001, 2004) ont par exemple révélé que des patients atteints

d’une maladie neurodégénérative touchant sélectivement le système moteur (« Motor Neurone Disease ») souffraient d’un déficit spécifique de traitement des verbes, à la fois dans des tâches de production et de compréhension des mots. Confortant encore l’hypothèse de liens robustes entre traitement des mots d’action et motricité, ces mêmes auteurs (Bak et al., 2006) ont récemment rapporté la co-occurrence d’un déficit de récupération des verbes d’action et d’une maladie motrice progressive (s’apparentant à la paralysie supranucléaire progressive) chez deux membres d’une même famille, suggérant l’existence de facteurs génétiques communs au traitement des mouvements et de leur représentation conceptuelle incarnée par les verbes d’action. Enfin, Neininger et Pulvermüller (2001, 2003) ont décrit les cas de patients porteurs de lésions motrices droites du cerveau, dont la reconnaissance des verbes d’action était affectée dans une tâche de décision lexicale, par rapport à des noms possédant de fortes associations visuelles. Les auteurs ont alors proposé que les régions dévolues à la programmation des actions, qu’elles soient localisées dans l’hémisphère gauche ou droit, constituent une partie intégrante de la représentation neuronale des mots d’action, et soient de ce fait nécessaires à la récupération de ces mots. La validité d’une telle proposition, si attrayante soit-elle, semble toutefois compromise au vu des arguments avancés par Mahon et Caramazza (2005) et d’autres données neuropsychologiques montrant que les lésions du cortex moteur gauche ne conduisent pas inévitablement à des déficits de traitement du sens des mots d’action (De Renzi & di Pellegrino, 1995 ; Saygin et al., 2004). Saygin et collègues (2004) ont notamment décrit, en examinant les performances de patients aphasiques dans des tâches linguistiques ou non de compréhension d’actions, que la reconnaissance d’actions dans une tâche de lecture (vs. tâche d’appariement d’images) n’était pas altérée en cas de lésions des cortex moteur primaire, cortex prémoteur et gyrus frontal inférieur gauches.

La prise en compte de ces dernières données nous conduit donc à nuancer notre hypothèse ; ainsi, nous ne pouvons formellement postuler un rôle exhaustif du système sensori-moteur dans la représentation des mots d’action. Néanmoins, la proposition peut être faite que, sans y être essentiels, les processus sensori-moteurs semblent fortement contribuer à la récupération des concepts d’action, que ceux-ci soient exprimés à travers la motricité ou le langage. Bien que l’activité liée au langage dans les régions motrices et prémotrices ne semble pas nécessaire à la compréhension des mots d’action, nous pouvons en effet supposer qu’elle assiste et facilite la reconnaissance de ces mots. Selon cette hypothèse, des mesures de la reconnaissance des mots d’action dans des paradigmes subtils devraient révéler une altération des performances chez les patients porteurs de lésions motrices et sans déficit évident, de prime abord, dans le traitement de ces mots d’action. Après avoir approfondi, dans un troisième travail, l’étude des liens unissant

dans la quatrième étude réalisée au cours de cette thèse.

VIII.6. Conclusion

La présenté étude comportementale étoffe les données précédemment obtenues, à savoir que le traitement des mots d’action recrute les régions corticales motrices impliquées dans l’exécution réelle des actions. Nous avons mis en évidence pour la première fois que l’encodage des verbes d’action peut faciliter ou interférer avec l’exécution d’un mouvement de préhension en fonction de la relation temporelle entre les deux tâches, éclairant ainsi les discordances des résultats recueillis dans la littérature. Les arguments développés dans la présente discussion supportent l’idée que l’activité motrice liée au langage concourt, sans pour autant être nécessaire, à la compréhension du sens des mots d’action. Toutefois, nous insistons sur les limites de cette proposition au vu des données disponibles actuellement. Une meilleure compréhension de la nature des liens unissant traitement des mots d’action et contrôle moteur suppose sans aucun doute de mieux appréhender les règles gouvernant le passage d’effets d’interférence à effets d’amorçage entre des tâches linguistiques et motrices, mais aussi d’évaluer finement la compréhension des mots d’action en lien avec la performance motrice.